Les personnes grosses n’ont pas le monopole des dates catastrophes. Cela dit, rencontrer des gens dans un monde où l’on voue un véritable culte à la minceur alors qu’on existe dans un corps plus gros représente définitivement une expérience à part entière.

T.W. : exemples concrets de stigmatisation des corps gros, violences sexuelles, victim blaming.

Je commencerai en précisant qu’une multitude de paramètres et de prédispositions peuvent faire en sorte que la réalité d’une personne grosse diffère de celle d’une autre personne grosse. Parmi ces éléments figurent, entre autres, la classe sociale, la couleur de la peau, la situation géographique, l’âge, l’orientation sexuelle, l’identité et la conformité de genre, la situation financière, la position sur le fat spectrum, une situation de handicap et même la répartition du gras sur le corps. Ensuite, sache que je me suis basée sur ma propre expérience en tant que mid-fat femme blanche, sur des témoignages reçus lors de plusieurs années de militantisme au sein de cercles féministes ainsi que sur des confessions reçues dans le cadre de la rédaction de cet article. Voici donc 7 expériences communes aux personnes grosses en contexte de dating.

1. Susciter l’étonnement

La représentation, c’est important. Combien de personnages principaux gros comptes-tu dans la culture populaire ? Combien de personnages gros possédant une vie amoureuse/sexuelle peux-tu nommer ? Combien de personnages gros comptes-tu tout court qui ne sont pas utilisés à des fins de comic relief ou dont le but principal n’est pas de perdre du poids pour enfin « commencer à vivre » ? Quand on est contraint·e à une telle absence de représentation, on finit par assumer, inconsciemment ou non, que tous·tes les héros et héroïnes de toutes les histoires d’amour sont minces, ou, du moins, ne sont pas « trop » gros·ses. Or, surprise, les personnes grosses aussi datent, ont des one night et tombent en amour.

Susciter l’étonnement de ses pairs par le simple fait de dater ou d’avoir des matchs sur les applications de rencontre, ça fait réaliser à quel point les personnes grosses sont perçues comme faisant partie d’une catégorie à part d’individus par certain·e·s, comme si exister dans un corps plus gros réduisait sensiblement nos chances de pouvoir être réellement aimé·e ou désiré·e, ou encore faisait de nous des humain·e·s de moindre « valeur ». 

Liza, 34 ans, m’a confié s’être déjà fait demander par une partenaire si elle était polyamoureuse par choix ou parce qu’elle était grosse. Ce qui était sous-entendu par ladite partenaire, m’a-t-elle expliqué, c’est que quelqu’un ne pourrait pas « vouloir exclusivement d’elle » à long terme. Pour reprendre les mots d’une de mes héroïnes personnelles, l’autrice et activiste Aubrey Gordon : Fat people fall wildly in love. Fat people get married. Fat people have phenomenal sex. Fat people are impossibly happy. Those fat people live in defiance of the expectations set forth for them. (What We Don’t Talk About When We Talk About Fat, 2020) (Traduction libre : Il y a plein de personnes grosses qui tombent follement amoureuses. Des personnes grosses qui se marient. Des personnes grosses qui ont du sexe incroyable. Des personnes grosses qui sont heureuses. Ces personnes grosses défient les attentes leur étant imposées.)

Gif d'une femme grosse qui dit "I eat men".

Vouloir rencontrer des gens et développer des connexions significatives, ce n’est pas censé être quelque chose de subversif. De grâce, cessez de nous dire qu’on est courageux·ses de se lancer dans la dating game si ce n’est pas quelque chose que vous diriez à une personne mince. Cessez de demander à consulter nos matchs ou les profils de nos dates et de paraître surpris·es lorsque quelqu’un vous apparaît datable. C’est gênant pour tout le monde, surtout pour vous.

2. Le manque d’accessibilité 

Dater devient soudainement nettement plus anxiogène quand on n’est pas certain·e·s de pouvoir rentrer dans la banquette d’un restaurant, ou encore dans les sièges d’un cinéma. Passer plusieurs heures sur une petite chaise de plastique alors qu’on prend un verre sur une terrasse, c’est considérablement moins agréable quand on vit avec la peur que la chaise zéro adaptée brise sous le poids de notre corps. Trouver des vêtements dans lesquels on se sent cute pour une date, c’est pas mal plus compliqué quand on ne peut qu’exclusivement trouver des vêtements en ligne, au sein d’un échantillon méga réduit et à un prix nettement plus élevé. Ce ne sont que quelques exemples du manque d’accessibilité auquel les personnes grosses sont contraintes quotidiennement. Plus une personne est « haute » dans le fat spectrum, plus l’impact de ce point est considérable. 

3. L’objectivation et la fétichisation 

Les fétiches ne sont pas condamnables à eux seuls. Ils peuvent être consensuels et partagés, stimulants et libérateurs. Il existe plusieurs types de fat fetish : par exemple, certaines personnes pratiquent le feedism, un fétiche qui consiste à nourrir/être nourri·e fréquemment par san partenaire dans le but de prendre du poids. 

Cela dit, plusieurs personnes grosses ont en commun des expériences de fétichisation non consensuelle. Ça prend parfois la forme de messages douteux sur les applications de rencontre : plusieurs personnes m’ont confié avoir reçu des messages — pour le moins déshumanisants — de type “can I fuck your rolls?”, ou encore « les gros·ses font les meilleurs blowjobs », ainsi que “suffocate me with that body et autres dérivés. Personnellement, on m’a déjà dit « t’es ma première grosse » au moment de coucher avec moi, et on m’a déjà écrit « j’aimerais ça l’essayer avec une fille de ta shape ». Se faire approcher de la sorte sans en avoir préalablement consenti donne l’impression de se faire déposséder de toute agentivité, un peu comme si notre corps pouvait être réduit par qui le veut bien à une curiosité à essayer, une case de bucketlist à cocher ou une vulgaire catégorie de porn à consommer. « Dans la sphère du dating, il y a plein de gars qui te font croire qu’ils veulent quelque chose de sérieux, mais tu finis par comprendre qu’ils ne voulaient qu’essayer une grosse au lit », m’a divulgué Valérie, 38 ans.

À la longue, la ligne entre objectivation et simple attirance peut nous apparaître floue : on se fait tellement rabrouer qu’un corps comme le nôtre n’est pas digne de désir qu’on finit par se méfier de ce qui pourrait véritablement se cacher derrière l’intérêt de quelqu’un. Aubrey Gordon témoigne à ce sujet : “Over time, I came to experience any attraction as untrustworthy, as if danger lurked nearby. In retrospect, I worried for my bodily safety, as if only violence could develop an appetite for a body as soft as mine. And I worried that I would become a sexual curio, more novel than loved.” (What We Don’t Talk About When We Talk About Fat, 2020) (Traduction libre : Avec le temps, j’en suis venue à voir toute attirance comme suspecte, comme si le danger me guettait. En y repensant, je m’inquiétais pour ma sécurité physique, comme si seule la violence pouvait se nourrir d’un corps tendre comme le mien. Et j’avais peur de devenir une curiosité sexuelle, plus intrigante qu’aimée.)

Or, la vérité c’est qu’il est possible d’être gros·se, magnifique, sensuel·le et désirable, et tout cela sans que quelconque forme de fétiche soit de mise. Nos « préférences » sont, en grande partie, le produit des normes morales et sociales qui forment l’environnement dans lequel on évolue. Repenser et déconstruire le lien persistant entre minceur et beauté nous permet de réaliser la nature arbitraire de celui-ci.

Portrait de l'autrice Aubrey Gordon
Photo de Beth Olson Creative, pour le site d’Aubrey Gordon
Aubrey Gordon, militante, co-hôte du podcast Maintenance Phase et autrice de What We Don't Talk About When We Talk About Fat (2020) ainsi que de “You Just Need to Lose Weight”: And 19 Other Myths About Fat People (2023).

4. La beauté intérieure et autres complimardes

Comme le veut la tradition, dater en tant que personne grosse augmente considérablement nos chances de se faire régurgiter un dérivé de « moi, je suis capable de voir au-delà du physique », « l’important c’est la beauté intérieure », ou encore « tu as un beau visage ». Plusieurs femmes avec qui je me suis entretenue m’ont rapporté s’être fait dire à plus d’une reprise « tu es belle pour une grosse ». On m’a personnellement déjà dit ne pas « pouvoir » s’intéresser à moi, suivi de « le physique c’est trop important pour moi » en guise de justification. 

Bon. Qu’on se comprenne : aucune personne grosse n’a la prétention d’affirmer que l’attraction physique relève du mythe ou de la superficialité. Or, nul·le n’a nécessairement envie que l’on s’intéresse à ellui en dépit de son apparence physique pour autant. Au risque de me répéter, les corps gros sont beaux et valides. Comprendre d’où nos « préférences » nous viennent en tant qu’individus évoluant dans une société raciste, sexiste et capitaliste est primordial dans le processus de déconstruction de tous nos biais grossophobes. Comme le mentionne encore une fois ma personne préférée au monde à citer, Aubrey Gordon : “I believe that I deserve to be loved in my body, not in spite of it. My body is not an inconvenience, a shameful fact, or an unfortunate truth”. (What We Don’t Talk About When We Talk About Fat, 2020) (Traduction libre : Je crois que je mérite d’être aimé·e pour et avec le corps que j’ai, et non malgré lui. Mon corps n’est pas un désagrément, quelque chose de honteux ou un malheur qu’il faut cacher.)

5. Celleux qui assument moyen de nous fréquenter

T’as l’impression que toutes vos dates ont lieu dans la sphère privée. Ça fait des mois que vous vous fréquentez et tu n’as jamais rencontré un·e seul·e de ses proches. Iel t’a déjà fait quitter son appartement hyper tôt le matin afin que tu ne croises personne. Iel semble te contacter seulement quand iel consomme…

J’ai entendu cette narrative des dizaines de fois dans la communauté plus size. Réaliser que quelqu’un qu’on affectionne prend le grand soin de faire de notre existence un secret a un énorme impact sur l’estime de soi et peut définitivement engendrer des traumatismes. C’est pas parce que t’as des problèmes avec ton image personnelle que tu peux scrapper celle des autres. Get ahold of yourself.

6. Les violences sexuelles d’autant plus banalisées

Certaines personnes ont statistiquement moins de chances d’être crues que d’autres en contexte de dénonciation. Parmi les personnes partant à -1000 dans la game de la crédibilité figurent les femmes grosses. Plusieurs recherches démontrent que lorsqu’elles sont victimes d’une agression sexuelle, leurs témoignages sont considérablement moins crus et reconnus que ceux des femmes minces. Dans certains cas, on va jusqu’à suggérer aux victimes d’être « reconnaissantes d’avoir été désirées ». 💔 

« Un partenaire m’a déjà dit : t’es donc ben “tight” pour une grosse. Ce même homme m’avait aussi dit, au moment de soulever mon ventre : le seul problème avec ça, c’est qu’on peut pas voir ta chatte. C’est dégueu quand j’y repense, je me console en me disant que j’avais assez d’estime pour mettre fin à la relation rapidement », m’a révélé Sophie, 42 ans. Plusieurs femmes m’ont également confié avoir eu l’impression d’être victimes d’une forme de hogging par le passé, cette effroyable pratique originaire des fraternités américaines visant à défier ses amis de coucher avec une femme plus size, le gagnant constituant celui qui termine la soirée avec la partenaire la plus grosse.

Gif d'une femme qui se tient la tête et a l'air exaspérée.

D’autres études démontrent que les femmes grosses sont statistiquement plus à risque de connaître de la coercition sexuelle que les femmes minces. Cela pourrait être expliqué, en partie, par le rapport de force qui prend forme entre certains hommes hétérosexuels et les femmes grosses. ⤵

7. Une dynamique de pouvoir

Un truc plutôt commun à la fat experience, c’est cette espèce de sentiment d’entitlement que certains hommes hétéros semblent projeter sur les femmes grosses qui croisent leur chemin. C’est un peu comme si être une femme grosse était synonyme d’un consentement inconditionnel, que cela donnait l’impression à certains d’avoir un pouvoir d’emprise sur nous. Ça se manifeste souvent par des commentaires hyper violents de type « prends celui qui veut bien de toi et ferme ta gueule », m’a confirmé Valérie, 38 ans. « Je me suis souvent fait dire : tu dois pas en revenir qu’un gars comme moi s’intéresse à une fille comme toi. Après, si tu oses le rejeter, les insultes sur ton physique ne sont jamais bien loin », avait-elle poursuivi. Charlotte*, 31 ans, quant à elle, m’a raconté qu’on lui a déjà dit « tu devrais pas te permettre de choisir avec la shape que tu as ». Sarah, 35 ans, m’a affirmé avoir vécu des expériences similaires : « il m’est souvent arrivé de me faire proposer des one night par des hommes, que je déclinais parce que ce n’est pas ce que je recherchais. À ce moment-là, les hommes utilisaient mon poids pour m’insulter. On m’a aussi fait savoir que je ne devrais pas dire non au seul choix qui s’imposait à moi. J’ai eu de meilleures expériences avec des femmes », avait-elle conclu. 

*Le prénom de Charlotte est fictif par souci de confidentialité. 

Deux poids deux mesures

Ce ne sont pas toutes les personnes grosses qui font face à de telles histoires d’horreur. Tania, 40 ans, m’a témoigné : « Quand j’étais sur les sites de rencontres, je me souviens que je n’avais même pas eu le temps de terminer mon profil que j’avais plus de 100 messages qui étaient rentrés ! […] Le dating n’était pas problématique de mon côté. C’était plutôt comment faire la sélection… Certains pour des relations, d’autres pour la baise… Même que des gars m’approchaient dans l’autobus, à l’épicerie, à la quincaillerie, en prenant une marche dehors etc… Encore à ce jour ça m’arrive même en étant en relation… Bref, pour moi, ça n’a pas été traumatisant ou négatif le dating, à l’époque. »

Par contre, à la longue, celles qui accumulent des expériences aussi accablantes que celles énumérées dans cet article peuvent en venir à internaliser des idées fausses et dommageables sur elles-même, ou encore à renoncer au dating tout court. Pour reprendre une dernière fois les mots d’Aubrey Gordon : “I had struggled to accept interest where I found it. No matter how a potential partner looked, no matter how enthusiastic they were, I couldn’t trust their attraction. I shrank from their touch, recoiling from their hands like hot iron, believing their interest to be impossible or pathological. Any intimacy required vulnerability, and vulnerability inevitably led back to humiliation. This is among the greatest triumphs of anti-fatness: It stops us before we start.” (What We Don’t Talk About When We Talk About Fat, 2020) (Traduction libre : J’ai eu du mal à accepter l’intérêt là où il y en avait. Peu importe de quoi un·e partenaire potentiel·le avait l’air, peu importe son enthousiasme, je ne pouvais pas avoir confiance en son attirance envers moi. Je frémissais à son toucher, m’éloignant de ses mains comme d’un fer chaud, croyant son intérêt impossible ou pathologique. Les moments d’intimité demandaient une vulnérabilité et celle-ci me menait inévitablement à l’humiliation. Et c’est là l’une des plus grandes victoires de la grossophobie : elle nous coupe l’herbe sous le pied avant même qu’on prenne le premier pas.)

Ces mots résonnent très profondément en moi. Me persuader que je suis admissible à quelconque forme d’amour et de reconnaissance représente un combat quotidien. Je nous souhaite collectivement un monde plus inclusif et plus conscient des violences qu’il perpétue. J’ai espoir que nos esprits évoluent et se sensibilisent graduellement. Les corps gros sont dignes d’éloges, d’amour et de respect. Aux personnes minces qui me lisent : la balle est dans votre camp. 

J’aimerais remercier Liza Courtois, Sarah Milliard, Tania St-Louis, Valérie Guay, Sophie Clavette et toutes les autres personnes qui m’ont accordé leur confiance et fourni des témoignages pour la rédaction de cet article.

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À propos de Margot Chénier

Rédactrice et spécialiste des réseaux sociaux | Pronoms : elle/la | Diplômée en Études Féministes, je poursuis présentement mon parcours universitaire en Film Studies. Je suis une grande fan de tout ce qui vibre, qui brille ou qui pétille. J’ai Bye bye mon cowboy de pognée dans la tête 24/7. Je prends plaisir à mettre feu aux normes sociales pernicieuses et désuètes. On me qualifie parfois de «radicale», mais je ne vois pas ce qu’il y a de radical à vouloir anéantir la réputation de Woody Allen et la culture du viol. J’ai horreur qu’on utilise le terme vagin pour parler de vulve. Je passe le plus clair de mon temps à faire des rants contre la culture des diètes et le film Never been kissed. If you need me, I’ll be eating 5lbs of asparagus in the corner.

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