En ce grand jour de tapis rouge d’OD Martinique, j’avais envie de te jaser de monogamie, ou, plus précisément, des comportements toxiques liés à une monogamie qui nous est structurellement imposée. 

L’idée d’une non-monogamie consensuelle n’a jamais été même effleurée par les candidat·e·s et la production d’OD. L’aventure évoluant dans un cadre des plus monos et hétéronormatifs (cadre sans contredit à l’image de nos institutions), ce n’est pas trop surprenant que personne ne se soit « mouillé » (encore !).


Avant tout, la monogamie toxique étant un concept relativement nouveau sur les Internets et ne possédant pas encore de définition officielle, je juge pertinent de préciser ce que j’entends lorsque j’y fais référence. La monogamie devient toxique lorsqu’elle entraîne des comportements problématiques justifiés et normalisés et/ou qu’elle est interprétée comme une norme sociale à promouvoir et à respecter*.

*Source : moi. Remercions.

Tu comprendras qu’il est impossible de dissocier la sphère privée de la sphère politique en observant les origines de la monogamie. Force est de constater que ce phénomène a pris racine à l’élaboration des structures capitalistes, patriarcales, judéo-chrétiennes et coloniales de notre société occidentale. Le but de cet article n’est pas de se lancer dans une analyse progressiste desdites origines de la monogamie, mais plutôt de mettre en lumière certaines conventions sociales toxiques qui nous viennent de celle-ci. Les voici.

1. La monogamie est quelque chose de naturel et toute personne saine et normalement constituée la pratique aisément 

J’ai personnellement longtemps pensé que j’étais « brisée » ou inadéquate à cause de ce mythe. Loin de moi l’intention de me lancer dans un débat de type Nature VS Nurture. Cela dit, si la monogamie était quelque chose d’inné, je ne pense pas qu’autant de personnes seraient inscrites sur le site de rencontre Ashley Madison, dont le slogan est : Life is short. Have an affair.

La monogamie relève du construit social, tu l’auras compris, et ce n’est pas parce qu’on se la fait brainwasher depuis l’enfance que tout le monde est super bon au moment venu de passer du chapitre théorie au chapitre pratique. (Eh non, tu n’es pas un·e déviant·e sexuel·le si, comme moi, tu avais trois petit·e·s chums/blondes à la maternelle*.)

*Full disclosure : dans mon cas, ce n’était PAS du polyamour éthique et consensuel. Oui, il m’arrive encore d’avoir des remords.  

2. La jalousie et la possessivité sont deux choses normales et saines dans une relation amoureuse 

C’est correct d’imposer ses limites et de confier sa jalousie à san partenaire, mais, au bout du compte, la jalousie n’est pas et ne sera jamais quelque chose de sain. Tu n’es pas un monstre s’il t’arrive de te sentir jaloux·se en contexte amoureux, mais des comportements problématiques motivés par la jalousie ne peuvent pas être justifiés par amour. La jalousie, ça se désapprend, et ça peut même se désapprendre à deux* ! 

*Ou à trois, quatre, cinq, etc.

3. Être amoureux·se signifie n’être attiré·e par personne d’autre que san partenaire 

Cette croyance toxique participe à la culture du contrôle de l’autre en plus de renforcer l’idée selon laquelle l’affection serait un bien disponible en quantité limitée. Pour reprendre les mots de Jae Lin dans cet article sur le sujet : 

In relationships, this translates to the idea that when your partner feels love or affection for someone else, they will now feel less love or affection for you. This is a very limiting and paranoid way of looking at love, and it puts us at odds with the whole world.


4. Tan partenaire devrait répondre à tous tes besoins et désirs émotionnels, physiques et sociaux

Ceci nous force à « codépendre » de l’autre et à faire d’ellui le centre de notre univers. On commence à hiérarchiser nos relations et à vouloir performer au sein de celles-ci. On se met une pression énorme et on agit de sorte à plaire et satisfaire, négligeant nos propres limites. Cette conviction est d’autant plus néfaste auprès des femmes, parce qu’elle est, elle aussi, une conséquence directe des structures patriarcales de notre société. Ce n’est un secret pour personne : jusqu’à très récemment, les femmes n’avaient d’autre choix que de dépendre de leur mari. La célébration de la famille nucléaire, le capitalisme at large et l’implication de la religion dans la sphère privée n’ont pas aidé non plus. On ne s’en sort pas ! 

Bref, cette véritable doctrine nous a poussé·e·s à croire que toute personne ne satisfaisant pas toutes nos attentes n’était peut-être pas la bonne personne pour nous, qu’il existerait quelqu’un·e, quelque part, qui nous correspondrait plus, qui représenterait tout ce que l’on cherche… ce qui nous amène au prochain point :

5. Ta personne

Je ne sais pas trop s’il faut tenir la mythologie grecque responsable de la propagation de cette idée ou bien Nicholas Sparks.

Ce qui est sûr, c’est qu’utiliser des déterminants possessifs pour parler d’une personne qu’on aime, comme si on considérait celle-ci comme un bien matériel que l’on peut posséder, c’est vraiment weird quand on y pense plus que deux secondes.

Ensuite, croire qu’il existe LA bonne personne quelque part, ça vient avec son lot de complications. On développe des standards super élevés et lorsque le moindre trait de personnalité de quelqu’un·e ne correspond pas à ce que l’on recherche, on hésite, on se pose plein de questions, on se désiste. On passe nos vies à chercher quelque chose qui n’existe pas : le grand amour, l’âme soeur, notre tendre moitié, appelle ça comme tu veux. (J’ai personnellement déjà ghost un gars parce qu’il avait un poster de The Godfather dans son salon.)

6. L’arrangement d’un couple ouvert de style juste du sexe 0 feelings

« On est un couple ouvert, mais c’est juste pour le sexe. Le romantisme et les émotions, on garde ça entre nous. Pas le droit de coucher avec nos ex·e·s, mettons. »

Tu te reconnais ? Tu n’es pas seu·le, c’est correct. Si c’est un arrangement qui vous convient, à tan partenaire et toi, il n’y a aucune raison d’y renoncer. Par contre, je suis d’avis que 1) c’est important de comprendre d’où viennent nos comportements en tant qu’humains et 2) cet arrangement n’est pas nécessairement envisageable pour toute personne désirant ouvrir son couple. 

Pour certain·e·s (moi), ce type de relation comporte beaucoup plus de stress et/ou de risques qu’une relation « totalement » polyamoureuse. Mes sentiments ne font vraiment pas partie du top 5 des trucs que je peux contrôler dans mon quotidien (en fait, c’est probablement la dernière chose sur laquelle j’ai l’impression d’avoir du contrôle). Sans parler du fait que les feelings ne sont pas si faciles à classer ou à catégoriser, selon moi. Les gens que je rencontre ne se retrouvent pas automatiquement dans les catégories Ami·e·s ou Amours.

Cette perception ultra binaire des relations provoque chez moi (et beaucoup d’autres, j’en suis sûre) TELLEMENT de confusion ! L’amour que j’éprouve pour les gens autour de moi n’est pas calculable, quantifiable ou « échelonnable ». Les gens évoluent, nos désirs et nos besoins aussi. Comment déterminer si la complicité que je partage avec quelqu’un·e avec qui je couche relève d’« amitié avec bénéfices » ou plutôt d’Amour avec un grand A ? Aucun des deux ? Les deux ? Toute est dans toute.

7. Love always wins, love is stronger, love is louder, gnagnagnagnagna.

Digne d’un message perso MSN, cette croyance renforce l’idée selon laquelle le vrai grand amour serait sans limites et « plus fort que tout », autrement dit qu’il surpasserait nécessairement les multiples incompatibilités et difficultés au sein d’un couple. Nul besoin de préciser que la réalité est un peu plus complexe que ça. 

Le side effect de ce mythe, c’est qu’au moment de faire face à des périodes plus difficiles, on se dit que tôt ou tard, ça va se résoudre, un peu « par magie ». Toujours au nom de cet amour utopique, il arrive qu’on se mette à tolérer des comportements toxiques et à entretenir des relations malsaines. De même, si une relation prend fin, on va se dire « ellui m’aimait pas tant que ça, ce n’était pas du véritable amour… », etc. Or, comme dirait Céline : s’il suffisait qu’on s’aime, s’il suffisait d’aimer… 

8. L’amour est un sacrifice 

Une relation amoureuse n’est pas une offrande ou un abandon volontaire de soi-même. Don’t get me wrong, comme mentionné précédemment, être en relation sérieuse nécessite beaucoup de communication et certaines concessions. Cela dit, que ce soit ta carrière, tes ami·e·s, tes enfants, le temps que tu accordes à un hobbie… tes relations amoureuses ne devraient pas te pousser à sacrifier quoi que ce soit. De la même façon, on ne devrait pas s’attendre à ce qu’un·e partenaire priorise la relation au détriment de ses intérêts personnels. Une relation saine devrait pouvoir permettre à toustes de s’épanouir indépendamment de celle-ci.

9. Le fameux Relationship Escalator 

Attache ta tuque ! C’est en 2017 que l’autrice et journaliste Amy Gahran publie son projet de recherche intitulé Stepping Off the Relationship Escalator : Uncommon Love and Life. Concrètement, en quoi consiste ce fameux Escalier ? Je te fais un très bref résumé ici, mais, libre à toi de visiter cette page dédiée à la vulgarisation du concept en soi, ou bien de te procurer le livre. Le Relationship Escalator est LA trajectoire hétéronormative en 8 étapes que prennent les relations que l’on, en tant que société occidentale, considère comme valides, respectables et normales. 

Voici donc lesdites étapes (que j’ai pris la liberté de traduire) :

1. Le flirt, ou le moment de choisir son Top 1 : la première vraie prise de contact, le moment où t’es en mode cruise. Ça peut inclure les premières dates et les premières relations sexuelles, mais le tout dans une perspective très casual. Tu te « trimes » probablement encore les poils pubiens. Si tu es dans OD, ce moment peut avoir lieu dès le tapis rouge.

2. L’initiation : c’est là que tu te mouilles. Cette étape marque le début de l’investissement émotionnel mutuel, et si le premier contact sexuel n’a pas encore eu lieu, c’est là que ça se passe. C’est pas mal le timing limite. Direction La Maison de l’amour.

3. Le premier « je t’aime » (entre deux gorgées de Bulles de Nuit*) : en anglais, cette étape se nomme Claiming and defining. En gros, c’est le moment où tu déclares tes sentiments à l’autre, où tu lea présentes à tes ami·e·s, et où tu écris à tes matchs Tinder : scusez pardon, j’ai rencontré quelqu’un·e. C’est le moment où vous ditchez le condom (s’il est uniquement utilisé à des fins de protection d’ITSS), célébrant ainsi le début d’une relation exclusive. Si on est en 2009, c’est à ce moment que tu passes de célibataire à en couple sur Facebook.

*Facultatif.

4. La consolidation : c’est le moment où tu commences à gérer ton horaire en fonction de l’autre. Vous changez vos journées de congé pour les passer ensemble et vous avez désormais vos petites traditions du style Mardis Miami. (Idéalement, tu es sorti·e d’OD.)

5. Le point de non-retour : c’est le moment où tu t’engages pour de bon, l’heure du « vrai » commitment. Vous planifiez votre futur commun en tant que couple monogame et rencontrez vos familles mutuelles. Vous recevez probablement ces chandails à Noël :

6. Conjoint·e·s de fait : c’est le moment où vous emménagez ensemble, vous créez un compte conjoint et faites des investissements à deux. Il est temps de vous fiancer si vous avez l’intention de vous marier !

7. Maman, Papa : c’est le moment où vous vous mariez, vous achetez une maison ensemble, vous faites des bébés.

8. Vieillir ensemble : vous élevez les enfants, vous vivez dans ladite maison pour toujours jusqu’à ce que l’un de vous meurt. (Le mieux serait que vous mouriez ensemble comme dans The Notebook mais c’est pas donné à tout le monde ça a l’air.)

Tout ceci reflète assez bien l’importance que l’on accorde à l’exclusivité en contexte relationnel. À en croire l’Escalier, une relation ne pourrait être considérée comme sérieuse qu’au moment où elle devient exclusive. 

Toutes les relations queers et/ou évoluant un peu différemment que ce que dicte l’Escalier perdent de la validité aux yeux de la société et sont automatiquement sujettes à une tonne de questionnements.

  • Mais où s’en va cette relation ? Te vois-tu avoir des enfants avec ellui ?
  • Iel n’a pas encore supprimé Tinder de son téléphone, est-ce ça veut dire qu’iel ne veut pas commit ?
  • Est-ce que je dois attendre encore un peu avant de lui dire que j’ai des sentiments ? 

Conclusion ? Le culte de la monogamie et le Relationship Escalator sont en grande partie responsables de l’éternel shitshow que constituent nos relations interpersonnelles. 

On ne va pas se mentir, cela peut s’avérer relativement rushant de pratiquer la non-monogamie dans un monde où elle ne représente pas le style de relation dominant. Sans parler du fait qu’être monogame implique certains avantages sociaux et financiers significatifs, auxquels tout le monde ne peut pas se permettre de renoncer. Il est important de comprendre aussi que le straight privilege et le white privilege entrent en ligne de compte lorsqu’il est question d’explorer une sexualité dite « hors-normes ».

Cela dit, se défaire de conventions toxiques liées à une monogamie structurelle à laquelle on s’est collectivement retrouvé·e·s assujetti·e·s ne peut qu’être bénéfique, et ce pour tous les types de relations. Je suis consciente que l’idée d’avoir plusieurs partenaires n’est pas séduisante pour tout le monde, et c’est VRAIMENT correct. Le but ici est plus de déconstruire et de désapprendre des comportements nocifs pour nous-même et pour autrui, en contexte de relation monogame ou non.

Comme le dit Sophie K. Rosa dans son article Challenging Monogamy Is a Political Act :

For many people, non-monogamy is less about personal freedom, or even having multiple romantic or sexual partners – certainly not about building a new “respectable” dogma –  and more about exploring a philosophy that can disrupt hierarchies and binaries from within the relational sphere.

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À propos de Margot Chénier

Rédactrice et spécialiste des réseaux sociaux | Pronoms : elle/la | Diplômée en Études Féministes, je poursuis présentement mon parcours universitaire en Film Studies. Je suis une grande fan de tout ce qui vibre, qui brille ou qui pétille. J’ai Bye bye mon cowboy de pognée dans la tête 24/7. Je prends plaisir à mettre feu aux normes sociales pernicieuses et désuètes. On me qualifie parfois de «radicale», mais je ne vois pas ce qu’il y a de radical à vouloir anéantir la réputation de Woody Allen et la culture du viol. J’ai horreur qu’on utilise le terme vagin pour parler de vulve. Je passe le plus clair de mon temps à faire des rants contre la culture des diètes et le film Never been kissed. If you need me, I’ll be eating 5lbs of asparagus in the corner.

Une réflexion sur “9 mythes découlant du culte d’une monogamie toxique et systémique

  1. Andrée-Anne dit :

    Je suis en accord avec plusieurs éléments de ce texte, mais (et) je serais intéressée à t’entendre concernant les relations poly amoureuses et les enfants. J’ai du mal à le conceptualiser mais je suis ouverte à mieux comprendre.

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