Source de l’image : KarlJessy

C’est le retour des vacances… et des mesures sanitaires strictes à la janvier 2020. Oui, c’est un tantinet déprimant, mais ce n’est pas une excuse pour cesser de vivre et d’avoir du fun !

Bon, je l’sais que la série est sortie cet automne. Mais comme ce n’est pas tous les jours qu’une série québécoise aborde la sexualité (et surtout la sexologie) de si près, j’ai quand même décidé de porter mon œil critique de sexologue à votre service, même trois mois en retard ! De toute façon, que vous l’ayez vu ou non, cette analyse sexologique pourra vous être utile. En effet, mon but n’est pas tellement de faire une chronique culturelle (car ce n’est pas mon métier), mais bien de dissiper les mythes entourant la sexualité et la sexologie en tant que discipline.

Où regarder : tou.tv

Thèmes sexologiques abordés / CW: sexologie, santé sexuelle, grossophobie, célibat, image corporelle, non-binarité, diversité sexuelle et de genre, kink et fétichisme, dysfonctions sexuelles (anorgasmie, difficultés érectiles), paraphilie (bestialité, exhibitionnisme, voyeurisme), désir sexuel, fantasme, consentement, relation amoureuse et difficultés relationnelles, jouets sexuels, orgasme, cabaret burlesque, échange de couple, harcèlement et agression sexuelle, éjaculation féminine, tantrisme, etc.

Sortie : septembre 2021

En vedette : Magalie Lépine-Blondeau, Mylène Mackay, Isabelle Vincent, Mikhaïl Ahooja, Fabiola Nyrva Aladin, Anne Casabonne, Rachid Badouri, Stéphane Rousseau, Julianne Côté, etc.

Textes : Marie-Andrée Labbé

Réalisation : Patrice Ouimet

⚠️ Spoiler alert : Il est préférable de voir cette excellente série avant de lire cette critique sexologique. Loin de moi l’idée de faire ma divulgâcheuse, mais je m’appuierai tout de même sur quelques exemples pour départir le vrai du faux en ce qui concerne la sexualité et la sexologie. 

Les personnages : tantôt attachants, tantôt tirés par les cheveux

Des remarques qui dénoncent la masculinité toxique, le slutshaming, la grossophobie, le mégenrage, une blonde qui défend son partenaire non-binaire, une travailleuse du sexe colorée… Bref, le moins que l’on puisse dire, c’est que la diversité est au rendez-vous dans cette série où le centre de l’action se déroule dans une clinique de santé sexuelle !

Les points forts

Un couple lesbien au centre de l’histoire (Sarah, jouée par Magalie Lépine-Blondeau et Maude, par Mylène Mackay) ? I’m all in ! Enfin, on voit du lesbian love authentique qui n’est pas QUE destiné à exciter les monsieurs hétéros ! Bref, une vraie histoire d’amour avec ses hauts et ses bas !

De plus, le fait que Maude, la copine de Sarah, soit en fauteuil roulant, permet d’aborder — de façon touchante et humaine — les difficultés que peuvent vivre les personnes à mobilité réduite au niveau de leur sexualité et de leur intimité (image corporelle, insécurités, peur, colère). 

Lou, mon pref

Le personnage non-binaire Lou — joué par le beau Mikhaïl Ahooja — est tout autant rafraîchissant que le couple Sarah/Maude ! J’adore comment les codes de féminités et de masculinités sont si harmonieusement présentés à travers son look ! Lou est de loin le plus attachant de la série ! En plus… disons que ce n’est pas tous les jours qu’on voit quelqu’un à l’écran qui demande à sa blonde d’enfiler un strap on pour qu’elle le pegg ! (J’utilise « il » et « le », car ainsi est-il genré dans l’émission.)

C’est aussi beau de voir comment il est accepté et soutenu par ses collègues. Même si sa blonde n’arrive pas à s’adapter à l’identité de genre de son partenaire suite à son coming out, ça ne l’empêche pas de le défendre des commentaires transphobes ! D’ailleurs, ça m’a rappelé une scène émouvante du film Laurence anyways de Dolan, lorsque Frédérique pète une coche au restaurant pour défendre sa partenaire trans.

Les points cringe/les moins bons coups 

Ce que je redoute le plus, c’est le renforcement des préjugés à l’encontre de certains groupes minorisés, comme les travailleur.euses du sexe, les immigrant.e.s et les personnes polyamoureuses. Même si les personnages sont attachants, ils restent néanmoins stéréotypés. 

On vit dans une société où circulent déjà plusieurs stéréotypes envers ces groupes. Ces représentations clichées ne font que donner aux téléspectateur.trice.s moins averti.e.s des excuses de plus pour mettre ces personnes dans des cases.

Travailleuse du sexe « trash » qui suce ses clients en face de la clinique et qui propose ses services sexuels à son infirmière, immigrant tunisien occupant un emploi précaire dont le père est polygame (btw la polygamie est passible d’une peine d’emprisonnement d’un an et d’une grosse amende en Tunisie), configuration de couple polyamoureuse de 5 personnes qui se chicanent en unisson tout en vivant sous le même toit… Bref, des clichés un peu trop 2004 à mon goût. 

Of course, ça se veut humoristique, mais je crois que de l’humour sans clichés vus et revus des centaines de fois est possible quand on se creuse un peu le coco !

Plusieurs concepts un peu mélangés

J’aurais aussi aimé qu’on creuse un peu plus le personnage de Lou. Disons que ça aurait été l’occasion idéale pour les québécois.e.s d’en apprendre plus sur la non-binarité et le spectre de la transidentité. 

À aucun moment on n’aborde les pronoms. Ou le mégenrage. À la place, on mélange exploration de l’expression de genre et exploration de pratiques sexuelles. On sous-entend qu’il y a forcément des liens entre genre et sexualité. Je ne dis pas qu’on ne peut pas explorer son genre et sa sexualité en même temps, je dis juste qu’il importe de bien faire la distinction entre ces concepts (petit rappel : orientation sexuelle ≠ identité de genre ≠ expression de genre). Ce n’est pas parce qu’on explore sa féminité par son expression de genre qu’on a nécessairement envie d’essayer le sexe anal !

Je prends la peine de faire la nuance parce que plusieurs associent pénétration anale à homosexualité, tout en amalgamant transidentité (ou non-binarité) et homosexualité. Pourtant, la pénétration anale n’appartient pas à un genre ou à une orientation sexuelle en particulier !

La représentation des professionnel.le.s

Les points forts

Sarah et Ricardo, deux professionnel.le.s qui font de la relation d’aide, sont dépeint.e.s comme des personnes imparfaites, même si leur travail consiste à soutenir les gens et leur santé mentale. Alcool au volant, difficulté à gérer ses problèmes de couple, conflits irrésolus, pétage de coche en public… Bref, tout le monde est humain.e ! Les professionnel.le.s en santé mentale n’en font pas exception. Le choix qu’a fait l’autrice de présenter ces personnages ainsi adoucit la frontière professionnel.le.s/client.e.s.

La pratique de la sexologie : est-ce vraiment comme ça ?

Même si j’ai fort apprécié le fait que cette série met une sexologue à l’avant-scène, je ne peux pas passer mon chemin sans démentir certains aspects de la pratique des sexologues (et autres professionnel.le.s œuvrant en santé mentale et santé sexuelle) qui sont mal illustrés dans la série.

Au niveau des frontières

Non, un psy ne peut pas côtoyer sa cliente en dehors du cadre professionnel en allant prendre un café ou en suivant des cours de cuisine avec elle. Une sexologue ne rit pas de ses client.e.s dans leur face. Elle n’invite pas une stagiaire lors d’une consultation avec un.e client.e sans avoir préalablement eu son consentement. Des collègues ne débarquent pas sans cesse dans son bureau en pleine consultation. Et, non, un.e professionnel.le ne profite pas de toutes les occasions pour exposer la vie privée de ses client.e.s afin d’en rire avec ses collègues. 

Les sexologues, comme tout autre professionnel en santé mentale ou en santé sexuelle, sont tenu.e.s de respecter le secret professionnel afin de préserver la confidentialité. C’est à ça que sert les ordres professionnels et les codes de déontologie : protéger lea client.e de potentiels préjudices en s’assurant que les professionnel.le.s agissent dans le meilleur intérêt de leurs client.e.s.

J’ai aussi un fort malaise avec la relation entre Sarah et la stagiaire de la clinique, Zoé. En temps normal, ce serait une faute grave que de fréquenter quelqu’un dont on est responsable d’évaluer le stage. Ce serait de l’abus de pouvoir, car la sexologue est en situation d’autorité ; détenant le pouvoir de faire passer ou couler lea stagiaire. Oui, on le souligne dans l’émission, mais la situation reste tout de même banalisée.

Cadre flou

Une personne qui est à la fois sexologue et infirmière ne juxtapose pas ses deux rôles professionnels en même temps. Le cadre doit être bien défini et ne peut pas porter à confusion : soit on consulte une infirmière, soit on consulte une sexologue. 

Oui, certaines tâches de ces deux professions peuvent s’entrecroiser. Lorsqu’il est question d’interventions ponctuelles d’éducation à la sexualité (ex. : écoles secondaires), par exemple. Mais les sexologues et les infirmières ont des objectifs très différents et bien définis. Alors que la formation de base en sexologie s’inscrit dans une perspective psychosociale (en touchant légèrement l’aspect biologique de la santé sexuelle), les soins infirmiers se concentrent plutôt sur l’aspect biomédical de la santé globale des individus. 

Oui, la santé mentale et la santé physique peuvent être liées, mais ce sont deux aspects fondamentalement différents. Voilà pourquoi on ne traite pas ces deux composantes en même temps.

Au niveau des sujets abordés

Bien que certaines problématiques sexologiques abordées soient parfois un peu trop farfelues et inusitées — pour ne pas dire excessivement rares (sexomnie, bestialité, etc.) —, la plupart des autres motifs de consultations sont réalistes. Dysfonctions sexuelles, écart et baisse de désir sexuel, préoccupations quant au contenu de ses fantasmes, difficultés relationnelles, tentative d’échange ou d’ouverture du couple… ce sont toutes des difficultés assez récurrentes. 

De plus, les interventions de Sarah dans l’émission sont souvent pertinentes. C’est plutôt la façon dont elle livre ses interprétations ou autres interventions qui n’est pas toujours réaliste. 

Non, ce n’est pas en 3 minutes et quart que tu pourras trouver la solution à des problématiques sexologiques que tu traines depuis des années. Le rôle d’un.e sexologue n’est pas de « donner des conseils », tels qu’un ami.e ou Internet pourrait le faire ! Très souvent, un suivi de 5 à 15 rencontres s’impose. Et c’est un travail d’équipe : lea sexologue sera là pour te poser les questions qui t’indiqueront le chemin, mais c’est à toi de le trouver ! Oui, iel peut te trouver des outils ici et là, mais c’est à toi de faire le travail. Consulter, ce n’est pas aussi simple que de prendre une pilule et de rentrer chez toi avec une solution miracle. C’est un bumpy road qui peut parfois t’amener des endroits où tu te sens peut-être inconfortable. Mais dans tous les cas, je t’assure que ça en vaut la peine. 😉

Devrais-tu ou non la voir ?

Malgré cette critique qui semble sévère, j’ai tout de même beaucoup apprécié cette série qui aborde la sexualité de façon décomplexée et sans tabous. Touchante, émouvante, drôle et rafraîchissante. 

Si j’avais écrit une critique en faisant fi de mon rôle de sexologue, ça aurait été complètement différent. Mais je me devais de rectifier le tir en rappelant qu’une série de fiction, ça reste de la comédie et de la parodie. Idéalement, j’aurais aimé que des sexologues soient consulté.e.s pour mieux représenter leurs réalités et celles des personnes issues de diversités (comme on le fait pour District 31 en consultant de vrai.e.s expert.e.s, par exemple). Bref ! En espérant qu’un jour, notre profession sera mieux représentée à l’écran… En attendant, on se fit à ton jugement ! 😉

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À propos de Anne-Claudel Parr

Sexologue, Rédactrice | Pronoms: elle/la | Passionnée de plage, de voyage et de salsa, j’ai étudié en science politique, en psychologie, fait un certificat en psychoéducation et en espagnol avant d’atterrir en sexologie et de trouver ma voie (ben oui, c’est long se trouver parfois) ! Féministe intersectionnelle de cœur et de raison et membre de la communauté LGBTQIAP2S+, je pose un regard assez scientifique et théorique sur la sexualité, mais en essayant d’être moins plate que ton prof de socio au cégep. J’espère pouvoir élargir ta conception de la sexualité, dire ce qui n’est pas dit et jaser de l’éléphant rose. Ensemble, on va faire la deuxième Révolution sexuelle ! Embarques-tu ?

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