Un beau matin d’octobre 1992, l’univers du dating advice s’apprêtait à exploser alors que Gary Chapman publiait pour la première fois son soon-to-be légendaire livre de wannabe psycho intitulé The Five Love Languages : How to Express Heartfelt Commitment to Your Mate.
Vendu à plus de 20 millions de reprises depuis et traduit en 50 langues, The Five Love Languages figure au palmarès non officiel de pas mal tout ce qui a été écrit et vendu en anglais depuis la traduction du Nouveau Testament. Trente ans plus tard, les 5 langages connaissent manifestement toujours leur heure de gloire et représentent un phénomène notoire dans la culture populaire. Ceci dit, au même titre que tout ce qui a acquis autant de popularité, The Five Love Languages requiert que l’on se questionne sur sa pertinence, son origine et la théorie qu’il propose.
Les 5 langages : l’important, c’est l’amour (et les cadeaux)
Pour faire un résumé* de la théorie de Chapman, les 5 langages de l’amour représentent cinq façons d’exprimer son affection en contexte relationnel. Chaque personne aurait tendance à prioriser un langage, parfois deux. Les voici :
1. Les paroles valorisantes ou words of affirmation (les compliments)
2. Les moments de qualité ou quality time
3. Les cadeaux ou receiving gifts (!)
4. Les services rendus ou acts of service
5. Le toucher physique ou physical touch
*Note que ce résumé est assez complet. Ledit livre se résume à 200 pages de phrases toutes faites de type : “None of us is perfect. In marriage we do not always do the right thing”, ou encore : “Love doesn’t erase the past, but it makes the future different”.
En théorie, en étant capable d’identifier notre propre langage de l’amour et en tenant compte de celui de notre ou nos partenaires (dans le cadre du livre c’est plus « ton mari/ta femme », mais bon, admettons qu’on adapte un peu), on serait mieux disposé·e à se comprendre et à répondre à nos besoins mutuels.
Avant de me lancer dans la critique de la théorie en tant que telle, je juge utile de te présenter son créateur.
Qui es-tu, Gary ?
Sur le site officiel (!) des Five Love Languages, Gary est présenté comme suit : “Ph.D.—author, speaker, and counselor—has a passion for people, and for helping them form lasting relationships”. Je t’offre ma traduction libre : “Gourou de l’amour et des glitters, Christian Nightmare certifié et parfait escroc”.
Dans le fond, Gary s’est découvert plus d’une vocation au cours de sa longue existence : il a étudié la théologie au Moody Bible Institute de Chicago (dont le slogan est Live the life God intends for you !), a obtenu un baccalauréat (Wheaton College) ET une maîtrise (Wake Forest University) en anthropologie, ainsi qu’une seconde maîtrise en éducation religieuse, PUIS un doctorat en « éducation des adultes » (whatever that means) au Southwestern Baptist Theological Seminary. Il n’y a pas de doutes ici : le gars est allé à l’école. Par contre, notons que Gary n’a jamais étudié la psychologie, la sexologie, le travail social ou quoi que ce soit qui aurait pu faire de lui un psychothérapeute de couple pertinent**.
Suite à ses études, Gary est devenu pasteur (chrétien baptiste), pour ensuite s’improviser conseiller conjugal (en parallèle à sa pratique). Puis, il a entamé la rédaction du fameux best-seller qui l’aura fait connaître (et rendu beaucoup trop riche).
Véritable Nicholas Sparks de la psycho pop, Gary a comme pogné un loop dans les années qui ont suivi, rédigeant l’un à la suite de l’autre des dizaines d’essais shamelessly dérivés de The Five Love Languages.
En voici quelques délicieux exemples :
- The Five Love Languages Men’s Edition
- The Five Love Languages For Singles
- The 5 Love Languages Military Edition (!!!!!!!!!!!)
- Now You’re Speaking My Language
- The Five Love Languages Of Teenagers
- The Heart Of the Five Love Languages
- The Five Languages Of Appreciation In the Workplace
- God Speaks Your Love Language–The Five Languages Of Apology
De plus, comme le veut la tradition et sans trop de surprise, Gary s’avère être un homophobe endurci. There’s truly no hate like God’s love. 💘
Pas trop surprenant qu’il ait adapté et réimaginé sa théorie pour à peu près tout le monde à l’exception des femmes, des personnes queers et des personnes non blanches.
Pour couronner son céleste parcours, Gary a ensuite fait don d’une somme faramineuse au Moody Bible Institute de Chicago, ce qui lui a valu la construction d’un bâtiment nommé en son honneur : le Chapman Center.
Bref, le « conseil relationnel » représentant une véritable (et super prolifique) industrie, l’homme d’affaires que constitue Gary a simplement su exploiter un concept et des gens vulnérables à leur pleine capacité et au bon moment.
**Qu’on se comprenne bien, je ne prétends pas ici qu’il est impératif de détenir un diplôme universitaire précis pour rédiger quelque chose d’important sur un sujet donné. C’est juste que, dans les trente dernières années, on a collectivement tellement alloué d’importance aux propos de Gary, les traitant comme des fragments d’études poussées et/ou les paroles d’un authentique expert, que les 5 langages ont graduellement acquis une notoriété désormais trop peu questionnée. Des thérapies de couple reprenant et appliquant le concept des 5 langages sont toujours offertes aujourd’hui ! L’affaire, c’est que le gars que ça a rendu (et que ça rend toujours) plein aux as, c’est un coach de dating déblatérant des propos sexistes et homophobes et détenant une formation en anthropologie. NOT a psy. C’est important d’en tenir compte, je pense.
Vendre du rien : plus payant que vendre des bibles
Loin de moi l’intention de me situer au-dessus de la psycho pop en général et/ou de snober quelconque théorie qui puisse constituer un outil dans ce shitshow que peuvent parfois représenter les relations interpersonnelles.
Cependant, on va se le dire… Les Cinq Langages de l’Amour, là, ben c’est basé sur… pas grand chose.
Tu vois le verset biblique dans le bas ? 👆Ce n’est pas anodin.
Sache que la Bible est LA seule référence que Gary utilise pour backer ses théories dans The Five Love Languages. Very punk rock of him.
Ensuite, en plus d’être zéro adaptée aux relations non hétéros ou non monogames, la théorie de Gary ne convient… vraiment pas à tout le monde. Personnellement, même avant de catcher que le gars était un porte-parole de l’Éternel, je ne me reconnaissais simplement pas dans ses idées.
Premièrement, un espace très limité est accordé à la sexualité dans The Five Love Languages. Fusionnant celle-ci au langage du Toucher physique, Gary fait de la sexualité au sein d’une relation un aspect comparable aux caresses ou au «tenage» de mains. Or, je ne pense pas que cette conception du sexe soit universelle : je pense même que plusieurs personnes perçoivent la sexualité comme un whole love language à proprement parler.
Ensuite, mes attentes envers quelqu’un ne sont jamais aussi tranchées ou définitives que ce que propose The Five Love Languages.
Sans trop de surprise, il est impossible de répondre both aux questions du Quiz Officiel censé déterminer notre Langage de l’Amour. Ce serait probablement ma réponse à toutes les questions : j’offre quotidiennement et recherche simultanément les 5 langages (et ne me considère pas comme quelqu’un de trop exigeant pour cela). Mes relations fluctuent, mes désirs et besoins aussi. Cette tendance à vouloir catégoriser ou hiérarchiser les gestes d’amour au sein d’une relation peut s’avérer plutôt nocive à long terme, selon moi. S’attendre de notre partenaire à ce qu’iel réponde à tous nos besoins émotionnels ou physiques n’est manifestement pas non plus quelque chose de super sain ou de réaliste à long terme.
Aussi, les 5 langages sont souvent utilisés pour réfléchir la compatibilité entre deux personnes. Ils font même partie des informations à fournir au moment de se créer un profil sur certaines applications de rencontre. L’affaire, c’est que la compatibilité, n’est pas quelque chose de quantifiable ou de mesurable si facilement. À long terme, ce qui fait qu’une relation fonctionne, c’est beaucoup plus la communication et l’écoute que la concordance entre deux love languages.
Finalement, je te recommande l’article 6 Problems With The Love Languages, From A Couples Therapist rédigé par une personne plus qualifiée que moi (et Gary) et vulgarisant à merveille d’autres angles morts négligés dans The Five Love Languages.
Queering the Five Love Languages
At the end of the day, il est possible que la théorie de Gary t’aide à communiquer de façon efficace avec tes partenaires et à mettre en mots tes attentes. Si c’est le cas, tu n’as pas de raison de te mettre à la bouder.
Je pense aussi que c’est possible d’en prendre et d’en laisser. Même si le livre de Gary semble imprégné d’un agenda politique qui te représente plus ou moins, ça ne veut pas dire qu’il n’y a rien à faire avec ça. Pour reprendre les mots de Trystan Reese : “Good ideas can come from problematic places”.
Cessons simplement de faire de Gary le gourou des relations sérieuses et de traiter son livre comme autre chose qu’un livre de croissance personnelle partiellement calqué sur la Bible, et ça devrait bien se passer.
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