Il y a quelque temps, notre collaborateur Matthy nous rappelait que les personnes en situation de handicap aussi ont une vie sexuelle et intime, mais que pour certaines (notamment celles avec un lourd handicap), pouvoir combler ses désirs d’affection, de caresse ou de sexe n’était pas toujours évident.

Pour se pencher sur cet enjeu et militer pour les droits des personnes en situation de handicap au passage, Matthy a voulu en apprendre plus sur la pratique de l’accompagnement sexuel. Il s’est donc entretenu avec Aliss Swan, désormais retraitée, mais qui a œuvré dans ce domaine pendant 4 ans, afin de lui poser quelques questions et de mieux comprendre la réalité de ce travail.

On te raconte ce qu’il retient de son entrevue ici.

C’est quoi l’accompagnement sexuel ?

L’accompagnement sexuel, c’est lorsqu’une personne offre comme service d’assister une personne en situation de handicap afin de l’aider à vivre sa vie sexuelle.

Toutes sortes de personnes peuvent y avoir recours, pour toutes sortes de raisons. Aliss a déjà travaillé avec des clients autistes ou qui avaient un traumatisme crânien, de l’ostéogenèse imparfaite, de la dystrophie musculaire, une perte de motricité, une déficience intellectuelle, qui vivaient avec une dépression chronique, ou encore qui avaient des traumas d’agression sexuelle.

L’accompagnement sexuel est souvent considéré comme une forme de travail du sexe, même si l’objectif de la rencontre varie d’une personne à l’autre et d’une rencontre à l’autre. Certaines personnes souhaitent découvrir leur corps, explorer l’érotisme et la sensualité, réaliser un fantasme, relâcher des tensions (se masturber n’est pas toujours physiquement possible), outrepasser un blocage quelconque, se sentir désirées, passer un moment d’intimité ou simplement interagir avec quelqu’un qui les reconnaîtra comme des êtres sexuels à part entière (et pas seulement comme une personne dont il faut prendre soin).

« J’ai eu beaucoup de séances de discussion/câlinage, au même titre que j’ai eu des séances avec d’autres personnes où c’était jusqu’à des [rapports] “complets” », indique Aliss. Matthy et elle rappellent cependant qu’un « rapport complet » ça peut vouloir dire différentes choses selon la personne — il y a plus que la pénétration dans la sexualité ! 😉

Devenir accompagnatrice sexuelle

Avec des études et un parcours professionnel en travail social, Aliss est donc devenue accompagnatrice sexuelle par un heureux hasard : son premier client en tant qu’escorte était sous le spectre de l’autisme (un spectre duquel elle était familière puisque son neveu s’y trouve également) et le déclic a été presque instantané. 

« Après ma rencontre, je me suis dit, OK, c’est ça que je veux faire. C’est là où je veux mettre mon énergie le plus. »

Sa connaissance de l’autisme lui a permis de bien comprendre ce client et de lui faire vivre une expérience extraordinaire durant laquelle il oubliait sa « différence », si bien qu’il est revenu la voir à plusieurs reprises alors qu’il avait l’habitude d’aller voir de nouvelles personnes chaque fois.

« Plus le temps passait, plus les rencontres allaient, plus je me disais que j’étais vraiment à ma place », ajoute-t-elle.

Dans une entrevue diffusée sur Ohdio, Alice, une autre accompagnatrice sexuelle, confirme ce que notre Aliss exprime à Matthy : travailler dans l’accompagnement sexuel, c’est aider ces personnes en situation de handicap à vivre différentes expériences humaines qu’on prend souvent pour acquises, c’est les voir pour qui elles sont vraiment, pas seulement leur handicap, c’est reconnaître qu’elles ont autant besoin de ces moments d’intimité que n’importe qui d’autre et les aider à se sentir entières.

Ça a l’air de quoi une rencontre ?

Être accompagnatrice sexuelle demande énormément de considérations et une approche réfléchie.

Pour Aliss, avant toute rencontre, la personne sollicitant ses services devait tout d’abord remplir un formulaire dans lequel elle précisait sa situation. Elle pouvait ensuite faire ses propres recherches afin d’en apprendre davantage au sujet des spécificités du handicap ou de la maladie en question. Pourquoi ? 

Premièrement, pour la question des limitations physiques de la personne. Elle raconte d’ailleurs qu’elle accommodait ses clients le plus possible en se déplaçant à leur domicile (souvent mieux équipé — elle a même appris à faire fonctionner un lève-personne) ou encore, s’ils demeuraient en résidence (où avoir des rapports sexuels est souvent complexe, parfois même interdit), en leur donnant rendez-vous à son appartement qu’elle avait choisi spécifiquement parce qu’il possédait un ascenseur et était accessible aux fauteuils roulants.

Deuxièmement, pour pouvoir assurer une rencontre qui respecte le consentement, la sécurité physique et mentale de la personne et son intégrité, mais aussi qui prend en compte ses besoins du moment — tout en respectant ses limites à elle. Tout ça en essayant de garder un flow le plus naturel possible…

Pas toujours évident à réaliser selon le cas ! Aliss donne d’ailleurs comme exemple ses rencontres avec un client atteint d’une maladie entraînant une fragilité des os qui aimait particulièrement qu’elle se positionne par-dessus lui et lors desquelles elle devait mettre en place des précautions particulières pour pouvoir satisfaire ce fantasme sans le blesser involontairement.

La communication est la clé d’une rencontre réussie — qu’on fasse affaire avec une accompagnatrice sexuelle ou pas.

Comment ça fonctionne par rapport à la loi ?

Au Canada, le travail du sexe est criminalisé, mais depuis 2014, la vente de services sexuels n’est plus pénalisée. Ce que ça signifie, c’est que les travailleur·se·s du sexe ont le droit de travailler, mais les client·e·s n’ont pas le droit d’acheter leurs services. 

La loi est conçue dans l’optique de protéger les victimes de trafic et d’exploitation humaine, ce qui, évidemment, est tout à fait légitime. Mais elle fait fi des travailleur·se·s du sexe qui choisissent d’exercer ce métier de leur plein gré et qui offrent des échanges sexuels rémunérés entre adultes consentant·e·s, de telle sorte que la personne en situation de handicap ainsi que toute personne facilitant la rencontre (par exemple, un parent qui organise la rencontre, ou un·e intervenant·e qui amène la personne au lieu du rendez-vous) est dans l’illégalité.

Sauf qu’une question se pose : est-ce qu’avoir une vie sexuelle est un besoin ou un droit 

L’importance de l’accompagnement sexuel

L’OMS affirme que la santé sexuelle, qu’elle définit « comme une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, ainsi que comme la possibilité de vivre des expériences sexuelles agréables et sûres, exemptes de coercition, de discrimination et de violence […] est fondamentale pour la santé et le bien-être général des personnes. » 

Toutes les personnes.

« [Les personnes en situation de handicap], ce sont des personnes comme toi, comme moi. Des personnes à part entière, des personnes qui ont leur beauté, autant intérieure qu’extérieure. Ce sont des personnes qui méritent l’amour, mais qui tristement ont beaucoup plus de difficultés à [avoir] des relations sexuelles et amoureuses », affirme Aliss.

Dans l’entrevue diffusée sur Ohdio mentionnée plus haut, Marco Alberio, un sociologue menant un projet de recherche portant sur l’accompagnement sexuel au Québec, en Suisse et en Italie note cependant que « longtemps, même dans le domaine médical, on a pensé que les personnes en situation de handicap n’avaient pas [de sexualité]. »

Pourtant, comme Matthy l’écrivait dans son article, on sait bien que c’est faux.

Petite réflexion : si l’accompagnement sexuel peut venir contribuer au bien-être général d’une personne en aidant avec ses besoins sensuels et sexuels, ne serait-il pas logique de faciliter l’accès à ce service ? Ou au minimum, de le décriminaliser ?

Aliss est sans équivoque : « À mon avis, le gouvernement devrait même payer ce service [aux personnes en situation de handicap] ».

Dans certains pays, dont les Pays-Bas, le Danemark et la Suisse, le droit à la sexualité est déjà reconnu et l’accompagnement sexuel est légal. En Suisse, on trouve même des formations en accompagnement sexuel, afin de se sensibiliser aux enjeux de la profession et d’apprendre à les naviguer le mieux possible.

Et outre l’aspect « santé » de la chose, chaque être humain ne mérite-t-il pas d’avoir une sexualité épanouie et comme il l’entend ? Pour Matthy et Aliss, il n’y a aucun doute. 

Elle ajoute : « Honnêtement, je me sens choyée d’avoir eu la chance de vivre ces expériences-là avec ces gens-là. Je me sens choyée qu’eux m’aient choisie moi, beaucoup plus que l’inverse […] Ce sont des gens qui ont du cœur, qui ont beaucoup à donner. Je serais toujours reconnaissante de ces gens-là dans ma vie. […] Je pense qu’ils m’ont apporté beaucoup plus que j’ai moi-même pu leur apporter. »

Pour en savoir plus sur le sujet

L’entrevue avec Alice, une accompagnatrice sexuelle et Marco Alberio, sociologue et responsable d’un projet de recherche portant sur l’accompagnement sexuel au Québec, en Suisse et en Italie, diffusée sur Ohdio.

Le témoignage d’une accompagnatrice sexuelle, publié sur Urbania.

L’entrevue avec Martin, atteint de dystrophie musculaire et Sonia, son accompagnatrice, aussi diffusée par Urbania.

Le TEDx Talk de Laeticia au sujet de sa vie amoureuse et sexuelle.

LoveAble, répertoire de travailleur·se·s offrant des services aux personnes en situation de handicap à Montréal et ses environs.

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À propos de Laurence Gribling

Rédactrice | Pronoms : elle/la | Fan de café, féministe intersectionnelle, cat lady, et nomade à mes heures, j’ai porté plusieurs chapeaux avant de prendre celui de rédactrice en chef pour JUST A LITTLE FUN. Entre deux jeux de mots et une référence de culture pop, j’espère aider à changer les normes, à éclaircir les tabous, bref, à shaker un peu la sexualité pour la débarrasser de ses chaînes, un article à la fois.

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