Si tu es féministe, tu as peut-être déjà eu un dilemme interne ou une opinion divisée, voire contradictoire, concernant la pornographie et le travail du sexe quelque part dans ton parcours d’éducation à propos du féminisme.

TW : mention de discours niant l’autonomisation des femmes travailleuses du sexe, mention de violence potentielle envers les femmes dans la pornographie, mention d’exploitation sexuelle, mention de discours invalidant les relations de style butch/femme.

Note : Dans ce texte, le féminin est utilisé pour référer aux réalités des personnes travaillant dans l’industrie du sexe (actrices pornographiques, travailleuses du sexe, etc.) afin de mettre en lumière les dynamiques hommes/femmes, au cœur du débat de l’époque. Cependant, il est important de noter que de nombreux autres groupes marginalisés sont surreprésentés dans ce domaine. On pense notamment aux personnes LGBTQ+, aux personnes racisées et aux personnes en situation économique défavorable.

« Trop souvent, c’est de l’exploitation. » 

« Ça banalise la violence et l’exploitation sexuelle des femmes. » 

« Oui, mais en même temps, si on condamne ça, on efface un paquet de réalités consentantes ou d’expériences positives. » 

Que ce soit toi qui aies eu ce discours ou cette réflexion, ou que ce soit un·e ami·e, rassure-toi: ton tiraillement ou ton malaise est compréhensible et ne vient pas de nulle part.

Alors qu’aujourd’hui, notre rapport à la sexualité a évolué socialement, où en sommes-nous par rapport à notre opinion quant au travail du sexe et à la pornographie ? Que devons-nous en penser ?

Si tu te sens interpellé·e par ces réflexions, peut-être que cet article, qui comprend un petit survol historique des Feminist Sex Wars des années 1970-1980, te permettra d’enfin réfléchir à la question jusqu’au bout afin de te forger une opinion plus solide.

Une guerre idéologique post Révolution sexuelle

Fin des années 1970, les vestiges des mouvements de libérations sexuelles se font fortement ressentir. La sexualité est de plus en plus présente dans l’espace public. Magazines pornographiques, peep show, strip clubs, boutiques érotiques et sex districts se multiplient. Les mœurs puritaines des années 1950 sont tombées ; les gens n’ont plus honte d’assumer leur désir sexuel en dehors du cadre « mariage-monogame-dans-l’unique-but-de-procréer ».

Néon rose en forme de flèche où l'on peut lire l'inscription Girls girls girls

Des tensions au sein des féministes apparaissent ; une scission importante a lieu. D’un côté, des féministes radicales luttent contre cette démocratisation de la sexualité qu’elles jugent dégradante et néfaste pour la femme. De l’autre, des féministes dites « pro-sexe » s’inquiètent des répercussions qu’une censure pourrait avoir sur les femmes et les minorités sexuelles.

Les féministes anti-porn

En réaction à la multiplication des représentations sexualisée (et parfois violentes) de femmes dans la société et les médias, plusieurs féministes radicales américaines telles que Susan Griffin, Susan Brownmiller, Andrea Dworkin, Catharine MacKinnon et Gail Dines s’insurgent. 

Des organisations comme le Woman Against Pornography ou le Women Against Violence in Pornography and Media sont mises sur pied aux États-Unis. On lutte pour abolir la pornographie, censurer les représentations sexualisées de la femme dans les médias et on tente de sensibiliser la population aux impacts soupçonnés que celles-ci peuvent avoir sur les femmes et les rapports homme/femme. Les féministes pro-sexe reprochent même à certaines des féministes anti-porn de s’allier avec  « l’ennemi » (les conservateurs) dans cette lutte contre la décadence morale ou le désordre social.

Les féministes radicales dénoncent non seulement la pornographie, mais aussi le travail du sexe, le BDSM et les relations queers de type butch/femme

« Pornography is the theory, rape is the practice » (Robin Morgan, 1974)

Selon ces féministes radicales, la pornographie serait une machine servant à érotiser la violence faite aux femmes. Le BDSM (simplement nommé « sadomasochisme » à l’époque) encouragerait le modèle « domination masculine/soumission féminine » en plus de banaliser ou légitimer la violence sexuelle faite envers ces dernières. Certaines (Dworkin, McKinnon et Morgan) vont même jusqu’à dire que toute relation sexuelle hétérosexuelle est intrinsèquement exploitante et non consentante, vu les rapports de pouvoir asymétriques découlant du patriarcat.

Le travail du sexe, quant à lui, est vu comme de l’exploitation sexuelle, que la femme se dise consentante de le pratiquer ou non. En effet, les femmes qui travaillent dans l’industrie de façon délibérée seraient en fait contraintes de le faire par manque d’opportunité économique — résultant des inégalités de genre — ou en raison de traumas sexuels passés (bien sûr, aujourd’hui on sait que ce n’est pas corrélé). Elles seraient donc vues systématiquement comme des victimes à libérer.

Même les relations lesbiennes femme/butch passent sous la lunette d’analyse des militantes anti-pornographie, car les rôles butch/femme seraient, selon elles, un copier-coller des dynamiques de pouvoir homme/femme.

Bref, à l’époque, que plusieurs qualifiaient de panique morale, ces féministes radicales mettent tout dans le même panier. Toute manifestation sexuelle est le résultat d’inégalités de genres, le produit du patriarcat. La domination de la classe « homme » sur la classe « femme ».

Gif de Bob l'Éponge et Patrick qui courent en panique.

Les féministes pro-sexe

En réaction aux discours très sex-negative des abolitionnistes, des féministes de milieu autant radical, libéral que queer — comme Gayle Rubin, Carol Queen, Wendy McElroy et Ellen Willis — organisent conférences, débats et événements pour mettre de l’avant une vision plus positive de la sexualité. C’est le début des années 1980. Un nouveau courant féministe (qui est d’avis que la liberté d’expression de sa sexualité est fondamentale à la libération et à l’autonomisation des femmes) naît : le féminisme pro-sexe.

Les pro-sexes croient que la sexualité peut être source de plaisir et d’émancipation pour les femmes. Elles sont d’avis que chaque femme devrait être libre de choisir ce qu’elle veut faire de son corps, y compris travailler dans l’industrie du sexe.

Elles ne nient pas les problèmes d’exploitation et de subordination des femmes dans le milieu pour autant. Au contraire, elles se battent pour de meilleures conditions dans l’industrie de la porno, luttent contre la traite des êtres humains et cherchent des moyens de mieux protéger les travailleuses du sexe. 

Elles ne considèrent pas l’industrie du sexe comme la source principale de l’oppression des femmes. Elles ne croient pas non plus qu’une censure ou qu’une abolition serait productive, car ceci ne créerait pas un environnement sécuritaire pour que les femmes explorent leurs sexualités et désirs.

Plusieurs de ces féministes se sont penchées sur les pratiques BDSM, particulièrement chez les personnes queers (Pat Califia, Gayle Rubin, etc.). Elles sont d’avis que toute personne devrait avoir le droit de jouir d’une sexualité à son goût, et ce, peu importe le type de kink, du plus commun au plus funky, qui la fait fantasmer. À condition que toustes participant·e·s puissent donner leur consentement libre et éclairé (ce qui exclut évidemment les rapports avec des enfants et des animaux, puisque celleux-ci ne sont pas en mesure de le donner), il ne devrait pas y avoir de limites ni de jugements moraux associés aux différentes pratiques sexuelles.

Gif d'une personne qui dit "This is a judgement free zone".

Comment lutter contre la violence dans l’industrie du sexe aujourd’hui

Peu importe de quel côté du débat tu te situes, il est important de respecter les personnes qui ont choisi de faire partie de cette l’industrie du sexe et d’écouter ce qu’elles ont à dire.

On peut lutter contre l’exploitation sexuelle et le trafic humain sans toutefois invalider les réalités ou nier les expériences de femmes décidant librement et consensuellement de pratiquer ce métier. On peut critiquer les différents acteurs, la façon dont l’industrie est institutionnalisée ou prise en charge (ou plutôt non prise en charge), mais critiquer les travailleuses du sexe, c’est les maintenir constamment et systématiquement dans un rôle de victime. C’est infantilisant et avilissant.

Alors qu’il est valide de s’inquiéter de la condition des travailleuses du sexe ou du manque flagrant de consentement au sein de la porno mainstream ou de la violence souvent dépeinte envers les femmes, il est beaucoup trop simpliste de blâmer ces institutions pour les inégalités qui sévissent dans la société depuis des siècles. Il est aussi naïf de penser qu’on pourra régler tous les problèmes du monde en enrayant l’industrie du sexe.

Lutter contre la violence dans la pornographie

Il suffit de faire un tour sur un des sites XXX les plus consultés (que ce soit PornHub, XVideos ou YouPorn) pour s’en rendre compte ; la porno mainstream est bourrée de représentations sexistes, parfois très violentes et dépeignant rarement le consentement et le plaisir des femmes. La fétichisation des personnes trans, racisées ou grosses est, elle aussi, purulente. C’est un fait. 

La pornographie est, comme tout contenu culturel, le produit de notre société. Par contre, ce n’est pas la porno (existant de sa forme actuelle depuis à peine 50 ans) qui a créé le racisme systémique, les violences sexuelles envers les femmes, les rapports de pouvoir genrés, la transphobie, etc. Elle détient sans doute sa part de responsabilité dans le maintien des oppressions et des inégalités, certes, mais elle n’en est pas l’origine.

Malheureusement, ce genre de pornographie continuera d’exister, car il y aura toujours une clientèle pour la consommer. Le problème, ce n’est pas tant qu’elle existe, mais qu’elle soit le modèle central, et, bien souvent, la seule option.

Multiplier les types de pornographie

Puisqu’il n’est pas possible d’enrayer un type de pornographie, la solution réside peut-être dans le fait de multiplier les modèles et de les rendre accessibles et visibles.

Depuis plusieurs années, de plus en plus de productrices XXX font surface et commencent à se tailler une place dans l’industrie. Elles veulent montrer autre chose ; une plus grande variété de corps, de pratiques, de genres, d’orientations sexuelles, de points de vue (en montrant le plaisir de la femme via le female gaze plutôt que la male gaze par exemple) pour qu’enfin, la pornographie s’adresse à un plus large spectre d’individus. Mais aussi, ces compagnies proposent une éthique de travail intéressante (que ce soit en engageant des coordonnateur·rice·s d’intimité, en offrant une rémunération juste, en organisant des discussions sur les préférences et limites sexuelles des acteur·rice·s, etc.) qui aurait avantage à devenir le standard de pratique dans l’industrie. 

Même si on sait bien que débourser pour un abonnement mensuel de pornographie n’est pas à la portée de toustes (parce que la porno éthique est presque toujours payante), il reste que plus on encouragera ce type de porno, plus elle fera son entrée dans le mainstream. Les producteurs dans l’industrie nous offrent ce que l’on demande. C’est comme ça que le capitalisme fonctionne ; ce qui fonctionne reste, ce qui ne pogne pas meurt dans l’œuf ou reste underground.

Lutter contre la violence dans le travail du sexe

Choisir d’être travailleuse du sexe est un choix de carrière comme un autre, il comporte ses avantages et ses désavantages. Malheureusement, les désavantages étant souvent rattachés au stigma associé à ce métier, en plus des tabous et diktats par rapport à la sexualité des femmes.

On ne va pas se mentir, l’exploitation, le trafic humain et les violences sexuelles sont présents dans cette industrie. Mais ces problématiques découlent du fait qu’il est criminalisé (que ce soit les travailleuses du sexe, les clients ou les tierces parties) dans la plupart des pays. Résultat ? Il se déroule dans l’illégalité, forçant les travailleuses du sexe à pratiquer dans l’ombre et favorisant l’intervention d’organisations criminelles.

L’unique façon de lutter contre ces lacunes, c’est de militer pour décriminaliser le travail du sexe. Pourquoi ? Parce que c’est la façon la plus simple de protéger les travailleur·se·s du sexe, tout en réduisant les risques d’exploitation sexuelle et de trafic humain. La majorité des travailleur·se·s du sexe militent pour cette option depuis des décennies. 

Pssst… lis la publication suivante si tu désires mieux comprendre les conséquences des différentes décisions politiques concernant le travail du sexe.

Quelques suggestions de lecture

Pas encore certain·e de ton opinion sur le travail du sexe et la pornographie ? Voici quelques lectures phares issues du Feminist Sex Wars qui pourront t’aider à réfléchir aux différents enjeux reliés au travail du sexe et à la porno.

Abolitionnistes

  1. Not a Choice, Not a Job: Exposing the Myths about Prostitution and the Global Sex Trade” de Janice G. Raymond — Ce livre est souvent cité par les féministes abolitionnistes comme une critique de l’industrie du sexe, mais il est également controversé en raison de ses affirmations radicales.
  2. Pornography and Silence: Culture’s Revenge Against Nature” de Susan Griffin — Ce livre aborde la question de la pornographie dans le contexte de la domination masculine et du capitalisme, en examinant comment la pornographie sert à maintenir les systèmes de pouvoir existants.
  3. Pornography: Men Possessing Women” de Andrea Dworkin— Ce livre, publié pour la première fois en 1981, est une critique de la pornographie et de ses effets sur les femmes. Dworkin soutient que la pornographie est une forme de violence sexuelle qui perpétue la misogynie et renforce les structures de pouvoir patriarcales.
  4. Prostitution, Pornography and the Sex Industry: An Abolitionist Perspective” de Sheila Jeffreys — Ce livre, publié en 1997, examine les liens entre la prostitution, la pornographie et l’industrie du sexe dans leur ensemble, et soutient que ces industries sont fondamentalement oppressives et violentes envers les femmes.
  5. Prostitution and Male Supremacy” de Andrea Dworkin — Cet essai, publié en 1981, examine la prostitution en tant que forme de violence sexuelle contre les femmes, et soutient que la prostitution est un reflet du patriarcat et de la domination masculine.

Pro-sexe

  1. Sex Work: Writings by Women in the Sex Industry” édité par Frédérique Delacoste et Priscilla Alexander — Ce livre rassemble des témoignages de femmes travaillant dans l’industrie du sexe, qui offrent une perspective différente de celle des féministes abolitionnistes.
  2. Revolting Prostitutes: The Fight for Sex Workers’ Rights” de Juno Mac et Molly Smith — Ce livre explore la lutte pour les droits des travailleur·se·s du sexe, en abordant les questions de violence, de stigmatisation et de marginalisation, et en proposant des solutions pour créer un environnement plus sûr et plus égalitaire pour les travailleur·se·s du sexe.
  3. Erotica, Pornography, and Women’s Liberation” de Ellen Willis—Cet essai, publié en 1979, soutient que la pornographie peut potentiellement être une forme d’expression féministe et un moyen pour les femmes de récupérer leur sexualité du contrôle patriarcal.
  4. The Feminist Porn Book: The Politics of Producing Pleasure” édité par Tristan Taormino, Celine Parreñas Shimizu, Constance Penley et Mireille Miller-Young — Ce livre explore l’industrie de la pornographie féministe et propose des perspectives sur la façon dont les féministes pro-sexe peuvent travailler à produire une pornographie plus éthique et égalitaire.
  5. “Sexual Politics, Sexual Communities” de John D’Emilio and Estelle B. Freedman — Cet ouvrage explore l’histoire de la sexualité aux États-Unis et comment elle a été façonnée par les mouvements sociaux et les luttes pour l’égalité et les droits des minorités sexuelles.
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À propos de Anne-Claudel Parr

Sexologue, Rédactrice | Pronoms: elle/la | Passionnée de plage, de voyage et de salsa, j’ai étudié en science politique, en psychologie, fait un certificat en psychoéducation et en espagnol avant d’atterrir en sexologie et de trouver ma voie (ben oui, c’est long se trouver parfois) ! Féministe intersectionnelle de cœur et de raison et membre de la communauté LGBTQIAP2S+, je pose un regard assez scientifique et théorique sur la sexualité, mais en essayant d’être moins plate que ton prof de socio au cégep. J’espère pouvoir élargir ta conception de la sexualité, dire ce qui n’est pas dit et jaser de l’éléphant rose. Ensemble, on va faire la deuxième Révolution sexuelle ! Embarques-tu ?

Une réflexion sur “Pour ou contre le travail du sexe et la porno ? Les vestiges des Feminist sex wars

  1. Marc giguere dit :

    Bonjour à ta disposition pour en discuter avec lui et ses filiales de la place pour les femmes et couples qui est très bien membres de la semaine et je suis un homme qui est très sympa de me faire plaisir à la maison de la part des nouvelles fantasme avec le femmes et des couples qui sont sur le site Web merci pour votre aide

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