Découvrir sa sexualité est un processus assez complexe… mais le faire au sein d’une relation, et d’une société, qui dénigre et invalide les corps et les désirs des femmes, c’est une autre paire de manches. Je te raconte mon processus de construction — et de déconstruction — de ma sexualité.

Le contexte américain

Quand j’avais 16 ans, j’ai déménagé dans le milieu des États-Unis. Milieu, genre, quand tu arrives à l’aéroport de Des Moines, Iowa, il y a une affiche qui indique : bienvenue en Iowa, où il y a plus de blé d’Inde que de gens. 🌽

Je me doutais déjà que ce serait étrange, vivre en plein milieu de nulle part avec des gens qui ne parlent pas ma langue et qui ont été élevés avec une culture différente. Par contre, j’étais naïve, je croyais qu’on se ressemblait beaucoup, malgré la barrière de la langue entre le français et l’anglais. Je pensais qu’on était similaire, que nos mentalités se rejoignaient, que ce que mes parents m’avaient inculqué par rapport à ma valeur, à ma personne, serait semblable à ce que je continuerais d’apprendre sur moi-même.

La réalité est un peu différente. J’en parle d’ailleurs plus longuement ici, si jamais ça pique ton intérêt.

Le tout a commencé de façon insidieuse : réaliser tranquillement que les corps des femmes ne valent pas autant, qu’elles sont des machines à plaire, qu’elles doivent être belles et utiles, avoir des enfants, rapidement et beaucoup… et se taire. Je vois déjà des gens dire : ce n’est pas partout comme ça, mais ça, c’est l’équivalent de dire not all men. Non, pas partout, mais majoritairement, au milieu des États-Unis, une réalité qui déborde jusqu’aux côtes qui sont un peu épargnées de cette mentalité réductrice qui met de l’avant que le corps des femmes est presque quelque chose de public.

La culture misogyne et les relations toxiques qui en naissent

J’ai mis longtemps à comprendre comment grandir en tant que femme, dans un pays où elles sont toujours deuxièmes, a eu un impact sur la perception de mon corps, mon désir et même mon droit au désir.

La première chose que j’ai déconstruite, après beaucoup de travail sur moi-même, c’est qu’il ne peut pas y avoir du plaisir là où il y a de la peur. Et je ne parle pas nécessairement de la peur de se faire blesser physiquement ; la peur dans une relation a plusieurs visages.

Ma peur à moi, c’était de tomber enceinte. Je crois que si tu as suivi les nouvelles un peu récemment, concernant ce qui se passe avec nos voisins du sud, tu comprendras pourquoi. Mais même il y a dix ans, même alors que Roe v. Wade n’avait pas été renversé, cette menace était constante. Et puis j’avais peur de tomber enceinte, parce qu’en plus de ça, à la base, il était difficile d’avoir accès à la pilule contraceptive, parce que mon ex était anti-avortement, parce que j’avais peur de ce qui arriverait, de la liberté que je n’aurais pas une fois que j’aurais ce fœtus en moi qui prendrait plus d’importance que j’en avais moi-même.

Ça paralyse, ça enlève l’envie d’être proche de l’autre, ça nous fait détester notre corps, sa capacité à se reproduire, à nous trahir.

Bye bye le désir, bye bye le plaisir.  

Ce qui a été le plus difficile à cerner, c’était l’idée que certaines choses étaient dues, de ma part, parce que j’étais une femme. Pour mon ex, en tant que sa blonde, je lui devais accès à mon corps. Je sais, aujourd’hui, je comprends comment ça sonne. C’est terrible. Sauf que j’avais 16 ans quand j’ai commencé à apprendre que la sexualité des femmes devait être mise au service de celle des hommes. Quand j’ai rencontré mon ex et qu’on a commencé à sortir ensemble, j’avais déjà commencé à acquérir la notion que notre sexualité passait par son plaisir avant le mien. Et le pire, c’est que je n’avais pas l’impression d’en souffrir. C’était simplement la vie. C’était comme ça pour mes amies, c’était comme ça pour tout le monde.

Les étapes pour se réapproprier son corps

J’ai 30 ans aujourd’hui, je suis revenue des États-Unis j’en avais 24 et je suis toujours en processus de déconstruction de toutes les choses nocives que j’ai apprises par rapport à ma sexualité et à mon corps. Quand je suis revenue au Québec et que j’ai commencé à dater, j’avais encore la mentalité que le plaisir de l’autre convenait, que c’était assez.

Puis, j’ai rencontré des gars doux, attentionnés, qui m’ont fait comprendre que j’existais au sein de notre relation, que je n’étais pas un objet, que je n’étais pas accessoire. C’est important de pouvoir compter sur l’autre, dans ce processus de déconstruction. C’est important, pour moi, qui est hétéro, de savoir que la réappropriation de ce corps est aussi passée par les mains tendres et les cœurs à l’écoute d’hommes qui voyaient la vie différemment que ce que j’avais connu jusqu’à présent. Des hommes pour qui mon plaisir et mon désir étaient des parties inhérentes de nos processus sexuels.

C’est long, se réapproprier son corps. Apprendre à le connaître, à savoir ce qu’il aime, ce qu’il n’aime pas, ce qu’il a toléré parce que c’était ce qu’on attendait de lui, ce qu’il préfère, vraiment, sous toutes les couches de parure sous lesquelles il s’est caché. Il faut être patient·e avec lui, comme avec son cœur, et son âme. Les marques invisibles prennent parfois le plus de temps à s’effacer.

Le pouvoir de se reconstruire

Quand je vois ce qui se passe aux États-Unis, il y a une rage sourde qui gronde dans mon ventre, pour la Marie-Christine de 18 ans qui a connu tout ce qui peut exister derrière les beaux sourires blancs et les dimanches à l’église de nos voisins du Sud. Mais il y a aussi beaucoup de fierté de savoir que ce processus peut exister, celui de réapprendre à se connaître, de se regarder dans le miroir et de se dire : Salut, on va découvrir ce qu’on aime ensemble.

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À propos de Marie-Christine Chartier

Rédactrice pigiste | Pronoms: elle/la | Autrice de romans de fiction, rédactrice pour différentes plateformes, bébé humoriste, bref, ma journée en est une réussie si j’ai écrit quelque chose. J’ai eu plusieurs vies : athlète, étudiante et chercheuse et maintenant autrice/artiste. Ma curiosité et mon amour des gens et des relations humaines sont le moteur derrière mes réflexions. C’est d’ailleurs ce qui m’a menée ici pour parler de sexualité, d’amour, de passion, de désir, de plaisir, et de tout ce que ce mélange implique.

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