À toi qui s’est toujours fait dire que les poils poussant tout tranquilous sur ton corps étaient dégueux, peu désirables, laids, répugnants. Ou à toi qui a déjà bodyshame une fille inconnue sur Instagram parce qu’elle a osé afficher ses aisselles poilues sur l’une de ses photos, je te dédie cet article.

Tranche de vie

Juin 2002. Je suis dans la salle de bain des filles d’Harwood avec mon amie d’enfance pour les derniers préparatifs du « bal des finissant.e.s » du primaire. J’ai 12 ans.

Sa mère s’approche de moi, d’un air désapprobateur, mais compatissant. Elle me colle une espèce de languette de plastique sous le bras, me dit de compter jusqu’à trois, de prendre une grande inspiration, puis elle tire d’un coup sec. Alors que je la regarde, une larme à l’œil, elle me frotte, de sa douce main, une huile bleue sous les aisselles tout en me rassurant ; la douleur et la rougeur disparaîtront sous peu.

Il ne faut pas lui en vouloir de m’avoir convaincu de m’épiler les aisselles ; ses intentions étaient nobles. Elle tenait à ce que je sois jolie, féminine, soignée, bien « arrangée », gracieuse, délicate pour mon « bal ». Elle voulait marquer cette étape de vie importante qu’est la fin du primaire, pont entre l’enfance et l’adolescence. Tel un rite de passage vers la vie adulte, la maturité sexuelle, la vie de femme, comme on le fait dans bien des cultures. Après tout, elle savait que ma mère n’était pas du genre à m’amener magasiner pour m’acheter du linge pour que je sois cute ou à m’acheter des petites brassières-pour-enfants-pas-de-seins roses. Elle devait prendre la relève.

Inutile de te dire que ce jour-là, j’ai vite compris que, le poil, ça n’a rien à faire sur un corps féminin. En fait, pas tous les poils ; ceux sur la tête, c’est chill.

Oui, parce que tu remarqueras que dans notre langue adorée, il y a un mot distinct pour nommer cette chose ignoble et disgracieuse : le poil. *À distinguer de cheveu*. Pourtant, en anglais, il n’y a qu’un mot pour désigner toute fourrure qui nous pousse sur le corps, tête comprise ; hair.

Les « poils de tête », eux, sont même préférables longs chez les femmes. Mais sur le reste du corps, ils sont indésirables, malpropres, grossiers, pas féminins. 

Finalement, l’expression « long hair don’t care », c’est discriminatoire, puisque ça ne s’applique pas aux hair de tout le corps !

Réflexion

Après cet épisode, j’en ai voulu à ma mère. Pourquoi ne m’a-t-elle pas expliqué ça ? Pourquoi ne m’a-t-elle pas « appris » à être une vraie femme ? Au risque qu’on se moque de moi, que je ne fasse pas partie de la gang. Que j’aie l’air conne, finalement.

C’est des années plus tard que je la remercierai de m’avoir laissé découvrir les diktats sociaux par moi-même au lieu de me les imposer à un très jeune âge, évitant ainsi que je prenne pour acquis qu’enlever ses poils, c’est le seul choix qui s’impose quand on est une fille.

L’écœurantite aiguë

Mais bon, un peu comme toutes les autres filles, j’ai fait, pendant une bonne partie de ma vie, ce qu’on attendait de moi ; me débarrasser de mes poils — sans trop me poser de question.

J’ai essayé plusieurs techniques pour les gérer : rasoir, tondeuse (clipper), bande de cire chaude ou froide, pince à épiler, crème dépilatoire, épilation laser. Bref, des méthodes toutes aussi insatisfaisantes les unes que les autres. C’est au moment où je pensais avoir trouvé LA solution — qui mettrait fin à d’interminables années de recherches de la technique idéale — que j’ai décidé de tout laisser tomber.


Et oui, c’est l’épilateur électrique qui m’a poussé à avoir une réflexion sur mon poil. En plus d’être ultra douloureux, cet objet de torture m’a appris qu’il était possible de faire des poils incarnés sous les aisselles et même… sur les jambes ! Et je t’évite les détails concernant les boutons accompagnant ses super poils qui te poussent sous la peau. 🥴 Ou encore, la douleur extrême ressentie quand on passe proche du clitoris ou de l’anus (oh que oui, j’ai été m’aventurer là) !

La révélation

Un jour d’été, alors que je travaillais à la marina avec une collègue (sur qui j’avais un solide crush), j’ai eu une révélation. À mon grand étonnement, j’ai été parcouru d’un long frisson d’émoustillement à la simple vue de ses poils d’aisselles, qui apparaissaient subtilement sur les côtés de sa camisole. J’ai compris que le poil pouvait être teeeellement sexy et sensuel sur une femme.😳

Alors pourquoi ça ne serait pas pour moi, le poil ? En fait, pourquoi je me casse le bicycle à le gérer depuis tant d’années finalement ? 

Propulsée par cette expérience (et par mes convictions féministes, qui se renforçaient d’année en année, au fil de mon bac en sexo), j’ai décidé qu’il fallait que je tente l’expérience. Comment pouvais-je être persuadée de ne pas aimer mon poil alors que je ne l’avais simplement jamais vu ?

Le saut

C’est en été 2017 que je me décide ; je me laisse pousser les poils de d’sous d’bras ! Ou peut-être de jambes ?! Je ne sais plus par quoi commencer ! 

Je m’empresse d’aller voir des photos sur les Internet pour voir ça a l’air de quoi, une femme avec des poils (quand même absurde d’avoir à googler à quoi ressemble un corps féminin au naturel parce qu’on n’en a jamais vraiment vu dans la vraie vie). Peut-être que ça m’inspirera. Je tombe sur des photos de Miley Cyrus avec les aisselles teintes rose fuchsia. Quand même hot ! 😎

Quelques articles de blogues plus tard, je me rends compte qu’il y a eu un trend d’aisselles féminines colorées vers 2015 (ouin, je suis le genre de fille qui prend connaissance des modes une fois qu’elles sont has been). Sweet ! Je décide de me rendre à la pharmacie pour m’acheter du bleach. Tout en me dévisageant, la cosméticienne me pointe du doigt un décolorant de poils du visage qu’elle juge assez doux pour un endroit sensible comme l’aisselle.

Fière de mes aisselles colorées (et curieuse de voir la réponse des gens), je les montre à tout le monde au travail. Les réactions sont mitigées. Mes amies féministes et queers trouvent ça cool. Mon boss rit de ma yeule. C’est pas grave, avec une touche d’autodérision, ça passe. Mon ego survit. 

J’appréhende tout de même les futures confrontations avec le monde extérieur.

Prochaine étape

Quelques semaines plus tard, ce sont maintenant mes poils de jambes qui flottent librement dans le vent pendant que j’amarre des bateaux. Mais queeellllle sensatiooooooon !! Wouah, je me sens libre ! Mais en même temps, vulnérable. Disons que le poil de jambe, ça se cache moins bien que celui des aisselles, qui lui, disparaît en toute subtilité une fois les bras baissés.

À ma grande surprise, mes poils de jambes ne font pas tant réagir mes clients douchebags de la marina du Vieux-Port. Loin de moi l’idée de généraliser, mais force est d’admettre qu’une marina — endroit où retentissent les « blagues » sexistes et homophobes toutes les 2 minutes —, c’est rarement une place qui déborde d’acceptation de la diversité. 😅


Anecdotes à part

Mis à part 2-3 occasions où l’on n’a glissé quelques petits commentaires ou insinuations par rapport à mon poil, on n’a pas tellement tenté de me confronter avec ça.

Par exemple, un jour, mon coloc, fraîchement débarqué à Montréal pour venir y étudier, a fait une remarque en voyant mon poil de jambe. Si ses mots exacts m’échappent, ce dont je me souviens bien, c’est de la claque qui est partie toute seule juste après.

Je me rappelle de m’être sentie mal, conne, mais en même temps, courageuse. Conne, car je ne pense pas que ses intentions étaient mesquines, puisqu’en apprenant à le connaître, je me suis vite rendu compte qu’il était doux comme un agneau, sans malice. Les différences culturelles et la barrière de la langue n’avaient pas dû aider à se comprendre non plus (il avait un français plutôt de base à l’époque). 

Mais je me suis aussi sentie courageuse, parce que j’étais fière de moi de m’être « défendue ». Oui, bon, même si, au final, je crois que ses intentions relevaient plutôt de la curiosité culturelle que du bodyshaming. Mais bon, sur le coup je l’avais perçu comme ça, et il est normal de réagir à du bodyshaming.

Bref, cet incident n’a pas dû le choquer tant que ça puisque nous avons fini par se fréquenter quelques années plus tard. Par contre, je peux t’assurer qu’il n’a plus jamais fait de commentaire sur mon poil. 😅 😂

Répliques aux commentaires indiscrets

Autrement, je n’ai pas tant d’autres anecdotes croustillantes à te compter. Je peux seulement te dire que, quand l’occasion se pointe, je me fais un plaisir de répondre aux commentaires déplacés, aux interrogations de nature plutôt curieuse ou aux insultes (très rares ceux-là). Je trouve que c’est une belle occasion pour ouvrir le dialogue sur le poil et pour éduquer les gens autour de moi. Évidemment, le ton peut varier en fonction de mon mood, mais il varie surtout en fonction de l’intention derrière le commentaire. 

Ma réponse est souvent un mélange d’éducation, d’arguments féministes et de réflexions philosophiques. Par exemple, je peux me mettre à expliquer que les femmes (et tous les mammifères en général) ont du poil, que tous les êtres humains ont le même nombre de follicules pileux, qu’enlever le poil est une question de mode, et surtout pas d’hygiène, que de se débarrasser de son poil pubien augmente même les risques d’ITSS. Bla bla bla… Bref, la plupart du temps, les gens écoutent attentivement et n’ont pas trop de contre-arguments, la majorité d’entre eux n’ayant jamais vraiment eu de réflexion poussée sur le poil. L’ensemble de leurs commentaires ou arguments est souvent un copier-coller de ce qu’iels ont entendu toute leur vie finalement. 

5 ans plus tard

Maintenant 5 ans que je vis avec mon poil. Je suis plus que jamais persuadée d’avoir pris la bonne décision. Mais surtout, plus que jamais bien dans ma peau. J’ai réalisé que plus on a confiance en soi, plus les gens ont tendance à soit : accepter nos poils, à se foutre complètement de leur existence voire même, à nous trouver hot avec. On va se l’avouer, la confiance en soi, c’est sexy af.

Puis il y a aussi quelque chose de très empowering dans le fait d’aller à contre-courant des normes que la société tente de nous imposer. D’oser être soi-même. D’envoyer chier le patriarcat et ses diktats de beauté pour créer sa propre version de la féminité. Alors qu’au début, ça me faisait bizarre de voir mes poils, je suis maintenant arrivée à me trouver sexy avec. C’est vraiment une question d’habitude, en fait. Il s’agit juste de déconstruire tout ce qu’on s’est fait rentrer dans la tête depuis l’enfance, finalement. Juste ça. 🤣

L’idée de couper mes poils (sauf au clipper à l’occasion) à nouveau ne m’a jamais traversé l’esprit. Avec tout le temps et l’argent économisé (et la sensation de cactus en dessous des bras ou sur les jambes à laquelle on dit adieu pour toujours), ça ne donne pas l’goût de revenir en arrière. De toute façon, on ne peut pas se tromper quand on est en adéquation avec ses valeurs et ses convictions.

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À propos de Anne-Claudel Parr

Sexologue, Rédactrice | Pronoms: elle/la | Passionnée de plage, de voyage et de salsa, j’ai étudié en science politique, en psychologie, fait un certificat en psychoéducation et en espagnol avant d’atterrir en sexologie et de trouver ma voie (ben oui, c’est long se trouver parfois) ! Féministe intersectionnelle de cœur et de raison et membre de la communauté LGBTQIAP2S+, je pose un regard assez scientifique et théorique sur la sexualité, mais en essayant d’être moins plate que ton prof de socio au cégep. J’espère pouvoir élargir ta conception de la sexualité, dire ce qui n’est pas dit et jaser de l’éléphant rose. Ensemble, on va faire la deuxième Révolution sexuelle ! Embarques-tu ?

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