Le terme « femme » dans ce texte renvoie tantôt aux personnes vivant avec un utérus, tantôt aux personnes étant perçues socialement comme femmes (et ce, qu’iels soient non binaire, trans, cis ou autres). Exceptionnellement, ce terme sera utilisé tout au long du texte pour englober ce large spectre de réalités et d’identités.

TW : Ce texte fait mention de négligences médicales à l’égard des femmes, de statistiques concernant le manque de fonds accordés à la recherche sur la santé des femmes, de la méconnaissance scientifique et médicale au sujet de plusieurs problématiques fréquentes de santé dite féminine, de stéréotypes genrés du personnel médical, d’exemples d’actes de barbarie sur des personnes racisées.

Tu as sûrement déjà entendu parler du wage gap, mais connais-tu le health gap ? Ce dernier fait référence aux injustices et inégalités dont les femmes sont victimes dans le système de santé. Présentes sur de nombreux plans, celles-ci contribuent à les désavantager—et parfois même à mettre leur vie en danger.

Alyson McGregor est une médecin urgentiste qui milite pour le droit des femmes dans le domaine de la santé. Elle dénonce principalement trois phénomènes : le gaslight des femmes en santé, la polypharmacie et le misdiagnose à répétition. On t’explique tout ça.

« C’eSt PeUt-ÊtRe JuSte DAnS tA TêTe ? » : Le gaslight des femmes en santé

Gaslight : Type de manipulation qui consiste à faire en sorte qu’une personne remette en question sa propre perception, sa mémoire, sa réalité voire même sa santé mentale.

Non, tu n’es pas fou·olle. Ton impression de ne pas avoir été écouté·e (ou plutôt, entendu·e) à la sortie du bureau du médecin est valide. Alors que ce sentiment peut être également partagé par des hommes, vu le fonctionnement de notre système de santé, il est particulièrement fréquent pour les femmes, les personnes racisées et les membres de la communauté 2SLGBTQIA+.

La douleur des femmes, moins prise au sérieux que celle des hommes

Savais-tu qu’à diagnostic égal, les femmes sont deux fois plus sujettes à mourir d’une crise cardiaque que les hommes, car leurs symptômes précurseurs ne sont souvent pas pris au sérieux ou dans 53% des cas, ne sont tout simplement pas identifiés ? Ou encore, qu’elles ont 36% moins de probabilité d’être dirigées vers un centre de réadaptation cardiaque après la crise ?

Dans l’imaginaire collectif, les maladies cardiaques sont « une affaire d’hommes », alors que, dans la réalité, c’est la première cause de mortalité chez les femmes !

Les maladies cardiaques sont un tout petit exemple parmi tant d’autres. Une étude danoise réalisée sur 6,9 millions de sujets révèle que les femmes sont diagnostiquées en moyenne 4 ans plus tard que les hommes pour des centaines de problèmes de santé (Westergaard, Moseley, Sørup, Baldi et Brunak, 2019), et ce, même si ces derniers sont moins portés à consulter. 

Stéréotypes de genre

Entre 2000 à 2015, 77 études portant sur la perception qu’ont les professionnel·le·s de la santé de la douleur d’autrui ont permis de révéler la présence de biais et de stéréotypes de genre qui influençaient les suggestions de traitements proposés par les professionnel·le·s (Samulowitz, Gremyr, Eriksson et Hensing, 2018).

Dans ces études, les participant·e·s surestimaient la douleur des hommes et sous-estimaient celle des femmes. Iels étaient plus nombreux à suggérer une psychothérapie aux femmes et des antidouleurs aux hommes comme remède à leurs symptômes associés… à la douleur. Les femmes étaient aussi plus souvent accusées « d’exagérer » la douleur, voire même de l’inventer. 

Ces préjugés quant à l’expression de la douleur proviennent de stéréotypes désuets stipulant que les femmes seraient de fragiles créatures sensibles, se plaignant plus fréquemment et plus facilement en raison de leur nature anxieuse, voire même… hystérique.

Les hommes, de leur côté, seraient « faits tough ». Puisqu’ils auraient un seuil de tolérance à la douleur supérieur, on les prendrait davantage au sérieux lorsqu’ils se plaignent, car ils auraient « vraiment » mal.

On les considère comme vraiment tough, mais pas assez pour leur faire vivre les effets secondaires (qu’endurent les femmes depuis des décennies) d’un contraceptif hormonal comme la pilule, par exemple !

« Ça DoIt PaS êTrE sI PiRe QuE çA ! » — Le pain gap 

La douleur des femmes n’étant pas écoutée, comprise, ou autant prise au sérieux que celle des hommes, elle se voit minimisée, banalisée, sous-diagnostiquée et sous-traitée. Autrement dit, même si on considère les femmes comme « plus sensibles », on finit par s’attendre à ce qu’elles endurent plus de douleurs. 

Dans son livre, The Pain Gap — How Sexism and Racism in Healthcare Kill Women, Anushay Hossain rassemble des témoignages de femmes (dont plusieurs, racisées) ayant enduré des douleurs insupportables et vécu des injustices dans le système de santé.

Le pain gap fait référence au fait que les femmes souffrent plus que les hommes dans le système de santé en raison de leur genre ou de leur sexe.

Par exemple, on les fait attendre plus longtemps à l’urgence (Ingram et al., 2022). Ou encore, pour traiter la douleur d’une même affection médicale, on prescrit plus souvent des analgésiques (antidouleurs) aux hommes, et des sédatifs (calmants) aux femmes. Vraiment splendide 👍 (notons le sarcasme ici). 

Femmes racisées, cobayes de la science 

La situation est encore pire dans le cas des femmes racisées. 

Historiquement, leurs corps ont été utilisés pour diverses expérimentations barbares et non consensuelles. Il suffit de se rappeler des interventions chirurgicales expérimentales de J. Marion Sims réalisées sans anesthésie sur des esclaves noires, ou encore, des essais cliniques de la pilule à visée eugéniste sur des Portoricaines qui n’étaient pas au courant du fait qu’elles faisaient partie d’une étude. 

Même encore aujourd’hui, le racisme systémique et les stéréotypes raciaux (voir un exemple choquant ici) ont de profonds impacts sur leur santé, voire même sur leur espérance de vie. Alors que la plupart des données proviennent des États-Unis et du Royaume-Uni (le Canada accuse d’un retard important dans la recherche sur le sujet dû à son approche colourblind, lui permettant de se mettre la tête dans le sable), il serait naïf de croire que la situation est beaucoup mieux ici.

Est-ce nécessaire de rappeler les circonstances horribles dans lesquelles Joyce Echaquan a perdu la vie (et elle est loin d’être la seule à avoir reçu ce genre de traitements) ? Ou encore, les stérilisations forcées (touchant particulièrement les femmes autochtones et racisées, les personnes en situation de handicap et les enfants intersexes), toujours pratiquées en 2022 ?

« EsSaYe Ça, PoUr VoIr… » — La polypharmacologie et le misdiagnosed

T’est-il déjà arrivé d’avoir à consulter plusieurs fois (et parfois plusieurs médecins) pour un même problème ? Qu’on te prescrive de nombreux traitements (tous aussi peu concluants les uns que les autres) pour régler la même problématique ? 

Ce que McGregor nomme le « misdiagnose », c’est le fait qu’on se trompe fréquemment de diagnostic et qu’on traîne avant d’identifier la problématique d’une patiente. La « polypharmacologie », c’est quand on prescrit aux femmes différents traitements successifs pour tenter de traiter une même affection médicale. En gros, c’est un peu comme si on y allait à tâtons, qu’on procédait par essais-erreurs, qu’on improvisait. 

Ben oui ! Parce qu’aujourd’hui, en 2022, plusieurs problématiques de santé dite féminine ultra fréquentes demeurent un mystère pour la science ! Alors comment la médecine peut-elle établir des diagnostics et des traitements adéquats si on ne connaît rien sur cesdites problématiques ? 

Le manque de recherches sur les problématiques féminines

Au Canada, seulement 7 millions de fonds publics ont été investis en recherche sur l’endométriose — problème affectant 10% des personnes avec utérus qui peut engendrer des douleurs insupportables (pendant les menstruations ou les rapports sexuels, par exemple), des saignements abondants, des problèmes de fertilité, etc. — dans les 20 dernières années, alors qu’on en a investi 150 fois plus pour le diabète. Pas étonnant donc, qu’on en sache si peu sur cette maladie et que plusieurs médecins ne sont « pas trop au courant » de cette condition pourrissant pourtant la vie d’autant d’individu·e·s. « Pas étonnant », mais certainement outrant.

Autre not-so-fun fact : on étudie 5 fois plus les dysfonctions érectiles — problème qui affectera (au minimum une fois) 19% des propriétaires de pénis — que le SPM, alors que 90% des femmes en souffrent et que 40% ne répondent pas aux traitements disponibles puisqu’on n’a toujours pas de solutions potables pour celles-ci.

Les questions suivantes se posent également :

  • Comment se fait-il que le traitement principal (antibiotiques) pour traiter les débalancements de la flore vaginale (vaginoses et vaginites) contribue, en lui-même, à déséquilibrer le pH du vagin, entraînant très souvent, et ironiquement, une récidive de vaginose/vaginite ?
  • Pourquoi s’intéresse-t-on si peu aux différentes formes de dyspareunies, dysfonctions sexuelles engendrant parfois de grande souffrance, des difficultés sexuelles ou affectives dans la vie des propriétaires de vagin ?
  • Comment se fait-il que la seule alternative aux hormones qu’on ait trouvée pour contrecarrer les effets de la ménopause soit… des antidépresseurs ?

Ça fait beaucoup, non ?! Pourtant, ces exemples ne sont qu’un maigre pourcentage des problématiques dites féminines négligées par la médecine, car la liste est quasi interminable.

La racine du problème 

Le problème réside dans le fait qu’on refuse d’investir en recherche sur la santé dite féminine (à la même hauteur qu’on le fait pour les hommes). 

Encore aujourd’hui, les équipes de recherche sont composées majoritairement d’hommes. Les compagnies pharmaceutiques qui les financent, aussi. Alors il ne faut pas s’étonner que les sujets de recherche portent beaucoup plus souvent sur leur santé que sur celle des femmes. It’s a man’s world, comme on dit !

« Au PiRe, On Le ReTiReRa Du MaRcHé ! » — L’homme = le standard en science

Savais-tu que 80% des médicaments retirés des tablettes le sont à cause des effets secondaires trop intenses sur les femmes (Sugimoto et al, 2019) ?

Puisque les femmes ont un cycle hormonal, plusieurs études cliniques sont réalisées sur une majorité de participants hommes, considérés comme « plus stables ». Par conséquent, les posologies et protocoles sont adaptés aux hommes, mais pas nécessairement aux femmes. 

Bref, il va s’en dire que ce manque cruel de données empiriques à jour ou adaptées aux réalités des femmes n’aide en rien les professionnel·le·s de la santé à être outillé·e·s pour identifier et traiter les problématiques de santé qui affectent tout particulièrement les femmes. 

Quelles sont les solutions ?

Il est normal de se sentir impuissant·e face à un système qui semble être contre nous. Au cas où tu ne serais pas tombé·e sur un super bon médecin empathique et dévoué·e (parce que oui, il y en a !), mais aussi pour essayer de faire changer les choses, voici quelques pistes de solutions qui te permettront de reprendre un peu de pouvoir sur ta santé.

S’éduquer et militer

Une bonne façon de faire bouger les choses, c’est de s’éduquer sur le sujet (comme tu viens de le faire par exemple) et de t’impliquer. 

Tu as déjà souffert d’une condition particulière sans arriver à recevoir les traitements adéquats ? Tu as perdu un·e proche à cause d’une affection médicale dite féminine ? Tu as un·e ami·e qui a vécu une expérience traumatisante dans le système de santé ? Il est possible de transformer ces dures épreuves en force mobilisatrice. 

Implique-toi auprès d’un organisme, fais un don ou du bénévolat (si tu peux te le permettre), partage ton témoignage (que ce soit avec tes proches, sur tes réseaux, sur une plateforme d’échange féministe, ou en t’adressant aux médias, etc.) afin d’ouvrir le dialogue et sensibiliser. Chaque petit geste compte et a le potentiel d’être libérateur.

Se tourner vers les médecines alternatives

Quand la médecine n’a pas toutes les réponses, il peut être intéressant de voir ce que les autres approches de la santé comme l’acupuncture, la naturopathie, l’ostéopathie, les doulas, etc. ont à proposer. Ces médecines alternatives et ces approches plus holistiques requièrent souvent beaucoup plus d’efforts que de prendre une pilule qui soulagera temporairement un symptôme, mais ça peut valoir la peine d’essayer ! 

Garde en tête que plusieurs de ces approches ne sont pas encadrées par un ordre professionnel (ayant la charge de protéger le public). Ainsi, il vaut mieux choisir la personne qui nous prodiguera les soins avec vigilance et discernement.

Exiger des explications

On le sait toustes : débarquer dans le bureau du/de la médecin peut être stressant. Parfois, aussitôt le pas de la porte franchi, il arrive qu’on sente qu’on veut se débarrasser de nous le plus rapidement possible. C’est pourquoi il peut être utile de préparer d’avance ta liste de questions.

De plus, si tu n’es pas satisfait·e des traitements suggérés ou du sérieux de la démarche, ose demander des explications ! Exige des réponses et nomme ton malaise

« Est-ce que c’est le protocole habituel pour ce genre de cas ? »

« Ne croyez-vous pas que ça nécessite un diagnostic en bonne et due forme, incluant des tests requis ? »

« Je ne me sens pas écoutée. J’aimerais que ma souffrance ou ma douleur soit prise au sérieux. »

Aller en science !

« Encore aujourd’hui, les femmes scientifiques ont 40 % moins de chances de commercialiser leurs idées de recherche que les hommes. » (Le Soleil, 2019)

Au fur et à mesure qu’il y aura plus de femmes dans des métiers traditionnellement masculins (science, médecine, etc.), les questions de recherches changeront, et les analyses, résultats, et conclusions seront plus inclusifs de la réalité des femmes.

Pour en apprendre plus, on t’invite à consulter les ressources suivantes.

Ressources

Militance et activisme

  • EndoAct : Réseau de personnes atteintes d’endométriose, de prestataires de soins de santé et de chercheurs dont l’objectif est de susciter l’action gouvernementale sur l’endométriose au Canada. Ensemble, iels travaillent à la mise en place de solutions pour que toustes reçoivent les bons soins.
  • Endométriose Québec : Endométriose Québec est « un portail d’information, un mouvement de sensibilisation et une communauté de soutien. »
  • Vivre 100 fibromes (fibrome utérin) : « La première association québécoise qui informe, sensibilise et accompagne les femmes qui souffrent de fibromes utérins. »
  • International Consortium for Male Contraception (ICMC) : Réseau visant à faire la promotion de la contraception masculine. Ouvert à toustes, il s’intéresse aux aspects médicaux et socioculturels (actuels et futurs, hormonaux et non hormonaux, médicaux et chirurgicaux).
  • GARCON : Groupe d’Action et de Recherche pour la CONtraception.

Documentaires

Livres

author-avatar

À propos de Anne-Claudel Parr

Sexologue, Rédactrice | Pronoms: elle/la | Passionnée de plage, de voyage et de salsa, j’ai étudié en science politique, en psychologie, fait un certificat en psychoéducation et en espagnol avant d’atterrir en sexologie et de trouver ma voie (ben oui, c’est long se trouver parfois) ! Féministe intersectionnelle de cœur et de raison et membre de la communauté LGBTQIAP2S+, je pose un regard assez scientifique et théorique sur la sexualité, mais en essayant d’être moins plate que ton prof de socio au cégep. J’espère pouvoir élargir ta conception de la sexualité, dire ce qui n’est pas dit et jaser de l’éléphant rose. Ensemble, on va faire la deuxième Révolution sexuelle ! Embarques-tu ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publié Les champs obligatoires sont indiqués avec *