Certaines personnes préfèrent rentrer sans attentes dans la salle opératoire pour éviter de stresser en s’informant en détail avant le grand jour. D’autres sont confortées par une certaine quantité de préparation, trouvant que c’est plutôt ça qui leur évite de mauvaises surprises et leur calme les nerfs. Si tu es parmi ces dernières et que tu t’armes d’une collection d’histoires provenant de ta communauté en personne ou en ligne pour te faire une idée de ce qui pourra (ou non !) t’attendre avant et après ta chirurgie de poitrine trans et/ou non binaire ainsi que durant ta convalescence, voici un témoignage personnel qui pourra aussi contribuer à soulager de l’anxiété ou de l’incertitude.
Le jour J, pour « jette-moi enfin ça, et que ça saute ! »
… Ou dans mon cas, « aïe aïe aïe ! Suis-je vraiment décidé·e à quitter le corps que je connais pour sauter poitrine première dans l’expérimentation de genre(s) ?! » La peur du changement est naturelle, en particulier lorsque ton corps, comme ton ou tes genres, ne fit pas particulièrement confortablement dans une image ou un récit binaire. Pour moi, les hormones et la chirurgie ne sont devenues des options intéressantes qu’après une quinzaine d’années de relatif confort et de tolérance de mon corps tel qu’il était. Et encore, je n’ai jamais ressenti une certitude arrêtée.
Plus la journée de mon opération approchait, plus mon courage d’expérimenter pâlissait face à la peur de la douleur, du rétablissement long, et face aussi à l’incertitude que j’allais effectivement apprécier le nouveau corps que je m’apprêtais à me faire façonner. Alors que les hormones permettent des changements graduels (qui se font parfois très rapidement tout de même), la chirurgie, c’est vraiment s’endormir avec un corps et se réveiller avec un autre, pour le meilleur et pour le pire. Comment faire sens de ce genre d’amputation d’une partie de soi qu’on a connu depuis si longtemps et aimé jusqu’à un certain point ou un certain temps ?
Plus j’y pensais, plus ça me foutait la frousse, mais je me rappelais tout le temps et l’inconfort que j’avais passé avec cette poitrine que je ne reconnaissais pas. J’y avais vécu une dizaine d’années et le temps qui avançait ne lui serait certainement pas clément. Je pouvais donc m’en départir comme d’un ancien chandail que j’avais bien aimé porter de temps à autre, mais qui ne me faisait plus, autant en taille qu’en style. J’ai du mal à lâcher prise pour ça comme pour un peu de tout, surtout quand mon inconfort dans ce corps était, non comme l’incertitude de ce qui m’attendait, familier.
Prêt·e, pas prêt·e, je me décidai à sauter dans cette nouvelle aventure effrayante, étrangère et incertaine, tout en sachant que si je voulais changer d’idée, je pourrais toujours le faire jusqu’à la dernière seconde avant qu’on me mette le masque d’anesthésie1.
1 En fait, un·e ami·e à moi m’avait aussi fait la remarque qu’il n’est jamais trop tard pour éventuellement choisir une autre chirurgie. Pourquoi, en effet, ne pas changer son genre maintes fois ? Rien n’empêcherait quelqu’un·e qui s’est départi·e de ses seins de se faire faire des implants, même s’ils étaient différents. De nouveau, imaginons un peu ce que ça veut dire, que le trajet ne soit pas nécessairement en ligne droite ou terminé à un certain point…
Préparation préopératoire
La nuit précédant le jour de la chirurgie, je prends ma dernière douche pour un bon bout de temps, en me lavant le torse avec un savon antibactérien spécial ordonné par l’équipe chirurgicale. J’enlève les piercings aux nipples qui m’ont fidèlement accompagné·e pendant une décennie, et la réalité commence vraiment à me frapper (ça, et la réalisation que je me les étais probablement fait percer pour combattre ma dysphorie à 17 ans…). Je prends les dernières photos de mes seins pour commémorer leur existence, pour le meilleur et pour le pire. Je m’assure de ne rien manger après minuit pour jeûner pour la chirurgie, et je jette un coup d’œil sur toutes mes préparations pour le lendemain et les jours qui viennent.
À la clinique
En rentrant au GrS Montréal tôt le matin, man partenaire et moi sommes reçu·e·s aimablement par des préposé·e·s à l’accueil. Pas de stress ici quant à la connaissance et au respect des gens en question : chacun·e fait bien attention aux pronoms et on ne trouve pas trace de jugement ou d’incompréhension comme ailleurs dans notre système de santé privé ou public. On me demande de remplir des documents qui prennent un certain temps, puis on nous conduit vers la véritable salle d’attente, où une demi-douzaine de lits se cache derrière des rideaux pour celleux qui attendent leur tour, et pour les autres pour qui c’est plutôt le retour à la maison lorsque l’anesthésie se sera estompée. Discussion plaisante — le plus possible étant donné la peur qui m’anime — avec l’infirmière responsable, qui vérifie mes documents et me remet des anti-inflammatoires et des antidouleurs ainsi que des bracelets d’hôpital.
Après plus d’attente anxieuse auprès de man partenaire fébrile, le docteur Alex Laungani m’a vu·e en privé pour prendre mes dernières questions et dessiner au sharpie noir (!) les lignes de coupe de la chirurgie qu’il allait performer quelques instants plus tard sur ma poitrine. C’était curieux de n’avoir eu qu’un bref moment pour observer le dessin de ce qui s’en venait, en cherchant à me figurer les pans de chair, de tissus et de glandes mammaires qui allaient se faire extraire pour refermer les pans de peau du haut et du bas de cette mastectomie bilatérale.
J’ai attendu debout awkwardly dans le couloir à la porte de la salle opératoire pendant ce qui m’a paru une éternité, et réalisé que je pouvais voir man partenaire par la fenêtre, dans la cour en bas. On s’est fait de grands signes en rigolant, et ça m’a aidé à me calmer un peu.
En rentrant dans la salle, plusieurs visages m’accueillent et on me fait rapidement les présentations. Je me couche sur cette drôle de table en métal qui ressemble à une grosse croix, on m’y attache (question de sécurité, mais ça n’améliore pas le trac), et on m’explique le procédé d’anesthésie générale. En quelques secondes, je sombre.
De l’autre côté !
Au réveil sur la table d’opération, les infirmier·e·s s’affairent à ranger la salle comme si je n’y étais même pas. Business as usual, pour ces gens qui en voient toute la journée. Je fais un commentaire quelconque et on me dit que je suis réveillé·e et que je vais sortir bientôt. On me roule en civière dans la salle d’attente, et je retrouve man partenaire derrière le rideau. Les souvenirs sont flous ici, et je me rappelle éventuellement me réveiller de nouveau dans la brume pour boire un peu d’eau par une paille et pour tenir des sacs de glace sur ce torse qui me paraît écrabouillé. Lorsque je me sens assez fort·e pour m’asseoir, je réussis à me trimbaler (mieux que je ne l’aurais pensé) jusqu’aux toilettes avec l’aide d’un infirmier qui m’aide à rouler mon poteau de fluides avec moi. Quand je retourne à mon coin de rideau, je suis cleared pour échanger ma robe d’hôpital pour mes vêtements. Pendant que j’enfile tout doucement ma chemise à boutons avec l’aide de man partenaire, la tête me tourne de l’anesthésie et du fait de jeûner quand je cherche à regarder ma poitrine toute bandée, mais plate — ou il faut croire en tout cas, vu que les bandages sont épais et que j’enfle certainement déjà là-dessous. Tellement étrange…
Je clopine tranquille jusqu’à la sortie du bâtiment. Un Uber vient nous chercher. Même en demandant au chauffeur d’aller lentement et en portant contre moi un coussin spécifiquement fait pour protéger ma poitrine endolorie de la ceinture de sécurité, les mouvements de la voiture et la route cahoteuse du long trajet de retour sont pénibles.
En rentrant à la maison, c’est man partenaire qui s’écroule en premier de stress, d’émotion et de fatigue. Je finis par m’occuper de nous procurer un peu à manger pendant que mon coloc se charge d’aller chercher ma prescription d’antidouleurs à la pharmacie. Je me sens plus capable de bouger et de faire des choses que je ne l’aurais imaginé. Après quelques moments et avec l’anesthésie qui quitte tranquillement mon système, mon corps commence à se rendre compte de ce qu’on lui a fait comme coup et se met à protester en perdant haleine.
Semaine 1 : apprivoiser la douleur
Régime strict de glace aux demi-heures, de médicaments prescrits et d’herboristerie conseillée et/ou recherchée à l’avance, même si je réussis à éviter complètement les narcotiques en ne prenant que du Tylenol. À ma grande surprise, je ne sens pas beaucoup de douleur (youpi !). Rarement plus d’un 3 sur 10 depuis la sortie de l’hosto, en partie grâce au choix de ne pas avoir opté pour la greffe de mamelons. Cela n’empêche néanmoins que je me retrouve véritablement débilité·e par mon attirail du moment… Entre les drains qui pendouillent des bandages serrés ou de mes vêtements en fonction de l’humeur de la journée, la compression accompagnée du ice pack que j’ai baptisé Frédéric tellement c’est devenu mon nouveau meilleur ami, et mon corps indouchable pour le moment, j’évite de trimbaler tout mon train-train. Heureusement, plusieurs amix viennent me prêter main-forte pour remplir mon verre d’eau ou ma tasse de thé-remède, me porter des plats à manger, et replacer la montagne de coussins qui me permet de trouver un certain confort. Je passe les premières journées post-op à somnoler sur une chaise qui peut s’ajuster de position assise à position complètement allongée.
Un drôle de workout
Surprise à l’horizon, côté douleur ! Ce n’est pas tant ma poitrine qui me fait mal, mais plutôt mes abdos ! Eh oui ! Savais-tu que sans bras pour pousser, freiner ou même simplement créer un poids de levier vers l’avant, nos petits muscles de bedaine se coltinent une sacrée tâche tout à coup ? À chaque fois qu’il est nécessaire de s’abaisser dans un siège ou de s’en lever, tout comme de se déposer le dos dans son lit, appel général à tous les abdos des environs pour assister au travail inattendu. Résultat, moi qui pensait perdre du muscle, eh bien je semble en avoir gagné. Malgré ce petit bonus, pourtant, le workout inespéré contribue rapidement à l’épuisement général d’un corps déjà sous le choc qu’on lui a enlevé des morceaux sans préavis. En fin de compte, le wedge pillow deluxe à 70$ est un atout irremplaçable pour s’allonger en position partiellement assise.
L’autre douleur la plus dérangeante selon mon expérience, ça a été celle du dos et des épaules. Non seulement les bandages de compression sont serrés assez fort qu’on se retrouve dans la situation de porter un binder 24 heures sur 24 pendant un mois au complet, mais l’avant du corps se referme sur lui-même pour protéger sa récente blessure. La peau est soudainement tendue plus serrée qu’avant, et l’enflure se fait aussi sentir comme un manque de place. Comme certain·e·s de mes amix, je me souviens ne pas avoir pu trouver de position confortable, peu importe combien je cherchais à m’arranger.
Le dévoilement
Rendu·e au troisième jour, il est sécuritaire d’enlever la gaze qui est enroulée autour de ma poitrine en dessous du bandage. Un·e ami·e à moi m’avait conseillé fortement de m’asseoir par précaution la première fois où je relâcherais la compression de ma poitrine, puisque le changement de pression et le fait de baisser la tête pour regarder mon nouveau torse plat, gonflé et (dé)coloré par les ecchymoses ainsi qu’étrangement proportionné puisque les muscles n’auraient certainement pas eu le temps de se reformer dans ce nouvel espace, risqueraient de m’étourdir. Ce fut le cas, mais quel beau moment à rire et pleurer avec ma meilleure amie paramédic qui me faisait la faveur de m’aider et de m’accompagner dans cette découverte !
Soulagé·e de me retrouver maintenant seulement avec le tape médical qui recouvre mes plaies en dessous du compression binder en forme de tube que je préférais pour son confort aux bandages ace pendant le reste du mois, je pouvais enfin me nettoyer la poitrine teintée d’iode avec des lingettes humides et me sentir plus propre, à l’aise et approchant mon rétablissement avec moins d’épaisseurs qui me recouvrent toute la journée et toute la nuit. Ce sont mes partenaire·s et amix qui m’aident à chaque fois à remettre le binder, car non seulement il m’est douloureux (et déconseillé !) de lever les bras, mais iels ont la force et la position nécessaires pour le mettre à la bonne hauteur sur ma cage thoracique et assurer un niveau de compression adéquat.
Semaine 2 : bouger de nouveau
Enfin, alors que la douleur musculaire dans le dos devient difficile à supporter comme si j’avais fait le workout du siècle, je commence à retrouver un tout petit peu de mouvement. De légers étirements de yoga, surtout avec le bas du corps, me donnent un sentiment d’accomplissement. Une petite position de l’enfant ou un pigeon avec les bras aux côtés du corps au réveil allègent l’inconfort d’être resté·e dans la même position sur le dos toute la nuit — moi qui fais sans cesse des 360 habituellement ! Mais attention, comme je suis prof de yoga, cette démonstration de flexibilité risque de ne pas être accessible à tous les corps, surtout en période de rétablissement postopératoire. Je ne m’attendais pas à me retrouver complètement essoufflé·e en squattant pour aller chercher quelque chose en bas du réfrigérateur. Pense donc à écouter ton corps pour l’habiter de l’intérieur, et suis doucement ses besoins d’étirement et de mouvement sans trop le fatiguer.
Complètement drainé·e
Au neuvième jour, le liquide qui s’écoule de mes drains est finalement assez minimal pour aller les faire retirer au CLSC. Expérience inconfortable, car je me fais demander par l’infirmière si j’ai un cancer, et qu’elle me mégenre… Elle a du mal à couper les points de suture très serrés qui tiennent les drains en place à mes côtés, et c’est ça qui me fait le plus mal quand elle tire sur la peau pour accommoder les ciseaux. Voir la longue bande de plastique avec les trous de drainage se faire enlever d’en dessous de mes cicatrices est un choc aussi, puisque je n’avais pas réalisé combien elle était grosse et longue. Par chance, je n’ai que peu de sensation à ces endroits, ce qui rend par ailleurs le processus passablement aisé à vivre. C’est là que les nerfs prennent encore le plus longtemps à repousser et qu’il me reste des portions numb deux ans plus tard.
Le retour de la douche
Là que les drains sont retirés, j’ai désormais le droit de prendre des douches complètes. Avant ça, je m’arrangeais pour m’accroupir au-dessus du robinet de la baignoire pour me baigner le bas du corps. Malgré cette nouvelle possibilité pourtant, mon équilibre autrement très bon sur une patte est sévèrement atteint et je dois redoubler mon attention. Faire des mouvements de frottement au savon est physiquement difficile sinon indésirable, voire impossible, alors j’utilise une débarbouillette. D’autres se procurent une brosse de douche à manche long pour réussir à atteindre leurs jambes et leurs pieds sans étirer les bras trop loin du corps.
Je peux aussi commencer le massage des cicatrices dès que mes incisions sont complètement fermées, qui aidera à conserver l’élasticité et la mobilité de la peau, ainsi qu’à prévenir l’apparence bosselée et épaissie des cicatrices. Attention à ne pas aller fort au début ! Un peu de massage tous les jours est capital pendant les 6 premiers mois post-op, mais c’est une bonne pratique à conserver au fil du temps. Tu peux trouver davantage d’info sur le soin des cicatrices en anglais ici.
Semaines 3 et 4 : prendre soin des cicatrices
L’équipe chirurgicale m’avait expliqué que le ruban adhésif recouvrant mes incisions depuis l’opération finirait par se décoller et tomber tout seul, alors je le laissais où il était sans trop le déranger. Malgré ces instructions, il commence à me démanger à la troisième semaine et en inspectant les alentours, je remarque que ma peau réagit avec rougeur et petits boutons. Après un appel de confirmation auprès du GrS, j’apprends qu’il n’aurait pas dû rester sur mes plaies si longtemps que ça en fin de compte. Je l’enlève doucement sous l’eau chaude de la douche, ce qui me permet aussi de commencer à nettoyer les croûtes de sang coagulé le long des incisions. Après une journée de repos et de la pommade, la réaction allergique se calme et les incisions elles-mêmes ont l’air moins enflées et un peu plus fermées. Je les recouvre de ruban adhésif en silicone Mepitac pour favoriser la guérison lisse et pâle des cicatrices. Ce nouveau tape, je le porte tout au long de la journée pendant un an au complet, et je l’enlève la nuit pour appliquer une pommade réparatrice que je concocte à l’aide de beurre de karité, de gotu kola, et d’huiles essentielles dont les propriétés sont dites utiles pour aider à la cicatrisation. Là que mes incisions sont découvertes, je peux m’appliquer plus en profondeur au massage des cicatrices en utilisant la pommade.
Retour à la normale — presque
Je retrouve de la véritable autonomie dans la maison durant la fin du premier mois de convalescence. Les gestes et l’existence quotidienne ne me font plus vraiment souffrir, à part lorsque je cherche à m’allonger sur les côtés. Il m’est possible de faire un peu d’exercice désormais : je peux marcher sans que le choc de chaque pas me crispe, alors je profite de quelques balades. Courir brièvement pour attraper l’autobus devient même accessible si absolument nécessaire, ce qui m’a surpris la fois où je l’ai fait. Attention, le sentiment d’être de plus en plus remis·e est trompeur, pourtant. Je dois me rappeler que si je veux éviter que mes cicatrices s’élargissent, je ne peux pas lever les bras au-dessus des épaules.
Semaine 5 : tester ses limites
Hourrah, mobilité ! Mais gare aux énergumènes (comme moi) qui désirent tout faire dès que la chance s’en présente, qui pensent leurs réserves d’énergie si vite rétablies, et qui décident de faire des conneries comme soulever de gros sacs à dos de voyage pour prendre l’avion. Elyx, ça, c’est non ! … Trop tard. Je me considère moins hardi·e tout de même que man ami·e semblable à moi qui s’est mis·e dans la tête de s’aventurer sur des collines rocailleuses lors d’une balade seulement deux jours après sa top surgery, et qui en a vite pâti en devant s’attraper dans sa chute. Les bras levés plus haut que conseillé — et utilisés tout court ! Ah, pauvres pectoraux déjà si meurtris, vous méritez tant d’amour et de repos ! —, ça a donné des cicatrices visiblement étirées. Si ton emploi ne requiert pas du grand exercice, comme par exemple du travail de bureau, tu peux retourner au travail après quatre semaines de convalescence tout en faisant attention aux mouvements amples. Sinon, il est conseillé d’attendre six semaines complètes avant de le reprendre.
La vie étant ce qu’elle est, j’ai pris un risque qui me paraissait capital dû à des circonstances particulières, et j’ai pris un vol transcontinental. Par expérience personnelle, je ne conseille absolument pas le voyage en avion si tôt après la chirurgie, d’abord et avant tout pour le poids des bagages qui sont difficiles à traîner même sur roulettes.
Semaine 9 : progresser lentement mais sûrement
À partir de la 9e semaine, la période de convalescence la plus ardue est enfin terminée ! Je peux maintenant me baigner, même si je choisis d’éviter l’utilisation des bras trop loin du corps ou levés au-dessus des épaules. Il est autrement sécuritaire de reprendre de l’exercice normalement, tout en réintégrant progressivement les mouvements qui m’étaient auparavant habituels.
Même si le gros du rétablissement postopératoire est terminé, le choc d’une chirurgie relativement conséquente continue de se faire sentir pendant des mois, et des années. Il s’agit donc de retrouver petit à petit une santé complète en continuant de s’alimenter sainement pour favoriser la croissance des muscles, des nerfs et des tissus rapiécés. La perte de sensation entre mes aisselles et mes omoplates sur mon dos perdure pendant au moins un an et demi, et celle de ma poitrine elle-même change très lentement. À certains endroits, je peux sentir la pression, mais pas le contact sur la peau.
Durant la première année, je me concentre sur un régime d’étirements de la poitrine pour retrouver une meilleure posture, puisque mes épaules se sont arrondies vers l’avant après ma top chirurgie. Même si l’exercice comme le yoga m’aide beaucoup, le simple fait de me rappeler de tirer doucement mes épaules vers l’arrière tout au long de la journée est majeur. Tout doucement, la peau nouvellement tendue serrée sur ma poitrine plate s’accommode à mon corps et j’ai moins l’impression que je tire dangereusement dessus en ouvrant ma poitrine.
Changer (avec) son corps
Ça prend des mois pour que mes cicatrices ne ressemblent plus à des lignes bourgogne tracées au marqueur sur la peau de ma poitrine et que les angles étranges dans lesquels la chair a été coupée au départ s’arrondissent en une courbe plus naturelle, puis des années pour que mes pectoraux gagnent du terrain là où les seins occupaient avant l’espace. De manière plus importante pour moi pourtant, c’est le sentiment de reconnaître ce nouveau corps dans le miroir qui a pris longtemps à se développer. Un peu comme avec mon prénom choisi, j’ai eu l’impression pendant un certain temps que c’était une meilleure option que l’ancien foyer que j’habitais de mon identité, mais qu’elle ne m’était pas familière. Ça a pris du temps pour que je sente que ma poitrine m’appartient et qu’elle m’apporte plus de la joie que de la confusion perceptive au changement brusque d’une amputation chirurgicale. Mais, ayant célébré maintenant les deux ans de rétablissement de mon opération de poitrine trans non binaire, je me sens chez moi dans ce corps un peu extraterrestre, avec de grosses lignes qui s’effacent peu à peu, pas de mamelons à part les collants ou les dessins comme substituts, et aucune accumulation de gras sous la peau comme en ont les poitrines assignées mâles à la naissance. J’apprends tous les jours un peu plus à me familiariser avec cette nouveauté que j’ai choisie, mais qui continue d’évoluer.