Le gaslighting : comment le reconnaître et s’en protéger ?

« Ben là, voyons donc, tu exagères ! C’était juste une blague… » As-tu déjà eu l’impression qu’une personne proche de toi invalidait ton ressenti, ou celui de quelqu’un·e d’autre ? Le gaslighting, aussi appelé « détournement cognitif », est une technique de manipulation qui consiste à faire douter une personne de son vécu et de ses sentiments. Dans cet article, on se penche sur les mécanismes du gaslighting et on te propose des stratégies pour t’en protéger.

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L’origine du gaslighting

En 1944, George Cukor, un réalisateur américain, a produit un film intitulé « Gaslight », inspiré d’une pièce de théâtre de Patrick Hamilton de 1938, « Angel Street ». Il s’agissait de l’histoire d’un couple, dans lequel le mari, Gregory, manipulait sa femme, Paula. L’une des tactiques utilisées par Gregory était d’éteindre et d’allumer les lampes à gaz de la maison à l’insu de Paula et d’insister sur le fait qu’elle aurait imaginé qu’elles s’allument et s’éteignent par elles-mêmes. L’objectif du mari était de déformer la réalité de sa femme afin d’avoir du pouvoir sur elle. À force d’être victime de cette ruse quotidiennement, Paula s’est mise à douter de sa propre réalité et a été contrainte à croire celle qui lui était imposée.¹

En français, le terme gaslighting se traduit par l’expression « détournement cognitif ». Comme le fait Gregory dans le film, cela survient quand une personne remet en question le jugement et la perception de la réalité d’une autre personne, notamment en utilisant des propos invalidants.

Le gaslighting survient dans différents contextes : que ce soit auprès de membres de la famille, d’ami·e·s, de partenaires intimes ou même de collègues de travail, il arrive à se faufiler partout, et ce, de façon assez sournoise.

Les mécanismes du gaslighting

Paige L. Sweet, sociologue et professeure à l’Université d’Illinois, à Chicago, s’est penchée sur les stratégies utilisées par les personnes ou institutions qui font preuve de gaslighting :

1. Manipulation des récits et des événements

Les personnes qui font du gaslighting tordent la réalité en changeant le script des événements pour faire croire à la personne victime qu’elle a mal compris, ou encore pire, qu’elle est la cause même de l’incompréhension. Cela s’accompagne souvent d’un sentiment de confusion chez elle.

2. Création d’un environnement de « surréalité »

Les tactiques de gaslighting créent un environnement où la victime se sent confuse et désorientée, ce qui brime son autonomie et son identité. Un peu comme si tu étais constamment dans la brume, ou encore, en train de faire un mauvais rêve. Les personnes qui subissent du gaslighting peuvent avoir l’impression de perdre contact avec la réalité.

Et à plus grande échelle :

3. Exploitation des inégalités structurelles

Il arrive que les personnes qui gaslightent exploitent les vulnérabilités enracinées dans les inégalités sociales. Par exemple, l’identité sexuelle et la pluralité des genres, la nationalité, les capacités et l’orientation sexuelle constituent des éléments à partir desquels le gaslighting peut se baser.  

Quelques exemples

Basés sur le genre

• Dénigrement des émotions : une personne dont l’identité de genre est féminine peut se faire dire qu’elle est « trop sensible », ou encore « hystérique » (ouch, quel terme problématique) lorsqu’elle exprime ses émotions, l’amenant à douter de son ressenti.
• Attribution de stéréotypes de genre : un·e partenaire peut mépriser san partenaire qui présente des comportements qui ne correspondent pas conformément aux stéréotypes de son genre et lea faire sentir inapproprié·e (par exemple : « tu t’affirmes beaucoup trop fort pour une fille, tu es tellement germaine »).

Basés sur la nationalité

• Remise en question de l’identité : faire croire à une personne que ses expériences vécues ne sont pas légitimes pour représenter la nationalité à laquelle elle s’identifie, l’amenant ainsi à douter de son lien d’appartenance. Par exemple : « Tu n’as jamais célébré les traditions de X nationalité, donc tu n’y appartiens pas vraiment. » ; « Tu ne corresponds pas aux stéréotypes de ce que devrait être X nationalité, alors tu n’es pas un·e VRAI·E X. », ou encore « Tu ne peux pas vraiment te considérer comme faisant partie de X nationalité parce qu’un de tes parents vient d’ailleurs. »
• Minimisation des défis : faire croire à quelqu’un que les événements difficiles qu’iel a vécus en lien avec sa nationalité ne sont pas valables et ne sont « pas si pires que ça ». Ou encore, dire qu’une personne cherche l’attention ou qu’elle exagère lorsqu’elle parle de racisme ou de discrimination vécue.

Basés sur les capacités d’une personne

• Minimisation des réussites : dire à une personne aux capacités diverses qui réussit quelque chose que c’était « juste de la chance » et que « n’importe qui peut faire ça ».
• Remise en question des compétences : faire croire à une personne qui a respecté les attentes qu’elle n’est pas à la hauteur, et ce, en se basant sur ses capacités. Voici quelques exemples : un·e employeur·e qui soulignerait uniquement les erreurs mineures d’une personne en ignorant ses nombreuses réussites, un·e personne qui dit à une autre que la tâche réussie était vraiment trop facile et qu’elle doute qu’elle soit capable d’accomplir des choses difficiles en raison de ses capacités, ou le fait de comparer une personne constamment à une autre, en demandant pourquoi elle n’est pas capable d’en faire autant.
• Accusation de mauvaise intention : si une personne affirme avoir de la difficulté dans une tâche et exprime un besoin d’aide, une autre peut la gaslighter sur ses intentions et l’accuser d’être paresseuse et de ne pas vouloir faire l’effort nécessaire.

Basés sur l’identité sexuelle et de genre

• Contrôle de l’expression : dire à une personne qu’elle cause des problèmes et du « drama » en raison de son identité sexuelle et de genre et la décourager à l’exprimer.
• Remise en question de l’identité : exprimer à une personne qui assume une certaine identité sexuelle ou de genre qu’elle ne sait pas vraiment ce qu’elle veut, que c’est juste une phase, qu’elle essaie de suivre une mode… ce qui l’amène à remettre en question sa propre authenticité.
• Manipulation des émotions : dire à quelqu’un qu’iel dramatise en exprimant des préoccupations liées à son identité sexuelle et de genre, l’amenant ainsi à douter de la légitimité de son ressenti.

Le gaslighting dans la sexualité

Malheureusement, le gaslighting s’invite aussi parfois sous les draps. Il peut ressembler à ceci :

• Dénigrement des désirs et des fantasmes : dire à une autre personne qui parle de son univers fantasmatique que ses goûts sont anormaux, malsains ou bizarres, la poussant à douter de la légitimité de sa propre sexualité.
• Minimisation des expériences traumatiques liées à la sexualité : recevoir un dévoilement de l’expérience traumatique d’une autre personne dans la sexualité et dire qu’elle exagère.
• Manipulation du consentement : un·e partenaire peut verbaliser que si l’autre n’est pas d’accord avec une pratique sexuelle, c’est parce qu’elle est prude, pas assez aventureuse, plate, ou encore lui faire croire qu’elle aimera à tout prix la pratique en question, ce qui peut fragiliser sa perception de ses limites dans la sexualité.
• Remise en question de la fidélité de san partenaire : constamment accuser l’autre personne d’être infidèle ou de flirter avec autrui, sans toutefois avoir de preuves (ou en en inventant, tiens !)

Le gaslighting dans les films et les séries

Savais-tu que le gaslighting s’insère même jusque dans nos écrans de télévision ? Voici quelques exemples de scènes qui illustrent bien la théorie.

Twilight 1 (2008)

Twilight : un classique ! Tu sais, la fameuse scène où Edward sauve Bella d’une voiture qui fonçait droit sur elle à l’école ? (Si tu ne sais pas de quoi il est question, tu peux la visionner juste ici).

Lorsqu’iels se parlent dans le corridor après l’incident, Edward invalide complètement ce qu’elle a perçu de la scène. Il n’utilise pas ces propos pour la rabaisser, mais il tente tout de même de jouer dans sa tête afin de modifier sa perception des choses. En effet, il lui dit qu’elle s’est cogné la tête et qu’elle doit être confuse, que sa réalité n’est pas la bonne. Il affirme également à Bella que personne ne va croire sa version de l’histoire si elle en parle à autrui.

The Invisible Man (2020)

The Invisible Man présente l’histoire de Cecilia, qui se fait harceler par son ex-partenaire, Adrian. Ce dernier prétend être décédé et devient invisible pour semer la terreur dans la vie de son ex-femme. Plusieurs situations bien claires de gaslighting sont présentes dans le film.

Par exemple, lorsque Cecilia dit à son entourage qu’Adrian n’est pas vraiment mort et qu’il la harcèle, les gens autour d’elle la remettent en question, disent qu’elle exagère et qu’elle est paranoïaque, ce qui amplifie son sentiment de solitude. Ensuite, Adrian réussit à manipuler des preuves grâce à son invisibilité et fait passer son ex-femme pour la coupable de certains événements, ce qui lui enlève de la crédibilité lorsqu’elle veut ensuite dénoncer les faits. Finalement, Adrian réussit à mettre en place un climat de tension psychologique et à manipuler les objets dans l’environnement de Cecilia, ce qui lui fait petit à petit croire qu’elle perd contact avec la réalité.

Clique ici pour visionner la bande-annonce.

You

La série You, dont la première saison a vu le jour en 2018, met en vedette Joe Goldberg, un homme très charismatique, qui manipule ses partenaires amoureuses. On peut dire de Joe qu’il est un pro du gaslighting.

En effet, à plusieurs reprises, il remet en question la perception de ses partenaires et minimise leurs émotions en disant qu’elles exagèrent ou qu’elles sont trop sensibles. Il leur cache aussi des informations par rapport à son passé pour soigner son image et leur ment lorsqu’elles découvrent la vérité sur lui, ce qui les amène à être confuses.

Ce ne sont que quelques exemples parmi plusieurs. Je t’invite à écouter la série et à te prêter au jeu pour déceler les tactiques de manipulation de Joe au fil des épisodes !

Se protéger contre le gaslighting

Maintenant qu’on comprend mieux la notion de gaslighting et comment cette technique de manipulation peut s’infiltrer dans le quotidien, il est temps d’explorer les stratégies à mettre en place afin de s’en protéger !

Accumuler les preuves

Bon. Le but n’est pas de partir en guerre et de faire croître sa charge mentale en amassant des preuves pour détenir la vérité à tout prix.

Cependant, il peut être aidant d’écrire dans un cahier les situations qui se sont déroulées, ou encore de garder certains textos et preuves de communication, afin d’avoir une version de la réalité relativement objective. Cela peut être apaisant si l’on se trouve en présence d’une personne qui remet constamment en question notre perception des choses.

S’affirmer

La personne qui fait du gaslighting tente d’avoir le pouvoir sur l’autre. Le fait de dénoncer un tel comportement peut ainsi la déstabiliser et faire en sorte qu’elle ne poussera pas plus pour dominer l’autre. Par exemple, il est possible de dire calmement : « je remarque que, présentement, tu es en train d’invalider ma perception des choses, mais je sais très bien ce que j’ai vécu et comment je me sens. Je me sens confortable pour discuter si je me sens écouté·e, mais pas si je sens qu’on rabaisse mon discours. Je serai disposé·e à le faire si je sens qu’on me respecte. »

Cependant, sache que c’est correct si tu ne te sens pas en mesure de dénoncer de vive voix la situation, que ce soit en raison du contexte ou de la posture de la personne qui se tient devant toi. Rappelle-toi toutefois que si ta petite voix intérieure t’indique que quelque chose cloche, elle mérite d’être écoutée et tu mérites d’être traité·e avec respect.

Identifier et poser ses limites

Dans le même ordre d’idées, le fait de mettre ses limites dans ses relations interpersonnelles aide à ce que la dynamique de celles-ci soit égalitaire. Par exemple, avant une discussion, il pourrait être possible pour chaque personne de nommer ses propres limites, et il pourrait être convenu que si elles ne sont pas respectées, la discussion devra être recadrée et/ou reportée (parce qu’on s’entend que parfois, c’est juste le mauvais moment !).

En parler !

Si jamais une situation te fait vivre de l’inconfort et te donne l’impression qu’on invalide tes propos ou ta personne, je t’invite à en parler à des personnes de confiance de ton entourage. Parfois, le fait d’avoir l’avis d’autres personnes peut aider à se faire un portrait plus objectif des choses.

Doux rappel : les autres sont aussi teinté·e·s par leurs propres biais et jugements. Ce n’est pas parce qu’une personne tierce n’est pas en accord avec toi que la personne qui a gaslighté a automatiquement raison.

Aller chercher de l’aide

Finalement, si tu vis de la détresse face à certaines dynamiques relationnelles, je t’invite fortement à communiquer avec un·e professionnel·le pour obtenir du soutien. Il existe plusieurs options : lignes d’écoute, groupes de soutien, consultation individuelle… l’important, c’est de bien s’entourer et de ne pas rester seul·e dans une situation qui nous rend mal.

Voici donc quelques ressources d’aide vers qui se tourner en cas de besoin, ou encore pour aller chercher de l’information sur le sujet du gaslighting.

Je te souhaite donc des relations interpersonnelles qui t’amèneront beaucoup de lumière, mais exemptes de gaslighting !

Pour en savoir plus…

• Info-Aide violence sexuelle est là pour répondre à toutes tes questions, que ce soit pour te rediriger vers les services adaptés à tes besoins, pour te prêter une oreille, ou encore pour t’informer sur certains sujets.

• Épisode de la série Pourquoi tu restes ? « Le “gaslighting” ou détournement cognitif », sur TéléQuébec
• Pour une lecture, le livre Détecter et contrer le gaslighting, de Anna-Lena Palek (2023)

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Référence

¹Sweet. P. L. (2019). The Sociology of Gaslighting. American Sociological Review, 84(5), 851-875. https://doi.org/10.1177/0003122419874843