Pourquoi mêler sexualité et dominance, voire douleur ? On t’entend venir (non, pas de la salle d’à côté, ne t’inquiète pas) : t’en as pas déjà assez, comme nous, de toutes les oppressions pernicieuses qu’on vit au quotidien ? Si tu n’es pas fan de douleur, que tu en as marre d’être marginalisé·e et qu’en plus, tu évites à tout prix d’encourager la violence, il se peut que tu aies discrédité d’avance le BDSM en tant qu’ensemble d’activités qui ne te concerne pas.

Dans les représentations médiatiques des relations de domination, les choses sont prises à l’extrême et appuient fort sur le sensationnalisme de l’inconnu ou des limites de la « normalité » sociale. On pense par exemple à la relation entre sugar parent et sugar baby où il y a clairement un débalancement de pouvoir à travers la différence d’âge, d’argent ou de positions sociales. Pourtant, si la relation est bien délimitée et que les participant·e·s consentant·e·s se respectent et respectent les règles du jeu, on y est ! La sexualité et la sensualité permettent entre autres de lâcher prise et d’avoir du plaisir à travers ce relâchement.

Qu’elle soit plutôt chill ou plutôt uptight et sous contrôle, notre attitude de base se colporte probablement dans notre vie érotique. On reproduit ce qu’on connaît, on se sent à l’aise et tout est confo. Or, il se peut aussi qu’on ait besoin de shake things up et de ressentir autre chose ! Notre mode d’existence quotidien se traduit parfois en son opposé question cul — que ça soit prémédité ou non. D’instinct, on imagine lea grand·e boss d’entreprise qui rêve de se faire marcher dessus par les talons aiguilles ou les combat boots d’un·e impitoyable Dominatorix. Côté quotidien, peut-être que lea prof de primaire, aussi parent·e de deux enfants, en a vraiment ras-le-bol de tout décider pour tout le monde et qu’iel veut que pour une fois, on lea mette au lit. À l’inverse, la personne la plus relaxe peut fantasmer de prendre le dessus avec ses partenaires pour les trimbaler dans tous les sens (consentants) ! Conclusion : se mettre au défi et changer son quotidien, ça fait drôlement du bien, et c’est souvent très sexy.


Attention, le défi est ici tout ce qui s’oppose à nos zones de confort ! Si le contrôle, l’ordre et la sécurité de savoir et de déterminer tout ce qui se passera soi-même rentre dans ces dernières, se mettre au défi peut « simplement » revenir à laisser quelqu’un·e d’autre choisir à sa place.


Don et abandon

Ce qu’on retrouve dans ces exemples cinématographiques ? Des situations de « power play » ou échanges de pouvoir. Pour un temps déterminé, deux ou plusieurs personnes consentent à échanger une partie de leur pouvoir habituel sur elleux-mêmes. Les subs font preuve d’une immense confiance octroyée au Dom(mes) qui détiennent, en échange, la très grande responsabilité de prendre soin d’elleux. De leur donner du plaisir, de pousser parfaitement les limites du confort pour faire ressentir tour à tour de l’intensité délicieusement insoutenable et une tendresse sans bornes. En effet, c’est un échange et non simplement un abandon de la part de la personne soumise. Celle-ci abandonne quelque chose afin que la personne dominante lui fasse un don équivalent. Cette dynamique d’échange de puissance, de corps et de responsabilité(s) constitue un très délicat et très puissant équilibre atteint par le choix éclairé, la connaissance de soi et de l’autre et la communication proactive et transparente. Le monde de l’érotisme permet de se découvrir en tant qu’individu·e et le BDSM n’en fait pas exception : lea sub use d’agentivité en choisissant de se délester d’une partie de sa puissance pour un temps.

Un mal pour un bien

Si tu es du genre à sursauter de dégoût comme de douleur lorsqu’un·e niaiseuxe ose te poser une claque impromptue au postérieur sans préavis, sache que la réaction est justifiée. Elle n’empêche toutefois pas de prendre plaisir à une partie de kink si les choses vont comme elles devraient ! Pour celleux qui aiment la douleur en temps normal, super. Mais si ce n’est pas ton cas, tu découvriras peut-être avec extase que le but n’est pas la douleur en soi, mais plutôt les sentiments de lâcher-prise et d’impuissance (consentie) qui l’accompagnent. Tu peux probablement en prendre plus (si et seulement si tu veux en prendre plus) lorsque tu t’y attends et t’y prépares. 

Dans Lover’s Pinch: A Cultural History of Sadomasochism, Peter Tupper insiste sur l’importante distinction entre « hurt » et « harm », c’est-à-dire entre une douleur passagère et une blessure qui dure : physiquement, psychologiquement, spirituellement, etc. De nombreuses activités liées au BDSM risquent d’infliger des douleurs temporaires au corps ou aux émotions — dans les pratiques de dégradation ou d’humiliation par exemple. L’un des principes de base du BDSM est néanmoins de ne jamais causer de tort qui blesserait les individu·e·s concerné·e·s de manière durable ou permanente. C’est bien beau de se mettre à ligoter tes partenaires, mais si tu ne t’éduques pas à propos des sérieux risques de dommage permanent aux nerfs et comment reconnaître et corriger ces risques en pleine scène de jeu, tu manquerais gravement aux responsabilités que tu as prises sur toi dans le cadre de cet échange de pouvoir. On te conseille de te renseigner auprès de lieux et de communautés BDSM qui te permettront d’apprendre et de pratiquer en toute sécurité.

Et même beaucoup de bien

Mais qu’est-ce donc qui nous fait nous sentir si bien lorsqu’on se délecte d’être un·e mignon·ne bottom entre les mains de san top ? Ce qui est en jeu dans le don de soi à autrui, c’est notamment la confiance. Et si, lors d’expériences érotiques, on pouvait établir clairement que l’on offre notre corps à l’autre afin qu’iel apprenne à nous connaître profondément ? Et si iel pouvait alors s’appliquer à tester nos limites pour nous faire grimper aux sommets de l’excitation, au-delà de ce que nous aurions su faire en le dictant soi-même ? Tout ça paraît idéal dans l’ensemble des relations envisageables. Points culminants de vulnérabilité et de rencontre intime. Le BDSM commence par-là alors que la sexualité non réfléchie et non préparée a tendance à s’y retrouver en fin de compte

La grande intensité de ces expériences monte, monte et monte jusqu’à ce qu’un relâchement se fasse. Cette intensité a rapport au corps exposé et rencontrant parfois de la douleur, mais aussi à tout ce qu’on peut avoir de vulnérable en nous qui est ainsi mis de l’avant. La pression s’échappe, le corps redescend et les hormones affluent au cerveau, causant un véritable high physique. Les mordu·e·s de BDSM le sont notamment pour le rush créé par les scènes de jeu et le flottement qui accompagne souvent leur conclusion. Cette description ressemble étrangement à celle d’un orgasme, non ? Eh oui, mais elle n’y est pas forcément rattachée ! Le BDSM permet d’atteindre un état semblable sans forcément que ça ne passe par des actes sexuels.

Petite piste de réflexion sur les types variés d’attirance : si le BDSM ne verse pas tout à fait dans la sexualité, serais-tu intéressé·e à entreprendre du jeu avec des gens qui ne t’attirent pas sexuellement, mais peut-être romantiquement, sensuellement ou platoniquement ? Et s’il était possible de cultiver des espaces et des sensations de bien-être entre amix, c’est-à-dire avec les personnes à qui tu fais le plus confiance, qui te connaissent le mieux et qui auraient le moins de raison de tirer avantage de ton (aban)don de toi-même ?

L’aftercare est une étape incontournable du jeu impliquant du power play, car lea Dom(me) doit clôturer ses responsabilités dans l’échange de pouvoir en s’occupant de lea sub, submergé·e de sentiments et de sensations intenses au fur et à mesure qu’iel redescend sur Terre.

Et qu’en est-il de la perspective adjacente, soit celle de la personne qui prend le contrôle ? Celle-ci va immanquablement développer sa confiance en elle-même en tant qu’amant·e capable de donner du plaisir à ses partenaires. Assumer la responsabilité du soin et du plaisir de l’autre, c’est aussi se dédier à ellui, faire promesse de care et d’attention. Sans compter développer d’importantes capacités à communiquer ce que l’on désire et recherche ! 

Quant aux relations de domination/soumission du type maître/esclave, le symbolisme est omniprésent et les gestes de don et de prise vont souvent bien au-delà de l’événement sexuel ou sensuel. L’obéissance est une sorte de promesse actualisée. Les personnes plutôt brat, qui ne se laissent pas aisément dominer, encouragent le jeu et testent les limites. Que de belles options de croissance et d’accomplissement collectif se retrouvent donc offertes par l’éventail d’activités reliées au power play !

… Ou aucun mal du tout

Savais-tu qu’il est tout à fait possible — et fréquent ! — de s’adonner au BDSM sans qu’il ne soit question de douleur ? Puisque l’échange de pouvoir est l’élément vedette, il suffit de faire un travail collaboratif sur la relation entre les partenaires de la scène pour intégrer cette notion au jeu. Pas besoin de fouets, de paddles, de cire, ou d’autres instruments et machines à torture pour passer un bon moment hors de l’ordinaire. Avec un peu de créativité, des plumes et un bandeau ou une main sur les yeux suffisent à aiguiser les sens et à faire monter la chaleur.

Tu peux donc très bien préférer la douceur des expériences vanille et quand même adopter dans tes relations la dynamique de pouvoir du BDSM version soft. En fait, être top ou bottom, ce n’est pas déjà un peu (beaucoup) ça ? Rassure-toi, ce ne sont pas des identités immuables, mais bien plutôt des attitudes que chacun·e peut s’approprier et explorer le temps d’un instant, d’une soirée, d’une année ou d’une vie.

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À propos de Elyx Desloover

Rédacteur·rice pigiste | Pronoms: iel/ellui | Joyeusement gamin·e, j’aime provoquer les gens à jouer. Avec les mots comme les idées, les corps, les identités. Je trouble à dessein les sols sur lesquels on se promène sans y penser. J’interroge et fais réfléchir celleux qui m’entourent pour déconstruire les concepts réducteurs de nos belles et fluides multiplicités. Suite à des études de bac et de cycles supérieurs en philosophie et en littératures, je me consacre à un doctorat en études culturelles axé sur des enjeux trans, féministes et abolitionnistes, la justice transformatrice par le care et les politiques du plaisir. Je vise à soigner ce que je peux grâce aux remèdes naturels, à la cuisine remplie d’amour et de plantes, puis au yoga dont je suis professeureuse. Mon temps libre se trame aussi de rituels intentionnels valorisant la connexion à soi comme à autrui et au monde – communication transparente, tarot, pendule, pleine présence. Que peut-on donc créer ensembles à partir des failles de systèmes morcelés, le poème à la bouche et le sourire dans les yeux?

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