On a toustes cet·te ami·e qui a soudainement disparu·e de la surface terrestre lorsqu’iel a commencé à être en couple. À l’âge adulte, le couple est la relation qui prend tout le spotlight et la place réservée à nos amitiés se rétrécit. C’est le cours « normal » des choses ; entre notre relation amoureuse, notre carrière, le paiement de notre hypothèque et possiblement nos enfants (ou nos chats), on manque parfois de temps pour cultiver des amitiés profondes. Alors, elles s’enracinent en surface, avec le peu d’espace qui leur est accordé, et il arrive qu’on se sente bien souvent seul·e. 

Pourquoi laisser si peu d’espace à l’amitié ? Au-delà du capitalisme qui dicte de prioriser la productivité avant les connexions humaines, je crois également que la mononormativité a un rôle important à jouer. En effet, le discours culturel qui domine suppose que l’engagement romantique et exclusif à une seule personne est supérieur aux autres relations. Le couple et la famille nucléaire sont donc au centre de tout. 

« Osons révolutionner nos amitiés ! », revendique l’autrice Karine Côté-Andreetti dans son essai ports d’attache. La révolution prend racine dans notre curiosité à explorer d’autres manières de vivre nos amitiés. Et je crois que cette curiosité peut être nourrie par certains principes que la non-monogamie a à nous enseigner. 

De mon côté, naviguer la non-monogamie depuis 7 ans m’a permis d’apporter un regard frais sur la manière dont j’investis non seulement mes amours, mais également mes amitiés.

Voici quelques réflexions et vécus qui m’ont amenée à repenser mes relations amicales et à les (re)valoriser dans mon quotidien. En espérant que ça t’inspire à faire fleurir tes amitiés autrement, avec peut-être un peu plus d’engrais du cœur.    

Le polyamour : des amours multiples, tout comme des amitiés 

Attends, le polyamour ce n’est pas d’avoir plusieurs amoureux·ses ?! Oui, mais à mon sens, ça peut être plus vaste que ça. 

Le polyamour, c’est de bâtir des relations intimes — romantiques, affectives et/ou sexuelles — avec plusieurs partenaires en même temps. Depuis que je pratique le polyamour, cette ouverture à co-créer des relations durables avec plusieurs personnes a amené plus de fluidité dans toutes mes connexions, pas seulement celles de nature romantique.  

Des amitiés plus intimes et choisies  

Fièrement polyamoureuse, je redessine le canevas de mes amitiés à partir d’une toile blanche, une liberté rafraîchissante au bout de mon crayon. Entre autres, je fais des activités que je n’aurais peut-être pas faites avec mes ami·e·s lorsque j’étais dans une relation monogame. En effet, à cette époque, je limitais l’étendue des possibles par peur que mon partenaire soit jaloux ou se sente menacé. Peut-être aussi par simple habitude de performer mes amitiés différemment de la manière dont je performe mes amours.  

Et je ne parle pas nécessairement de sexualité ! Je parle d’activités que l’on réserve habituellement au couple romantique. Par exemple, écouter un film en étant collé·e·s, simplement pour la douceur qui émane du contact humain ; s’organiser une date au théâtre ; dormir ensemble pour se réchauffer dans les nuits froides d’hiver ; partager de la poésie, de la musique ou des conversations existentielles en se regardant dans les yeux, nos âmes à nues. Pourquoi ne pas faire tout ça avec des ami·e·s ? 

T’es-tu déjà trouvé·e dans une relation monogame hétérosexuelle dans laquelle tan partenaire ne voulait pas que tu te rapproches trop de tes ami·e·s de genre opposé ? Moi aussi ! Je trouvais même ça normal. En a résulté du ciment autour de mes amitiés-fleurs pour ne pas qu’elles débordent de ce qui est attendu d’une amitié « conventionnelle », alors qu’elles auraient gagné en grandeur en poussant plus sauvagement. 

Bref, le polyamour pour moi ne parle pas seulement de la romance, mais aussi (et surtout) de l’intimité et des connexions avec de multiples personnes. Sortir des confins de la monogamie m’a permis de construire des amitiés auxquelles j’aspire vraiment, au lieu de les structurer autour des désirs de mon partenaire et des normes monogames. 

Bye bye le prince charmant, donnez-moi des ami·e·s fées ! 

Lorsque j’étais dans une relation monogame (jadis, il y a fort fort longtemps !), je structurais ma vie autour de mon partenaire. Je ne mettais que très peu de temps et d’énergie dans mes amitiés. Je voulais tellement qu’on s’autosuffise, qu’on n’ait besoin de personne d’autre. Lui et moi contre le monde.  

Bien sûr, les personnes monogames peuvent cultiver des amitiés saines et profondes. Mon point est qu’on retrouve dans les discours entourant la monogamie cette idée salvatrice de LA personne qui peut combler tous nos besoins. Cette dynamique de codépendance (qui entretient d’ailleurs des rapports de pouvoir) ne tend pas vers la valorisation d’une diversité de relations. 

Pourtant, chaque relation qu’on entretient — qu’elle soit amicale ou romantique — nous permet de combler divers besoins et d’explorer différentes parties de notre forêt intérieure. Se révéler authentiquement à des humains crée de la magie. Nos ami·e·s deviennent des miroirs dans lesquels il est plus facile de voir notre propre beauté. 

J’ai lu cette semaine sur @decolonizing.love, une page Instagram vouée à l’éducation sur le polyamour, que la monogamie force les gens à construire leur vie autour d’une relation alors que le polyamour permet aux gens de construire des relations autour de leur vie. Ça a résonné fort.

Quelle différence entre l’amour et l’amitié ? 

Dans une société qui place les relations amoureuses sur un piédestal, la dichotomie entre amour et amitié est très marquée. On est soit ami·e·s ou amoureux·ses (ou à la limite, fuckfriends). Il n’y a pas d’entre-deux. 

Pourtant, je crois sincèrement que l’amour et l’amitié sont si intimement entrelacés qu’il est impossible de les séparer. La frontière entre les deux est poreuse, perméable, fluide. Il y a certes différentes manières de vivre l’amour — sûrement autant que de personnes dont on tombe amoureux·se. Mais je ne suis pas d’avis que l’Amour avec un grand « A » est uniquement réservé à une seule personne ; d’abord parce que je vois l’amour comme étant multiple, et aussi parce que je perçois mes amitiés comme étant des formes d’amour. 

Je suis amie avec mes partenaires romantiques et je tombe souvent amoureuse de mes ami·e·s (à chaque jour, to be honest !). Pour moi, l’amour existe quand on se choisit de manière franche et assumée et qu’on s’offre un espace pour être vulnérables. 

« L’amitié peut être romantique, c’est une puissance souveraine », écrit avec sensibilité Karine Côté-Andreetti. Nos amitiés peuvent occuper une place profondément significative dans nos vies lorsqu’on leur en laisse l’espace. Il devient alors possible de développer des connexions humaines qui débordent des normes, qui existent par elles-mêmes et s’autosuffisent. 

Ces personnes avec qui je partage, à des degrés divers, certains aspects de mon intimité et de ma vie quotidienne, je les nomme mes amireux·ses. 

Les amireux·ses : ces humains qui défient la hiérarchie relationnelle

J’écrivais plus haut qu’on ne performe pas l’amitié comme on cherche à performer l’amour. Généralement, on ne se marie pas avec nos ami·e·s, on n’a pas « notre date » où l’on célèbre chaque année l’épanouissement de notre vie commune, on n’organise pas un souper officiel avec nos parents pour leur présenter notre nouvel·le ami·e. Les gens trouveraient probablement ça weird si on achetait une maison avec nos ami·e·s ou si on vivait en colocation avec elleux à plus de 30 ans. Les amitiés sont pourtant si intimes et spéciales sur le plan émotionnel, pourquoi est-ce que faire ces choses avec nos ami·e·s n’est pas normalisé ? 

Selon la cofondatrice de la librairie l’Euguélionne, Camille Toffoli, cet écart est dû au fait que, à l’âge adulte, les amitiés sont rarement placées en haut dans la liste des cases à cocher pour atteindre bonheur et succès dans nos vies. Et pourtant !!!  

Mes amireux·ses sont des ami·e·s avec qui je sors de la performance pour co-créer des relations sur mesure, dans lesquelles on choisit de s’investir dans la vie des autres : 

  • On se confie nos états d’âme, dans l’écoute, l’accueil et l’empathie ;
  • On s’inspire à pousser vers le soleil ;
  • On s’invite à des dates au restaurant pour partager des ramens et des fous rires ;
  • On se permet d’être vulnérables et de faire des erreurs, on s’accueille dans toute notre entièreté ;
  • On partage des silences sans chercher à les combler ;  
  • On s’organise des surprises à nos anniversaires simplement pour être témoins des étoiles dans les yeux de la personne fêtée ;
  • On s’écrit des poèmes et on s’offre des bouquets de fleurs ;
  • On part en vacances, en canot-camping, en chalet, en roadtrip l’été ;
  • On se fait des partys en pyjamas l’hiver ;
  • On se fait les plus longs câlins de l’univers ;
  • On se dit qu’on s’aime, très souvent ;
  • On s’offre un espace de guérison, dans lequel il est plus doux d’accueillir nos blessures ;
  • On se réconcilie après des conflits, on prend le temps de réparer ;
  • On est fier·ère·s des réussites des autres, on déconstruit toute notion de compétition ;
  • On se fait des plans de co-parentalité, de terre partagée, on se permet de rêver ensemble du futur.

Par le choix conscient de ne pas réserver cette intimité exclusivement au couple, on s’ouvre à un vaste réseau de relations qui déborde de ce qui « doit être ». Le cadre de ces relations est constamment à inventer et à réinventer. 

Le temps est bon, le ciel est bleu, pourquoi ne pas avoir des ami·e·s qui sont aussi des amoureux·ses ! (Ça me fait plaisir de t’avoir mis la chanson de Isabelle Pierre dans la tête pour le reste de ta lecture 🎶) 

Petite anecdote vécue l’an passé avec mon amireuse R : 

Un soir de printemps, je ne filais pas trop, je venais d’avoir une grande discussion avec mon partenaire qui m’avait chamboulée. Je vais au Quai des brumes, j’appelle R pour qu’elle vienne me rejoindre. Elle n’était pas dispo, mais elle me dit « Hey, S (le gars qu’elle fréquentait à ce moment) est au Quai aussi ! Allez à mon appart et je vous rejoins plus tard ! ». C’est ce qu’on a fait, et lorsque R est revenue à la maison, elle nous a trouvés assis sur le divan à discuter. Elle s’est assise, m’a donné un bisou sur le front, on a longuement jasé, j’avais cette impression qu’on réinventait le monde, les trois ensemble. Puis on a fini par s’endormir blotti·e·s les un·e·s contre les autres. Cette nuit-là n’était aucunement sexuelle, elle a été habitée de tendresse qui a chassé mes tempêtes. Au final, c’est ce qu’on fait entre amireux·ses : on prend soin les un·e·s des autres.   

Je suis consciente que faire de la place à nos amireux·ses dans nos vies n’est pas uniquement une question de choix, c’est aussi une question de privilèges. Il faut d’abord et avant tout bénéficier d’une certaine sécurité physique et mentale pour penser entretenir des amitiés. 

Se choisir entre nous : une véritable révolution

Depuis les dernières années, je me fais une fierté de placer mes amitiés au cœur de mes choix de vie. En m’éloignant des principes de la monogamie, je me suis accordé cette liberté de tisser des amitiés exemptes de la pression d’apposer des étiquettes tout le temps.

À première vue, prioriser nos amitiés n’a rien de radical. Mais je crois que remettre en question la hiérarchie relationnelle qui place le couple au-dessus de tout est une manière de bousculer les normes sociales et de repenser notre intimité.   

Karine Côté-Andreetti souligne que la force de l’amitié réside dans la vulnérabilité inégalée qu’elle permet : il n’y a pas de lien de sang ou de contrat de mariage qui nous retiennent. Ce quotidien partagé entre ami·e·s ne colle à aucun état civil ni à une pratique sociale structurante. Si on garde nos ami·e·s dans nos vies, c’est parce qu’on se choisit jour après jour. 

Ces amitiés choisies sont une révolution grandiose. Elles font tout d’abord un pied de nez à l’idéologie capitaliste voulant nous faire croire qu’il existe une façon optimale de vivre (nos besoins émotionnels doivent être comblés par un·e seul·e partenaire romantique, on doit être en couple pour être accompli·e, acheter une maison et faire des bébés, blablabla). Les amitiés ne correspondent pas à des rôles sociaux préétablis et sont, de ce fait, plus difficiles à cadrer et à capitaliser. 

Dans cette lancée, les amitiés entre femmes sont, à mes yeux, de l’ordre du miraculeux. Dans une société patriarcale qui nous monte les unes contre les autres, se rassembler pour être plus fortes renverse tout ce qu’on a appris. La sororité est une terre où j’aime marcher pieds nus. Je me sens à la maison. 

***

Finalement, le polyamour revendique une plus grande liberté sur le plan de l’intimité. L’ébranlement des normes sociales qu’il sous-tend dépasse largement la sexualité ou la romance. Ainsi, les principes polyamoureux peuvent être incarnés de milliers de manières, notamment dans nos amitiés. 

Si l’amitié est une forme d’amour, et si nous nous permettons une multitude de relations amicales, ne sommes-nous pas toustes un peu polyamoureux·ses ? ♥️

Références

CÔTÉ-ANDREETTI, Karine, ports d’attache, Québec Amérique, 2024. 

DESLOOVER, Elyx, « Le petit lexique polyamoureux — pertinent pour toustes ! », Just a little fun, 14 décembre 2022. 

K. ROSA, Sophie, Radical Intimacy, Pluto Press, 2023. 

TOFFOLINI, Camille,  « Les amitiés radicales », Liberté, Numéro 324, 2019. Page Instagram decolonizing.love

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