TW : criminalisation d’actes sexuels entre hommes, invisibilisation et sexualisation des femmes lesbiennes et queers, manque de représentations des femmes queers racisées, queerbaiting.
Au Québec, on estime qu’environ 10 % des femmes sont lesbiennes. Pourquoi ne les voit-on pas, entendons-nous si peu parler d’elles et n’en connaissons rien de leurs sous-cultures ? Où se cachent-elles, ces lesbiennes ?
En cette Journée de visibilité lesbienne, je te propose un survol historique et culturel pour comprendre pourquoi leurs réalités demeurent si peu connues du commun des mortels.
1-Les lesbiennes, en arrière-plan des mouvements sociaux
L’histoire des lesbiennes est particulièrement difficile à retracer, car elle n’a pas laissé de trace écrite et elle est rarement le sujet d’étude.
Le mieux qu’on puisse faire pour comprendre leur histoire, c’est de s’intéresser aux luttes LGBTQ+ et féministes, intimement liées à l’histoire des lesbiennes.
Mouvement LGBTQ+
C’est par un concours de circonstances (entremêlé à du sexisme) que les hommes gais ont obtenu une reconnaissance sociale bien avant les lesbiennes (et autres LGBTQ+).
À travers l’histoire, les hommes gais ont été particulièrement stigmatisés ; leur sexualité étant criminalisée dans plusieurs pays d’occident. Comme ils étaient constamment persécutés par les forces policières, les luttes LGBTQ+ des années 1960 se concentreront sur la décriminalisation des actes sexuels entre hommes pour mettre fin à la répression.
Dans le cas des lesbiennes, c’est tout le contraire ; leur sexualité n’étant pas prise au sérieux, elle n’a presque jamais été criminalisée. Vite de même, on pourra croire que c’est un avantage. Mais ce désintérêt envers la sexualité entre femmes est plutôt une manifestation misogyne de mépris envers celles-ci.
Lesbianisme : pas une vraie orientationMisogynie + homophobie = lesbophobieHistoriquement, on décrit la sexualité de la femme comme passive. Comme si la femme était incapable de ressentir du désir, d’initier une relation sexuelle, de prendre en main sa propre sexualité ou d’occuper un rôle actif dans celle-ci. De plus, dans une société hétéronormative et patriarcale, une relation sexuelle n’en est pas vraiment une sans présence d’un pénis.
Un peu plus tard, dans les années 1980, arrive la crise du sida. Le VIH touche particulièrement les homosexuels. Une fois de plus, les efforts des LGBTQ+ se dirigent vers les hommes de la communauté — les lesbiennes prêtant main forte dès les débuts.
Les débuts d’une révolution
Pendant ce temps, d’autres voix au sein du mouvement LGBTQ+ tentaient tant bien que mal de se faire entendre.
D’ailleurs, au cas où tu ne le savais pas, ce sont des femmes trans et des lesbiennes racisées qui ont déclenché les émeutes de Stonewall, événement à l’origine du mouvement moderne de libération LGBTQ+.
Hélas, malgré l’implication importante des femmes lesbiennes et queers, leurs voix avaient peu d’écho. Ben oui ! Même dans la communauté LGBTQ+ on retrouve du sexisme, de la transphobie et du racisme. 🙄
Comme leur vécu en tant que femme n’était pas pris en considération, les lesbiennes ont dû se tourner vers un autre mouvement social, également en expansion à la même époque.
Lesbiennes et féminismes
Ayant plusieurs objectifs communs avec les féministes de par leurs réalités de femmes, les lesbiennes ont toujours été présentes dans le mouvement, étant même à l’origine de plusieurs organisations féministes.
Mais au bout d’un certain temps, elles se confrontent à une embûche similaire qu’au sein du mouvement LGBTQ+ ; cette fois-ci, c’est leurs revendications en tant qu’homosexuelles qui sont ignorées par leurs paires féministes, majoritairement hétérosexuelles. Encore une fois, elles se sentent invisibles. Il y aura une scission parmi les lesbiennes militantes ; les lesbiennes-féministes, proches des féministes, et les lesbiennes radicales, tentant de s’en éloigner pour mieux s’émanciper.
À partir des années 1990, avec l’émergence des études de genre et l’intersectionnalité, plusieurs lesbiennes militantes commencent à remettre en question la catégorie « lesbienne ». Il n’y a pas qu’un type de lesbienne (blanche, cisgenre, éduquée, etc.), il y en a plusieurs ! Naturellement, les revendications politiques varient en fonction des réalités individuelles de chaque lesbienne. On tente donc d’inclure les femmes trans, les personnes racisées, les bisexuelles, les personnes non-binaires, etc. dans le discours militant et plusieurs commencent à s’identifier comme queers plutôt que lesbiennes.
Malgré cette noble intention de vouloir inclure davantage de réalités, plusieurs critiques ressortent. Pour certaines, ce morcellement de l’identité lesbienne contribue davantage à leur invisibilisation.
2-Le manque d’espaces dédiés aux lesbiennes
Après cette libération LGBTQ+ (lire ici « gai » pas de « e »), où l’homosexualité masculine se décriminalise pratiquement partout en occident, des dizaines de villages gais émergent dans les grandes villes. Alors qu’on y trouve facilement bars, cafés, saunas, strip clubs, sex-shops, librairies et autres lieux de rencontre pour hommes gais, il est beaucoup plus difficile de trouver des lieux s’adressant à une clientèle lesbienne.
Encore aujourd’hui, les établissements qui offrent un espace inclusif pour lesbiennes et femmes queers peinent à rester ouverts. Et disons que la pandémie n’a pas arrangé les choses, comme en témoignent ces mini-documentaires américains :
- Why Lesbian Bars Are Disappearing | Rise And Fall
- Searching for the Last Lesbian Bars in America
- The Lesbian Bar Project (Documentary)
À titre d’exemple, aux États-Unis, dans les années 1980, — époque d’or des bars lesbiens, autant aux USA qu’ici à Montréal — il y avait autour de 200 bars lesbiens. Aujourd’hui, on n’en compte qu’environ quinze ! À Montréal, la situation est pire : mise à part Notre-Dame des Quilles qui organise des soirées pour femmes queers à l’occasion, on ne répertorie aucun bar dédié aux femmes !
Or, ces espaces jouent un rôle fondamental pour les femmes de la communauté. En plus de leur donner une visibilité auprès de la population, ce sont des lieux de rassemblement où elles se sentent valides et acceptées et où elles se forgent une identité collective (Podmore, 2006).
Pssst… Si l’histoire des bars lesbiens et des espaces queers réservés aux femmes à Montréal (ainsi que leur déclin) t’intéresse, je t’invite à lire ce précieux (et très rare) article à ce sujet.
3-La fétichisation des lesbiennes : la lesbienne et le male gaze
Pendant des siècles, les lesbiennes et leur sexualité ont été effacées et occultées. Dans les dernières années, on observe plutôt l’inverse. S’étant taillé une place dans la culture mainstream, elles sont désormais sexualisées et fétichisées dans la culture populaire.
Le lesbian chic et les années 1990
Au cours des décennies 1980-1990, la question de la visibilité devient un enjeu majeur pour les lesbiennes militantes. Elles veulent sortir de l’ombre, se réapproprier leur sexualité et multiplier les représentations fidèles à leurs diverses réalités. Peu à peu, au cours des années 1990, elles se voient de plus en plus dans les médias… mais pas nécessairement comme elles l’espéraient.
C’est le début du phénomène lesbian chic. Magazines et vidéoclips de pop band composés de femmes soi-disant lesbiennes (mais souvent hétéros) dépeignent la lesbienne comme féminine, désirable, élégante, fière et affichant une sexualité décomplexée. Bref, « telle une femme hétérosexuelle, mais qui aime les femmes » (Rand, E. J., 2013 ; Ciasullo, 2001).
Voici un exemple très parlant de ce phénomène, tiré d’un vidéoclip du groupe pop Fem2fem :
Tu te souviendras aussi de All the things she said, où les deux filles (hétérosexuelles) de t.A.T.u se french à pleine bouche. Julia Volkova tiendra des propos homophobes quelques années plus tard. Le queerbaiting à son meilleur, quoi ! 🙄
Loin du stéréotype de la lesbienne « repoussante » d’allure masculine ou de la butch, la lesbian chic est présentée comme un objet potentiel de désir pour l’homme. Cette représentation « fashionisée », dépourvue de toutes caractéristiques distinctives et de revendications politiques (Rand, E. J., 2013) efface la diversité des identités lesbiennes. Le but ? Apparaissant sympathique et attachante et ne représentant en rien une menace pour la norme hétérosexuelle, elle présente un intérêt pour un large public (Farr et Degroult, 2008). En gros, les lesbiennes sont le fun à regarder pour la populace.
Le lesbian-kiss episode et les années 2000
Un autre phénomène, le lesbian-kiss épisode, fait son apparition dans les téléséries, fin 1990. Comme les producteurs se rendent compte de l’attrait que représente la lesbienne (et ce, même pour un auditoire hétérosexuel) et de la rentabilité de son apparition brève et accessoire, ils se disent « Pourquoi ne pas faire plus de cash avec ça ? ». 🤑
Le lesbian-kiss episode est un scénario-type dans lequel l’un des personnages féminins vit une « phase » lesbienne (que ce soit par un baiser ou autre moment intime) avec une autre femme, souvent de passage dans la série. Après cette « phase », le personnage revient à la norme hétérosexuelle. L’amour (et l’intimité) entre femmes est de nouveau présenté comme quelque chose de peu sérieux, d’éphémère, qui ne peut pas durer dans le temps. Quoi de mieux pour renforcer l’idée que le lesbianisme (ou la bisexualité) n’est pas une vraie orientation ?
« You can show girls kissing once, but you can’t show them kissing twice… because the second time, it means that they liked it » — déclarera Martin Nortox lorsqu’on tentait de l’empêcher d’écrire une histoire d’amour entre femmes pour la série Buffy the Vampire Slayer.
Ce scénario-type, on le retrouve dans plusieurs séries qui ont marqué notre génération, telles que Sex in the City, Friends, Degrassi, One Tree Hill, Gossip Girl, Grey’s Anatomy, Pretty Little Liars, The O.C., Desperate Housewives, Weeds, etc. On en parle d’ailleurs dans cette courte vidéo :
Bref, même si les apparitions médiatiques des lesbiennes se multiplient, rares sont les productions qui les mettent de l’avant en abordant les multiples facettes de leur vie.
Peu de diversités
Même lorsque les lesbiennes sont à l’avant-scène (ex. : The L Word), on constate un manque flagrant de diversité des représentations.
Elles sont majoritairement cisgenres, blanches, jeunes, féminines, minces, aisées financièrement, dépolitisées. On y voit rarement des femmes racisées, trans, polyamoureuses, butch, grosses, plus âgées, issues de milieux défavorisés, etc. T’sais des femmes normales comme on en croise à l’épicerie. Encore une fois, les diverses réalités des lesbiennes sont invisibles aux yeux de la population.
Le male gaze
Les lesbiennes luttent pour obtenir une visibilité depuis des décennies. Qu’est-ce qui fait qu’on leur accorde autant d’importance du jour au lendemain ? Malheureusement, cette attention soudaine semble servir des intérêts particuliers. Je te révèle le punch : le male gaze et le capitalisme.
L’écrasante majorité du contenu populaire qui dépeint une intimité entre femmes est produit par… des hommes hétérosexuels ! Ces productions présentent donc leurs visions de la lesbienne. Et il y a un méchant décalage avec les représentations saphiques de petites productions queers…
Le vidéoclip Can’t Remember How To Forget You l’illustre parfaitement. Deux femmes, filmées d’un point de vue extérieur, plaçant le spectateur comme un troisième participant, observant la scène. Au lieu de nous montrer leur visage pour nous faire vivre leurs émotions, l’accent est mis sur leurs corps, pour nous montrer à quel point elles sont sexy.😅 🙄
L’ironie de la chose (démontrant bien l’instrumentalisation du lesbianisme pour le plaisir masculin) : tout en se caressant sensuellement, elles chantent « I’ll do anything for that boy ».😒
La pornographie mainstream
L’apogée du male gaze et de l’instrumentalisation du lesbianisme (qui contribuant fortement à invisibiliser les vraies lesbiennes), c’est la porno mainstream. Il suffit de taper « lesbienne » sur google pour s’en rendre compte. Des milliers d’images de femmes sexy et féminines, prêtes à satisfaire les besoins sexuels des hommes apparaissent… « Lesbian » est d’ailleurs le mot le plus cherché sur les sites pornos.
Les vidéos pornos qui mettent en scène « des lesbiennes » montrent, pour la majorité, deux femmes hétérosexuelles qui se touchent pour le plaisir d’un homme. On est loin d’une scène coquine entre Amanita et Nomi dans Sense8 !
Donc la prochaine fois qu’on te fait la joke des ciseaux ✂️ ou qu’on te dit qu’il n’y a pas beaucoup de lesbiennes dans la société, tu comprendras d’où vient ce manque cruel de références culturelles fiables du lesbianisme.
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