« Une dernière fois ? », souffla-t-il, s’approchant progressivement d’elle, ses yeux plantés dans les siens, tout en défaisant scrupuleusement le nœud de sa cravate de couleur verte et argent. 

« Drago… », murmura-t-elle à son tour, soutenant son regard, tremblante de désir et d’impuissance. 

D’une main confiante, il caressa la douce surface de sa peau brûlante, puis la plaqua fermement contre le mur. À ce moment, elle savait qu’elle ne pourrait lui résister. 

« Une dernière fois. », lui souffla Hermione à son tour.

Quand j’étais plus jeune, je trippais ben raide sur les Fanfictions, plus spécifiquement les Dramiones, qui consistaient en de courtes (ou de moins courtes) histoires systématiquement mal écrites par du monde de 14 ans méga horny à l’idée d’un amour impossible entre Drago Malfoy et Hermione Granger (deux personnages issus de l’univers d’Harry Potter). Malgré le ridicule de la chose, ça me turnait considérablement plus on que la porno dite classique que j’étais capable de dénicher lorsque personne dans la maison ne monopolisait la connexion internet. Jadis, je m’étais dit que Pornhub et compagnie c’était probablement juste trop pour mon chaste regard de jeune fille. Je préférais m’en tenir aux Dramiones, ou bien regarder mes Sims faire crac-crac 17 fois en ligne.

Plusieurs années et multiples abonnements à des sites de porn éthiques plus tard, je réalise que je capote toujours pas sur le phénomène. Même le contenu plus queer et féministe ne me séduit pas totalement. Comprends-moi bien : je suis une grande fan de masturbation et de sexualité en solo. Mais il y a toujours un détail qui me gosse ou qui me paraît ridicule dans la porno classique, et ça c’est si je me fais pas violemment refroidir par une retentissante pub dégueulasse qui a déjoué mon adblocker. Éventuellement, j’en suis venue à la conclusion que la porn, c’était juste pas tant pour moi.

Puis, tout récemment, mon chemin a croisé celui de Dipsea, une plateforme contenant une tonne d’histoires érotiques et de pornographie audio. Ma vie a changé, et au passage, j’ai compris plusieurs trucs concernant mes désirs et mes préférences en matière de sexualité. Avant de me lancer dans les louanges et l’adulation de la pornographie audio, je te propose de survoler rapidement deux notions qui seront essentielles à cet article : celles du male gaze et du female gaze.

Le male gaze

Le male gaze, ou le regard masculin, est une théorie féministe visant à critiquer la représentation des femmes dans les médias, les arts visuels, le cinéma, et plus actuellement, la pornographie. C’est la théoricienne et critique cinématographique Laura Mulvey qui est à l’origine de ce concept élaboré en 1975 dans son essai Visual Pleasure and Narrative Cinema. Alors, c’est quoi, donc, le male gaze ? En gros, c’est le point de vue dominant qui contribuerait à l’objectification et à la déshumanisation des femmes et à la reproduction de dynamiques de domination à l’écran. Le cinéma constituant un milieu très masculin, nous serions toustes contraint·e·s de s’en tenir à la perspective de l’homme hétérosexuel et de ses frivolités du moment.

Marilyn Monroe, Gentlemen Prefer Blondes (1953)

Cela résulterait en la création de personnages féminins accessoires à l’intrigue et dépourvus de toute agentivité, se résumant plutôt à des objets de désir et de divertissement. Heureusement, depuis la parution de Visual Pleasure and Narrative Cinema, le milieu des arts a, somme toute, pudiquement progressé, laissant place à plus de réalisateur·ice·s, d’auteur·ice·s et de producteur·ice·s femmes, non-binaires et queers. Mais bon, il serait absurde de penser qu’on s’est complètement débarrassé du fameux male gaze. À titre d’exemple, je te laisse méditer sur la nature des personnages féminins dans The Wolf of Wall Street (2013, Scorsese), incluant celui de Naomi (Margot Robbie). Une phrase précise m’a marquée dans un article adressant la masculinité hégémonique dans ce film : They [les personnages féminins] are nothing more than objects of desire, a surface to snort cocaine from or a hole to cum inside. Brutal, mais vrai.

Margot Robbie, The Wolf of Wall Street (2013)
Pour aller un peu plus loin…

- Une étude démontre qu’en 2020, seulement 29% des grosses productions cinématographiques avaient des personnages principaux féminins.

- Si tu t’intéresses à la représentation des femmes dans le cinéma et/ou si tu as envie de boycotter les films comportant strictement des personnages féminins superflus, je te recommande chaudement cette liste déjà toute faite pour toi ! Il s’agit du classement de tous les films ne passant pas les trois critères du fameux test Bechdel.

- Il existe une théorie intersectionnelle homologue au male gaze, visant plutôt la critique du manque de représentation des personnes non blanches dans le cinéma. Il s’agit du concept de regard oppositionnel, élaboré par nulle autre que bell hooks en 1992 dans son recueil d’essais intitulé Black Looks : Race and Representation. Si tu désires te pencher sur l’impact de l’étroit et unidirectionnel standpoint de l’homme blanc dans la culture populaire, je te propose cette courte, mais très efficace capsule.

Le female gaze 

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le female gaze ne constitue pas l’antipode du male gaze et n’est pas du tout calqué sur ce dernier. On a tendance à s’imaginer que le female gaze serait une version cinématographique d’une soirée au 281, mais ce n’est pas le cas. Certes, les cinéastes du female gaze avaient certainement pour objectif, à la base, d’offrir une perspective dite féminine sur le monde et d’accorder de l’importance à l’expérience des femmes, trop souvent ignorées ou invisibilisées. Cela dit, contrairement au male gaze, le female gaze comporte un concept clé : celui de l’empathie. « The focus isn’t necessarily on what the eye can see, but on what the heart can feel », affirme l’autrice et journaliste Daila Ayala dans cet article.

Plus concrètement, le female gaze nous permettrait de nous mettre à la place des personnages, de ressentir partiellement ce qu’iels ressentent, de pénétrer le récit.


Julianne Côté, Tu dors Nicole (2014)

Le female gaze laisse place à la vulnérabilité des personnages tout comme à leurs moments d’allégresse, leur expérience nous apparaît humaine et relatable. Que ce soit par l’entremise du jeu des acteur·ice·s, les effets de lumière, le décor et les accessoires, les travellings d’une caméra, la musique choisie, etc. Le female gaze vise avant tout à nous faire vivre des émotions. « It focuses on touch, interactions, and atmosphere instead of action and just sexuality. The female gaze looks to balance the man and the woman, making them equals in all areas”, poursuit Ayala. Tu comprendras que ce ne sont donc pas que les cinéastes et artistes femmes qui peuvent tirer profit du female gaze dans leur travail ! Je pense, notamment, à l’entièreté de l’œuvre de Xavier Dolan ou encore à Tu dors Nicole, de Stéphane Lafleur.

Melvil Poupaud, Laurence Anyways (2012)

Les principaux styles de pornographie audio

Bon ! Tu me suis toujours ? Revenons à la pornographie audio, tout ceci fera du sens dans pas trop long, tu vas voir.

Connaissant sa montée en popularité au cours de la pandémie, la pornographie audio est toujours en train de se développer et de repousser ses limites. De nouvelles plateformes voient continuellement le jour et de nouveaux kinks sont explorés. À ce jour, je te dirais qu’il existe 2 catégories principales.

1. En mode spectateur·ice 

Plateformes : Dipsea, Audiodesires, Emjoy

Ce type d’enregistrement comporte souvent un·e narrateur·ice et les voix de deux personnages ou plus. Le personnage narrateur·ice te dépeint les circonstances dans lesquelles l’acte a lieu, te donne plein de détails hyper sexy tout en laissant place à ton imagination. Par exemple, lea narrateur·ice ne s’attardera pas aux caractéristiques physiques des personnages telles que la grosseur du pénis ou des seins de san partenaire. C’est toi qui imagine tout ceci selon tes propres préférences. Iel te décrira plutôt comment iel sent la tension monter, comment iel sent le souffle de san partenaire dans son cou, comment iel brûle de désir, comment on lui arrache ses vêtements, etc. Tu te trouves en position de spectateur·ice : c’est comme si tu étais dans la pièce avec elleux, témoin de leurs interactions. Les « bruits de jouissance » ne sont pas over the top et les acteur·ice·s possèdent, évidemment, des voix super sexy.

2. En mode acteur·ice (POV)

Plateformes : Quinn, Yuu, Voxxx (en français !)

Dans ce genre de porno audio, tu es l’un des personnages. L’enregistrement comporte la voix de tan ou tes partenaires qui s’adressent directement à toi, et libre à toi d’imaginer ce que tu leur réponds. Iels te révèlent généralement ce qu’iels s’apprêtent à faire pour te donner du plaisir, te décrivent comment tu les allumes, comment tu es sexy, comment iels sont excité·e·s, etc. Il y a habituellement davantage de dirty talk pour que tu puisses suivre l’action sans la présence d’un·e narrateur·ice. C’est vraiment une expérience immersive et réaliste. Attention, plusieurs bruits de bouche, de macaroni in a pot et de couilles qui font flop flop au rendez-vous. 

(Nettement moins pire qu’un gros plan flou de creampie qui dégouline à l’infini, si tu veux mon avis.) 

(Y a rien qui m’écœure plus, pour vrai.)

En quoi la pornographie audio a le potentiel de réinventer tes séances de masturbation (et ta sex life en général)

« C’est bien beau tout ça », tu me diras, « mais, mis à part l’absence d’images, qu’est-ce qui différencie tant la pornographie audio de la pornographie plus classique ? » Ma réponse : une multitude de choses ! En voici quelques-unes.

  • Le fait de mettre ses écouteurs, de fermer les yeux et de se concentrer sur son propre corps et ses propres sensations plutôt que sur des images préconçues rend l’expérience vraiment plus intense, intime, voire méditative, pour certaines personnes. Tu peux enfin te concentrer sur ce qui se passe à l’intérieur de toi, et non à l’extérieur de toi. La porn classique résulte en une tonne de stimulis qui peuvent facilement déconcentrer, en plus de devoir être visionnée sur un appareil électronique qu’il faut s’assurer de pas crisser en bas du lit. This is just too much for some of us.
  • Tu as beaucoup plus de liberté et de contrôle sur ce qui se passe et comment ça se passe. Tu peux imaginer les personnages que tu veux, avec la pilosité que tu veux, dans l’éclairage et les draps de velours de ton choix, etc. Tu peux visualiser des corps qui ressemblent plus au tien, des corps qui t’allument sans nécessairement correspondre aux standards habituels de la porn. Ça ouvre une porte à la diversité, ou, du moins, ça ferme une porte à la surreprésentation de physionomies irréalistes et stéréotypées. Même la porno queer et féministe est influencée par les standards de beauté occidentaux : il est, par exemple, très rare d’y retrouver des corps gros ou des corps possédant un handicap. Si ça te tente d’imaginer que la voix masculine de l’enregistrement correspond à celle de David Harbour rockant son ultimate dad bod et arborant un « bronzage de paysan », libre à toi de le faire. 🤤

 

  • Si tu vis avec des traumatismes sexuels, il y a considérablement moins de chances que ceux-ci resurgissent pendant que tu te masturbes. Personnellement, j’ai toujours un peu la chienne que ça m’arrive, et le fait d’être continuellement sur mes gardes m’empêche de me concentrer sur mon clitoris et mon Abracadabra. Assez party pooper comme feeling
  • Ça te permet d’essayer de nouveaux kinks tout en y allant doucement et sans craindre une image trop graphique ou de mauvaises surprises.

  • La pornographie audio est, pour certain·e·s, nettement moins aliénante : tu n’as pas l’occasion de comparer ton corps à celui des pornstars ou de remettre en question ta vie sexuelle au complet entre deux gros plans de vulve parfaite ou de horse-sized penis.
  • Étant donné l’omniprésence de la pornographie, certaines personnes sont désensibilisées à la vue de corps nus. La pornographie audio représente un bon moyen de retrouver graduellement le désir de voir l’autre nu·e dans les moments où l’excitation est plus difficile à atteindre.
  • Aucune chance que tu sois gossé·e par les mauvais acting skills d’un·e acteur·ice. Je le sais que plein d’acteur·ice·s adorent leur métier et je suis à fond pour toutes les formes de sexwork, mais, c’est plus fort que moi, je les trouve rarement 100% crédibles.
  • Sur la majorité des applications offrant de la porno audio, tu peux choisir les identités de genre des personnages, les accents ou l’absence d’accent de celleux-ci et parcourir des dizaines de catégories afin de trouver l’histoire qui correspond le mieux à tes fantasmes. Le contenu est généralement très vaste et inclusif.
  • La porno audio te fournit des exemples sexy, concrets et naturels de comment demander le consentement d’autrui dans le feu de l’action. Personnellement, les enregistrements de Dipsea m’ont aussi aidée à articuler mes besoins et mes désirs plus clairement à mes partenaires au sein de ma « vraie » vie sexuelle, ainsi qu’à mieux fixer mes limites. Aussi, les personnages utilisent presque toujours des condoms ! Way to go !

Le male gaze et le female gaze en contexte pornographique

Finalement, en plus de tous ces avantages de consommer de la porno audio, celle-ci nous permet d’ENFIN s’émanciper de l’insidieux male gaze au sein de notre sexualité en solo. E N F I N.

La pornographie classique ayant trop longtemps été imaginée par des hommes et pour des hommes, on se retrouve presque toujours avec le même genre de contenu. Pas besoin de te faire un dessin : tu sais très certainement de quoi je parle. Lorsque les hommes hétéros sont à l’écriture et à la réalisation d’un film porno, ça donne traditionnellement des personnages féminins peu relatable et des personnages masculins si… « mâles » !, que trois coups de bassin s’avèrent suffisants pour déclencher un orgasme défiant les lois et dimensions de l’espace-temps.

Les personnages féminins sont présents dans le seul but de donner un maximum de plaisir aux personnages masculins ainsi qu’aux spectateurs masculins. Leur propre plaisir ainsi que celui des spectatrices n’a nulle importance et cela se traduit par ce qui est montré et ce qui n’est pas montré à l’écran. Les femmes sont fétichisées et les hommes sont des héros du sexe : c’est le male gaze au meilleur de sa forme. Ce qui est ironique, c’est qu’en tant que personnes attirées par les hommes, on n’a pas notre mot à dire sur ce qu’on trouve sexy chez un acteur porno. L’hyper masculinité des personnages est aussi une invention du male gaze. Personnellement, ça m’arrive de regarder un film (porno ou non) et de comprendre que je serais supposée de trouver le protagoniste chaud à mort, mais ça me parle zéro. En gros, via le male gaze, les hommes décident des standards de beauté féminins ET masculins ! Give yourself a break, mon chum.

Video porn focuses on physical arousal. Audio porn prioritizes pleasure.

– Griffin Wynne, 2020

En revanche, le female gaze célébré par la pornographie audio t’offrira une proximité inédite avec le contenu, proximité difficile à retrouver dans le cadre de pornographie classique. Conçue généralement par des femmes et pour des femmes ou personnes queers, la porno audio accorde une attention particulière au plaisir dit féminin, et le tout est méga empowering. Ça te permet de créer un lien très intime avec l’histoire, de t’ancrer dans le moment présent, et, surtout, de te mettre à la place des personnages.

Les créateur·ice·s de pornographie audio visent vraiment à te faire intégrer le récit et à te faire feeler ce que les protagonistes feelent. Les yeux fermés (la porte de ta chambre fermée également afin d’éviter que ton chat gosse pour des câlins quand t’es sur le bord), tu peux complètement lâcher prise. Te voilà désormais partie intégrante de la séquence porno de tes rêves. Il est temps de renoncer à tout ce qui te donne de l’urticaire et de te laisser aller au son de la suave voix de Connor, le charismatique irlandais qui s’apprête à « te » donner le cunni de ta vie. Fini, le festival de la femme-objet et des pipes à en plus finir. Bienvenue dans un monde où tout le monde a du fun et où le clitoris n’est pas seulement effleuré 3,5 secondes (s’il n’est pas sinistrement mis de côté).

 

Bref, si, comme moi, tu as autrefois été un·e fidèle fan de Fanfictions et qu’il est possible et réaliste pour toi de payer pour du contenu pornographique audio, je te le recommande énergiquement. (Note que la majorité des plateformes offre un essai gratuit !) De toi à toi, avec amour, tendresse et compassion. xox

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À propos de Margot Chénier

Rédactrice et spécialiste des réseaux sociaux | Pronoms : elle/la | Diplômée en Études Féministes, je poursuis présentement mon parcours universitaire en Film Studies. Je suis une grande fan de tout ce qui vibre, qui brille ou qui pétille. J’ai Bye bye mon cowboy de pognée dans la tête 24/7. Je prends plaisir à mettre feu aux normes sociales pernicieuses et désuètes. On me qualifie parfois de «radicale», mais je ne vois pas ce qu’il y a de radical à vouloir anéantir la réputation de Woody Allen et la culture du viol. J’ai horreur qu’on utilise le terme vagin pour parler de vulve. Je passe le plus clair de mon temps à faire des rants contre la culture des diètes et le film Never been kissed. If you need me, I’ll be eating 5lbs of asparagus in the corner.

Une réflexion sur “La pornographie audio : le passage du male gaze au female gaze

  1. josdiotte31 dit :

    Intéressant

  2. laraxxx71 dit :

    je trouve que les gens sont plus excités sexuellement par une stimulation plus intense

  3. Fred B. dit :

    Merci! Super intéressant! Pleins de prise de conscience. Je vais essayer ça avec plaisir ✌️

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