Unpopular opinion : on fait toustes partie de plusieurs relations, qu’on soit polyamoureuxes ou non. Eh oui !

En tant qu’individu·e·s distinct·e·s, on entre en relation avec chaque personne en face de nous, d’une manière ou d’une autre. Ces relations couvrent une vaste gamme d’expériences, d’interactions et de sentiments possibles. Entre amant·e·s, amix, membres de familles biologique ou choisie, collègues, étranger·ère·s et même soi-même, finalement. L’attirance, ça se vit de toutes sortes de façons différentes, toutes aussi valables, riches et profondes les unes que les autres.

Lorsqu’on entend le mot « attirance » pourtant, nos sociétés occidentales modernes nous entraînent à y déceler un enchevêtrement présupposé — et attendu, ce qui pose toute une série de problèmes que tu devines peut-être — d’attirance affective, romantique, sexuelle, et j’en passe.

Être en couple, nous disent les médias, la religion, la loi et nos pairs, ça doit vouloir dire être romantiquement, sexuellement, intellectuellement attiré·e par une unique personne. Et si ce n’était pas le cas dans toutes les relations ? En fait, c’est souvent loin de l’être pour toustes, car on rencontre rarement des gens pour combler l’entièreté de nos désirs et matcher tous nos traits et intérêts. Si tu trouves tout ça dans une seule et même personne et que ça dure, tu as tiré dans le mille ! 🎯

Pour faire le tri dans tout le beau qu’on vit et veut, on te propose une petite liste non exhaustive d’attirances potentielles entre êtres humains. À toi maintenant de porter un regard explorateur sur tes relations et de t’interroger sur ce qui te tire vers chaque personne qui t’est chère. Pourquoi ne pas faire du dessin en même temps, et créer ta propre version de ce qu’Alice nomme The Chart dans la fameuse série L Word  ! N’oublie pas que plusieurs attirances ont tendance à se mêler dans un même sentiment interpersonnel.

L’attirance platonique : « Wow, t’es dont ben cool toi ! Laisse-moi baigner dans ton aura. »

La relation platonique est habituellement comprise à l’inverse de la relation amoureuse, sexuelle ou autre. Pourtant, elle peut comporter énormément d’intimité, que celle-ci soit émotionnelle, physique ou autre. Pense au gros bromance, aux besties inséparables. On est rarement proche de quelqu’un·e pour rien ou contre son gré, alors voilà que quelque chose nous interpelle chez cette personne. Cette attirance platonique peut certainement se décliner en diverses sous-catégories en fonction de ce qui vient te chercher chez cette personne que tu admires. Est-ce un charisme à tout casser ? Est-ce une attirance énergétique ?

Certaines personnes sont confortables à entrer en relation investie avec quelqu’un·e, mais de manière platonique. De là peut aussi naître un queer platonic life partnership ! Si deux ou plusieurs amix s’entendent si bien qu’iels veulent partager leur quotidien, pourquoi ne pas le faire ? La marche est-elle si grande entre être colocs et choisir d’acheter une maison ensemble et de s’entraider, car on se fait confiance ? Ou encore d’élever des enfants à partir d’une relation amicale forte, qui risque de durer plus longtemps qu’une relation amoureuse basée sur une passion physique qui, on le sait, tend à diminuer après un certain temps. Ainsi se tissent les liens d’une famille choisie.

L’attirance filiale/protectrice : « Je t’aime comme mon sang, je veux prendre soin de toi » 

Qui dit qu’un impératif de tranche d’âge doit régner sur les relations interpersonnelles ailleurs qu’en famille et qu’au travail ? L’âge ou l’expérience de vie — indépendamment de cet âge, au fond — font en sorte qu’on puisse fortement désirer prendre une personne sous son aile, ou bien se sentir protégé·e par quelqu’un·e qui nous donne l’impression d’avoir une sagesse inépuisable et rassurante. Désir presque parental, voire adelphique, besoin d’assurer que tout soit procuré à son être cher.

L’attirance intellectuelle : « Toi là, je veux m’abreuver directement de ton cerveau »

Sapiosexuel, anyone? Ce terme connote l’attirance intellectuelle qu’on peut avoir envers quelqu’un·e qui fait vraiment remuer nos méninges. Les mots fusent, les idées s’approfondissent, on veut grimper dans le cerveau de l’autre et connaître intimement ses mécanismes et sa manière de fonctionner. Perso, je considère depuis longtemps mon meilleur ami d’université l’une de mes âmes sœurs ! Nous sommes partenaires de compréhension du monde, et nous passons des heures en conversation, déambulant bras dessus, bras dessous.

L’attirance affective : « Ça me fait du bien de te donner de gros, longs câlins »

Tu as certainement déjà remarqué que ce n’est pas avec tout le monde que tu trouves la même sorte de soutien. Mettons que t’es en peine d’amour, et que tu as le choix — un équilibre, idéalement ! — entre deux amix pour t’aider dans tes misères ; l’un·e va te régler tout ça avec une claque sur l’épaule, un bon gros « fuck ellui, iel te mérite pas et je lui passerai moi premier·ère une belle raclée si iel ose te refaire mal ». L’autre, c’est ton ami·e de qui tu es vraiment proche, auprès de qui tu recherches une consolation toute en câlins et minouches. Attirance affective !

On peut en effet se sentir apaisé et joyeuxe dans les bras de quelqu’un·e avec qui on a une relation affective intime. Cette tendresse recherchée dans la proximité d’un autre être humain ne « mène » pas nécessairement à quoi que ce soit d’autre que ces moments précis de bien-être, de soutien, de présence et d’amour.

Petit exemple : l’un de mes meilleur·e·s amix, grand amour avec qui ça a toujours été platonique, ne manque pas de dormir dans mes bras lorsque nous faisons un sleepover. Son chum prend le lit dans l’autre pièce !

L’attirance romantique : « Douce moitié, je veux passer la soirée à admirer les profondeurs de tes yeux »

Faisons appel aux tropes usés, mais jolis des rom coms hollywoodiennes, comme de longues séances de plongée dans le regard l’un·e de l’autre, des rendez-vous galants et luxueux, la personne masc qui tient la porte et sort la chaise pour sa fem, les bains bourrés de bulles et de pétales de roses, les propositions de mariage grandioses : là, c’est vraiment un couple romantique traditionnel qu’on entrevoit. Ici, on tombe amoureuxe — mais il doit y avoir un « tomber en amour » qui se détache du romantisme, non ?

C’est loin d’être tout le monde qui a les mêmes désirs de montrer son amour par tous les gestes romantiques qu’on connaît bien, mais vers lesquels pas toustes ne tendent : se tenir la main dans la rue, se faire des cadeaux et surprises, profiter de langoureux dîners aux chandelles… Toujours est-il que l’attirance romantique va souvent de pair avec un souhait de s’investir, de partager sa vie et de se lier émotionnellement en profondeur.

Le romantique, est-ce que c’est pour toi profiter du silence de la forêt avec tan partenaire en grimpant une montagne ? Cuisiner ensemble quelque chose que vous aimez ? Se balader pour redécouvrir vos coins préférés du quartier ? Tiens, prends cette occasion pour dresser une liste de choses qui te font rêver ! Elle te servira peut-être lorsqu’il sera question de négociations de couple, lorsqu’il est bon d’avoir dans ta poche arrière des stratégies que tu sais qui te font du bien.

L’attirance érotique/sensuelle : « On flirte un peu, beaucoup, à la folie, passionnément »

As-tu déjà senti monter le niveau de sexy dans la pièce et voulu goûter les lèvres de l’heureuxe coupable devant toi, sans nécessairement vouloir plus ? Aimes-tu en rajouter fort dans le tease et le jeu des paroles évocatrices, ou bien attiser le corps avec lequel tu joues au shibari, en ne désirant pas forcément que le tout tourne à une partie de baise bestiale ? Peut-être que la distinction entre faire l’amour et avoir du sexe se trame aux bordures floues entre l’érotisme et la sexualité. Ça pourrait expliquer comment l’électricité qui passe entre des doigts qui se frôlent et dont le courant courre à mille à l’heure partout dans le corps d’un coup de foudre donne l’impression plus intense de faire l’amour parfois que la pénétration. L’attirance sensuelle représente le désir de toucher ou d’être touché·e, et se rapproche probablement de l’attirance affective.

L’attirance sexuelle : « Juste à te regarder j’ai l’goût de te déshabiller on the spot »

La porno nous l’enseigne rapidement, il peut y avoir sexualité sans érotisme et sans amour. Les gestes sont une mécanique qui peut être recherchée pour satisfaire les envies de son corps. Néanmoins, au sexe non sensationnalisé dans la vraie vie se mêlent souvent — mais pas tout le temps — sensualité, romantisme, et bien d’autres dynamiques émotionnelles qui dépendent du moment et des personnes en jeu. Petit devoir d’introspection : recherches-tu plus une sorte de contact interpersonnel lorsqu’il est question de ton corps ? Est-ce que ça varie ? En raison et fonction de quoi/qui/comment ?

À quoi ça sert de faire ce partage ?

Pourquoi, demandes-tu, est-il intéressant d’établir ce genre de distinctions entre les sortes — plutôt que de dire des niveaux ou des degrés, car il n’y a pas ici de hiérarchie généralisable, voire peut-être de ranking personnel1 ?

D’abord, ces différenciations permettent d’emblée de comprendre le spectre ace. Les personnes asexuelles ne ressentent pas d’attirance sexuelle, mais sont peut-être heureuses dans des relations romantiques ou affectives, ou même platoniques. Les personnes aromantiques, qui n’ont pas d’investissement amoureux en règle générale, ressentent peut-être de l’attirance sexuelle ou un désir d’avoir des relations affectives. Et le spectre ace comporte bien d’autres identités à découvrir, dont la demisexualité (n’être attiré·e sexuellement que par des gens envers qui on a une attirance émotionnelle préalable) et le demiromantisme (ressentir peu ou pas d’attirance émotionnelle s’il n’y a pas déjà une forte connexion érotico-sexuelle).

En réalisant qu’il existe divers types d’attirance et de manières d’entrer en relation les un·e·s avec les autres, on en vient à reconnaître que ce n’est pas avec chaque personne qu’on ressent toutes ces sortes d’attirances. Ça n’empêche pas qu’on veuille et puisse avoir de fort belles dynamiques relationnelles qui comportent une ou plusieurs de ces sortes d’attirances. En plus, tout ça laisse place à la fluctuation. Pense par exemple à un couple marié depuis vingt ans ; l’attirance sexuelle passionnée a peut-être diminué avec le temps, mais l’érotisme peut être un acte choisi intentionnellement et l’affection platonique ou intellectuelle est raison à elle seule que cette relation soit valide, valable et riche indépendamment des autres dimensions d’attirance qui ont changé ou se sont estompées au fil des ans.

Par ailleurs, ces distinctions dans l’attirance aident de surcroît à comprendre son orientation. Comment ? Eh bien imagine donc qu’il y a beaucoup plus de nuance apportée dans l’orientation par toutes ces sections de l’intérêt que tu peux avoir pour une ou des personnes. Tu peux être à la fois homosexuel·le et hétéroromantique, comme par exemple (simple) un homme qui préfère s’envoyer en l’air avec d’autres hommes — il est androsexuel —, mais n’aime être en couple qu’avec des femmes — et gynéromantique2. Ou bien, tu peux être en même temps aromantique et pansexuel·le. Ou encore, skoliosexuel·le, c’est-à-dire attiré·e d’abord et avant tout par des personnes genderqueer, trans et non binaires !

Les combinaisons sont innombrables, et elles nous rappellent qu’il est rare qu’une seule et même personne comble l’entièreté de nos besoins, désirs et attentes. Clarifier les distinctions et trier un peu tout le fouillis de sentiments qu’on ressent, ça nous met déjà sur la bonne voie pour nous détacher de l’espérance — hollywoodienne, catholique, à toi d’accuser les coupables… — irréaliste qu’il existe un seul être humain qui te satisfera en ce moment, sans même penser à toute une vie.

Autres indices

Sur un autre plan, scinder la grande catégorie de l’attirance en sortes distinctes permet aussi d’aborder des discussions de couple importantes, qu’elles soient polyamoureuses ou non. Voici quelques questions à envisager :

  • Est-ce que je suis confortable avec le fait que man partenaire soit en relation (explicitement comprise ainsi ou non) avec un·e meilleur·e ami·e proche avec qui iel partage de l’affection, ou bien une grande attirance intellectuelle ?
  • Est-ce que je suis à l’aise lorsque man partenaire partage des espaces sexuels avec autrui, mais je me sens blessé·e lorsqu’iel a des désirs romantiques pour d’autres que moi ? Est-ce le contraire ?
  • Est-ce bien de ma part de m’attendre à ce que man partenaire qui m’aime romantiquement m’offre son corps sexuellement ou érotiquement si iel est ace ?
  • Etc. 

Qu’en penses-tu : y aurait-il d’autres sortes d’attirance à rajouter à cette liste selon ton expérience ? Peut-être l’attirance esthétique, l’attirance par proximité, l’attirance sensorielle… Quelles situations ces distinctions permettraient-elles à ton avis de mettre en lumière ? À qui ou quoi donnerait-on par le fait même lieu d’exister ?


Quelques pensées…

1 Réfléchissons un moment de plus à cette idée. Ne seraient-ce pas les traditions religieuses qui ont implanté artificiellement cette imposition selon laquelle l’attirance romantique qui mène au mariage est sacrée, tandis que l’attirance érotique est absolument condamnable si elle existe hors du couple en question, voire si elle ne mène pas à l’acte de procréation ? Quelqu’un aurait décidé à un moment donné il y a des millénaires — pourquoi l’écoute-t-on encore ? — que la pénétration pénis-vagin était le seul acte sexuel naturel et valable, ce qui a contribué, jusqu’à la porno contemporaine, à effacer et à maudire une énorme gamme de gestes et d’attirances varié·e·s qui font pourtant partie intégrante de l’expérience humaine, depuis, genre forever and ever and ever. Va donc voir du côté des animaux qui exhibent les mêmes comportements que nous.

2 Vu la pluralité des genres pourtant, j’ai de la difficulté à admettre que l’utilisation des préfixes « homo- » et « hétéro- » ne soit pas complètement dépassée. Comment parler en effet de « même » genre et de genre « opposé » ? Comment faire référence à UN genre opposé s’il y a une infinité de genres opposés au nôtre ? Un gars qui se campe défensivement dans son hétérosexualité macho serait-il donc en train d’affirmer qu’il aime tout le monde sauf les autres gars hétéro machos, incluant les femmes trans, les hommes trans, les personnes non binaires… ? Même la définition du « même » tombe à l’eau là-dedans, puisqu’il n’est plus clair du tout si les personnes cis et les personnes trans sont à comprendre ensemble ou séparément. Va donc lui expliquer ça, toi, au dude 10 000 % hétéro ! Entre nous — t’inquiète pas, il est trop occupé à se faire des yeux doux dans le miroir en tâtant ses muscles —, voici un remède intrigant : utilise plutôt les préfixes « andro- » pour parler de la masculinité et « gyné- » pour parler de la féminité, ainsi que « skolio- » pour faire référence au parapluie trans. Mais encore ici, mettons que l’homme hétéro plus ou moins classique qui possède heureusement une intelligence émotionnelle minimalement actuelle réalisera peut-être que s’il est généralement gynésexuel mais attiré aussi par certaines personnes non binaires, il risque de devoir commencer à se comprendre comme queer. Comme l’a bien dit ma bonne amie Catherine, il est mathématiquement impossible que le(s) gars « hétéro(s) » qui a/ont apprécié quelques bonnes sessions de make out et cie avec moi ne soient pas queer !

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À propos de Elyx Desloover

Rédacteur·rice pigiste | Pronoms: iel/ellui | Joyeusement gamin·e, j’aime provoquer les gens à jouer. Avec les mots comme les idées, les corps, les identités. Je trouble à dessein les sols sur lesquels on se promène sans y penser. J’interroge et fais réfléchir celleux qui m’entourent pour déconstruire les concepts réducteurs de nos belles et fluides multiplicités. Suite à des études de bac et de cycles supérieurs en philosophie et en littératures, je me consacre à un doctorat en études culturelles axé sur des enjeux trans, féministes et abolitionnistes, la justice transformatrice par le care et les politiques du plaisir. Je vise à soigner ce que je peux grâce aux remèdes naturels, à la cuisine remplie d’amour et de plantes, puis au yoga dont je suis professeureuse. Mon temps libre se trame aussi de rituels intentionnels valorisant la connexion à soi comme à autrui et au monde – communication transparente, tarot, pendule, pleine présence. Que peut-on donc créer ensembles à partir des failles de systèmes morcelés, le poème à la bouche et le sourire dans les yeux?

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