Que ce soit dans un souper avec notre couple préféré, autour d’un verre avec notre gang d’ami·e·s ou dans une discussion pimentée sur l’heure du lunch avec nos collègues, on n’y échappe pas. La fameuse question qui se retrouve souvent au détour d’une confidence salée partagée sur notre relation : combien de fois tan partenaire et toi avez-vous des relations sexuelles ? Une question simple, mais qui peut prendre autant de détours linguistiques que de combinaisons sur ton cube Rubik.
Une pression pour iel, par iel
Pourquoi, lorsqu’il est question de sexualité dans notre relation de couple, notre réflexe souvent premier est de vouloir répondre à une norme, un barème à respecter ? Un nombre précis qui devient alors un exemple à suivre et qu’on est soulagé·e·s d’atteindre, mais stressé·e·s si ce n’est pas le cas.
Deux, trois, quatre fois, passez go et réclamez 200$, comme le demande si bien le Monopoly. Dans notre cas, c’est deux, trois ou quatre parties de jambes en l’air régulières, sinon on se réclame des maux de tête d’inquiétudes à savoir si notre sexualité en couple est « normale » ou non.
Maux de tête supplémentaires considérant que ce « nombre magique » est souvent quantifié de façon hebdomadaire. Il n’est alors pas étonnant d’en voir plusieurs être plus à l’aise de lâcher un petit mensonge exagéré quand vient le temps de répondre aux fameuses questions commençant par « combien » ou « à quelle fréquence » lorsqu’elles sont liées au sexe.
Un nombre « magique »… selon qui ?
Un simple clic sur Google nous permet de trouver une centaine d’articles qui semblent avoir trouvé la recette parfaite pour une sexualité épanouie en couple. Des recettes basées sur des études qui se confirment et s’infirment entre elles à la vitesse que notre souris descend la page web. Ces études dictent d’ailleurs un nombre magique en se fiant, majoritairement, sur une science à la méthodologie questionnable… les sondages populationnels.
Selon le dictionnaire Larousse, les sondages consistent en une « interrogation rapide de quelques personnes pour se faire une opinion générale ». Donc, selon cette logique, ce seraient ces quelques personnes qui, après avoir répondu à des questions concernant leur situation personnelle, détermineraient la norme générale en matière de sexe. Depuis quand le vécu de l’un·e devient-il le vécu de toustes ?
Selon une étude réalisée entre 1993 et 2006 auprès de 15 000 personnes et publiée dans la revue Social Indicators Research, les résultats démontrent qu’outre le nombre de rapports sexuels, le niveau de bonheur d’un couple est significativement plus élevé si leur fréquence dépasse celle des voisin·e·s.
À croire que l’auteur de l’étude met de l’avant le fait que le nombre à atteindre est davantage lié à la pression d’une validation sociale qu’à la motivation intrinsèque des seules personnes qui comptent réellement dans l’équation.
Ainsi, dans un monde où on est surexposé·e·s à des titres accrocheurs, tels que « combien de fois dois-je faire l’amour pour être normal·e ? » ou « ai-je assez de rapports sexuels pour combler man partenaire ? », comment croire qu’une norme déterminée par une population à la recherche de validation peut être véridique ? Serait-il possible de croire que nous sommes à la fois les aliéné·e·s et les aliénant·e·s ?
Je vois, donc je crois
En allant à la source du faux « nombre magique », il est impossible de nier l’impact majeur de la réalité dans laquelle nous vivons à savoir que l’hypersexualisation est présente dans tout ce qu’on consomme, et ce, depuis notre enfance. D’ailleurs, 70% du contenu présent sur internet est lié au sexe.
Donc, dans un monde où voir de la sexualité est grandement plus simple qu’apercevoir le soleil en janvier, peut-on croire qu’associer le sexe à une norme quantifiable est le résultat de nos perceptions altérées ?
Ça expliquerait bien le fait qu’on est souvent capable d’associer les relations sexuelles à un nombre, mais qu’on est incapable d’associer ce nombre à une source tangible. À moins qu’on soit toustes victimes d’un lavage de cerveau et qu’on ait oublié la source… not.
Le sexe fait vendre, qu’on entend… et bien, son omniprésence nous fait même acheter l’idée qu’on doit en avoir selon une norme X pour être heureux·ses.
Compter le sexe comme on compte les moutons
Pour compter quelque chose, il faut déjà savoir ce qu’on compte. On cherche à mettre un nombre sur des termes comme « relation sexuelle » ou « faire l’amour ». En d’autres mots, comment compter l’incomptable ?
Relation sexuquoi
Tentons de nous aider avec les définitions. Une « relation sexuelle complète » serait définie par la pénétration vaginale ou anale. En ce sens, doit-on en comprendre qu’une relation sexuelle qui n’implique pas de pénétration n’en est pas une ? Étrange.
Le terme « préliminaire », quant à lui, est défini comme étant un commencement ou quelque chose qui prépare à autre chose de plus important (mettre ici la relation sexuelle complète). Donc, fait-on l’amour quand on fait des préliminaires ?
Le caractère réducteur des termes couramment utilisés pour définir la sexualité nous amène à adopter une vision pénétrocentrée des rapports sexuels, en plus de les lier uniquement à la génitalité. Dans cette vision, on assume qu’une hiérarchie des pratiques sexuelles existe et que pour être considéré comme du « vrai » sexe, la pénétration est obligatoire.
En plus d’être extrêmement limitante, cette perception du sexe est hétéronormative, cissexiste et centrée majoritairement sur le plaisir de l’homme ainsi que sur l’objectification de la femme. Et dans tout ça, absence du sexe en solo. C’est possible d’arriver en 2023 ?
C’est bon les salades de fruits
À vouloir compter le sexe comme on compterait les clémentines qu’on achète à l’épicerie, on se met une pression à devoir limiter notre éventail de pratiques sexuelles à une seule. On oublie que dans « relation sexuelle », il y a le mot relation et que dans « faire l’amour », il y a le mot amour.
La sexualité devrait donc être vue comme le fait de faire quelque chose qu’on aime peu importe la forme que ça prend. On doit se rappeler que le sexe peut s’exprimer de différentes façons qui impliquent, ou non, les organes génitaux.
Une caresse subtile en dessous de la table au resto, une promenade main dans la main remplie de fous rires, un french langoureux avant d’aller travailler ou une nuit à dormir en cuillère… voici aussi de belles façons d’exprimer notre intimité. L’important c’est d’aimer le moment intime qu’on partage avec notre partenaire, kamasutra ou pas.
Alors, la prochaine fois qu’on se retrouvera face à une question sur la fréquence des relations sexuelles qu’on a en couple, on n’hésitera pas à dire que c’est difficile à compter en raison de toutes les belles choses que ça implique. Pourquoi parler uniquement des clémentines quand on peut parler des fruits au complet ?
Quand je trippe plus sur notre nombre que sur nous
Voir le sexe comme un nombre, c’est aussi le voir monter ou descendre au fil des élans de la relation. Un peu comme l’effet d’une montagne russe, on est fébriles et excité·e·s quand ça monte, mais quand ça descend, on peut badtripper et se demander pourquoi on s’inflige ça.
Quand inconsciemment notre nombre est au premier plan
L’enjeu arrive surtout quand on regarde plus le nombre que ce qui se cache derrière sa fluctuation. En voyant avant tout le trop, le suffisant ou le pas assez de sexe, on peut oublier de voir sa diminution ou son absence comme étant le symptôme d’autre chose. On peut donc se mettre une pression à devoir avoir du sexe pour respecter le « nombre magique », mais en ayant encore le cœur pris en haut de la montagne russe.
Le stress, un événement de vie difficile, la grossesse, le manque d’éducation sexuelle, les exigences du quotidien, les conflits conjugaux, les écarts de désir et j’en passe, sont tous des facteurs qui peuvent être derrière les variations du nombre (Sims et Meana, 2010 ; Trudel, 2008 ; Wood, Koch et Mansfield, 2006).
Comme les montagnes russes, notre nombre s’en fout qu’on aille manger un gros combo poutine-hot-dog, qu’on pense juste à notre semaine de job qui s’est mal passée et qu’on vienne de se chicaner pour la troisième fois de la journée avec notre précieux·se. Dans ce contexte, comme le sexe, si on ne pense pas à tous ces facteurs avant la montée, le manège va être pas mal moins le fun.
Quand consciemment on le met au second plan
Quand on met de l’énergie uniquement sur notre nombre, on oublie de l’utiliser comme un allié. Une donnée qui peut nous aider à analyser ce sur quoi on doit travailler pour se sentir bien.
Trop, suffisamment ou pas assez de sexe ? Quelle serait ta réponse quand tu penses à la fréquence à laquelle tu en as ? Ta réponse à toi… pas celle des sondages. Au-delà du nombre, il est important d’évaluer notre propre satisfaction face à la sexualité. C’est en se demandant si on est bien ou non avec notre nombre et nos contacts intimes en général, sans égard aux fausses normes, qu’on peut trouver sur quoi réellement travailler si ce n’est pas le cas. En rejetant la fausse idée selon laquelle une fréquence idéale existe, on met les besoins du couple et de chaque personne qui le constitue en premier.
On dit salut à la communication, au consentement, au plaisir recherché et travaillé, à l’ouverture et à la liberté de pas toujours bien feeler. En même temps, on dit bye à la pression, à la validation des personnes extérieures au couple et à la perception que le bonheur en relation implique la même recette pour tout le monde.
Petit rappel, notre satisfaction rime surtout avec…
- Les façons qui nous appartiennent de vivre notre sexualité. Que ce soit en duo, en solo, en trio, avec les organes génitaux, les yeux bandés ou sans les mains, l’important c’est de faire ce qu’on aime. Le sexe à notre couleur, c’est le best.
- Désir, complicité, plaisir, consentement et communication, et non avec le fait de répondre à une norme imaginaire. Essaye, tu m’en reparleras. 😉
- Les ingrédients qui nous sont nécessaires pour que nos relations sexuelles soient le fun et qu’elles répondent à nos besoins. Que ce soit le bon timing, des bonnes jokes, une date romantique, une semaine tranquille à la job, une séance de méditation, l’absence des enfants, du sexe planifié ou whatever.
Notre satisfaction sexuelle rime avant tout avec nous, et ce, dans tout ce que ça implique.