Autrefois jargon réservé aux geeks sur des forums nichés, le mot incel se retrouve désormais aux nouvelles, tristement accompagné de ses chums Misogynie, Extrêmisme ou Violence de masse. Décryptage d’une sous-culture à la dangerosité avérée.
Définition
Le terme incel est la contraction de involuntary celibate (célibataire involontaire), une expression née dans les années 90 aux États-Unis. Un incel, c’est en général un homme qui estime vivre de la frustration romantique et sexuelle, mais pas que. Il ressent souvent aussi un grand mal-être, lié à ce qu’il juge être du rejet social, de l’injustice : ne pas être en couple alors qu’il le désire symbolise pour lui un véritable échec, qui lui est infligé par la gent féminine.
Selon The Anti-Defamation League (l’une des principales organisations de lutte contre la haine dans le monde), les incels sont « des hommes hétérosexuels qui blâment les femmes et la société pour leur manque de succès amoureux ».
En découlent une forte connivence avec les théories complotistes misogynes, des stéréotypes de genre exacerbés, et une aversion totale pour le féminisme.
D’où vient le mouvement incel ?
Contre toute attente, le terme incel est inventé par une femme, Alana. Cette jeune femme crée en 1990 un forum de discussions, Alana’s Involuntary Celibacy Project, sur lequel les internautes échangent sur la frustration que suscite leur statut de célibataires. Le mot incel est alors utilisé pour parler des personnes qui sont particulièrement timides ou maladroites socialement, au point que cela les empêche de relationner avec de potentiel·le·s partenaires. Après quelque temps, Alana se met en couple et quitte peu à peu son forum. Celui-ci devient alors le lieu de rassemblement virtuel d’une majorité d’hommes cisgenres hétérosexuels : la teneur des discussions change, et l’utilisation du mot incel aussi, pour devenir celle qu’elle est aujourd’hui.
En mai 2014, Elliot Rodger, un Californien de 22 ans qui se définit comme incel, justifie le meurtre de 6 personnes et l’attaque contre 14 autres par sa haine des femmes. Après ce premier acte de violence de masse ouvertement lié à l’inceldom, Elliot se suicide et devient un héros pour la communauté incel qui squatte le forum d’Alana.
Avec le temps, les conversations migrent vers Reddit (en 2017, le subreddit r/incels est interdit en raison des ses contenus violents), Discord, incels.me, 4chan ou 8chan, et les discussions y ont une saveur toujours plus amère : incitations à la violence, menaces de viols, etc.
Qu’est-ce qui caractérise les incels ?
Des recherches menées en ligne ont permis d’observer l’évolution du terme incel, et d’identifier les croyances communes aux communautés incels du monde entier* :
- La place d’une personne dans la société est liée à son apparence physique, de même que sa capacité à avoir, ou non, des relations sexuelles.
- Les femmes utilisent leur sexualité pour avancer dans la société. Elles s’en servent comme d’un privilège, dont elles abusent en étant hypersélectives quant au physique de leurs partenaires (on parle d’hypergamie).
- Le désir d’un retour à un régime patriarcal inflexible, avec promotion du viol, de la coercition, et la fin de l’autonomie sexuelle pour les femmes.
*Source : étude de 2022 déposée à la National Library of Medicine.
Des symboles et un vocabulaire propres
Comme bon nombre de sous-cultures nées sur Internet, l’inceldom a des symboles et un vocabulaire qui permettent à ses membres de communiquer et se comprendre.
- Les Chads sont les hommes au sommet de la hiérarchie sociale pour les incels. Ils sont virils et attirent les femmes.
- Les Stacys sont leur équivalent féminin, au sommet de la hiérarchie sociale féminine. Mais si elles sont belles, attirantes et désirées, elles sont également la cible #1 des incels, qui en font la raison principale de leurs échecs sentimentaux et sexuels.
- Le maxxing : looksmaxxing, facemaxxing, moneymaxxing, personalitymaxxing… Se maxer, c’est littéralement se mettre à son maximum, à son meilleur. On travaille sur ses points faibles pour reprendre du pouvoir, de la confiance et de l’estime en devenant le plus attirant / riche / intelligent possible — et surtout réprimer tout ce qui pourrait être associable, selon les incels, à un attribut féminin. Le terme vient de l’univers du jeu vidéo, où maxer son personnage consiste à en optimiser ses caractéristiques pour lui donner le plus de valeur possible.
Autre métaphore très connue de l’inceldom : les pilules rouge, bleue et noire. La métaphore vient du film The Matrix, dans lequel Neo doit choisir entre rester dans la fausse réalité réconfortante de La Matrice avec la pilule bleue, ou opter pour la réalité et ses défis avec la pilule rouge. Comprendre entre les lignes : la pilule bleue pour les faibles, la pilule rouge pour les héros. Un discours particulièrement apprécié des complotistes (droite alternative, suprémacistes, QAnon, etc.), et donc des incels, qui voient en la pilule rouge le symbole du fait que les femmes sont aux commandes, leur refusent l’amour et la satisfaction sexuelle, et qu’ils doivent donc se battre pour reconquérir leur juste place dans la société.
Les blackpilled, ou les incels optant pour la pilule noire, sont encore plus pessimistes (on parle ici d’une version nihiliste de la pilule rouge) : comme ils estiment n’avoir absolument aucune chance de s’élever dans cette société aux mains des femmes, ils tendent à un fatalisme qui peut les mener à avoir recours à la violence — contre des femmes et/ou contre eux.
Les conséquences dramatiques de l’inceldom
Malheureusement, les incels ne se contentent pas de discuter entre eux sur les forums. Certains passent à l’acte, et revendiquent leur appartenance au mouvement avec fierté :
- En 2014, comme on en parlait plus haut, aux États-Unis, Elliot Rodger tue 6 personnes et se donne la mort. C’est LA célébrité du milieu, le 1er incel officiellement mort pour la cause.
- En 2018, Alek Minassian tue 10 personnes à Toronto. Pour lui, Elliott Rodger est le « gentleman suprême ».
- En 2018 aux États-Unis, Scott Beierle tue 2 femmes et en blesse 4 dans un cours de yoga chaud, avant de se suicider.
- En 2021, en Angleterre, Jake Davidson tue 5 personnes (dont sa mère), puis lui-même. Fasciné par les hommes violents, il poste régulièrement sur les forums incels et se déclare blackpilled.
Si ces tueries sont récentes, c’est sans compter d’autres féminicides de masse qui ont eu lieu avant l’émergence du mot incel, mais qui sont bel et bien ancrés dans cette mouvance misogyne. Le tristement fameux exemple le plus proche de nous a eu lieu à Polytechnique il y a 35 ans.
L’importance de la communication et de l’aide psychologique
Selon une récente étude analysant le niveau de bien-être d’hommes autoproclamés incels, ces derniers souffriraient d’un « niveau extraordinairement élevé d’anxiété, de dépression et de solitude [tout en étant] en tant que groupe, particulièrement réticents à demander de l’aide de professionnels de la santé mentale ».
Ces états dépressifs et anxieux, couplés à une incapacité totale de tendre la main pour demander l’aide adéquate, contribuent aux idées et comportements extrêmes des incels. Parce qu’ils ne savent pas comment sortir de leur grande souffrance, ils rejettent la faute sur les autres — les Chads, les Stacys, les féministes — jusqu’à, comme on l’a vu pour certains, en mourir.
On comprend alors l’importance cruciale d’une éducation à la masculinité positive, mais aussi au fait d’encourager les jeunes hommes à comprendre et exprimer leurs émotions. En se réfugiant dans ces discours haineux, ils ne trouvent qu’un réconfort illusoire — leur ressentiment n’en est que plus grand, ainsi que leur mal-être. C’est à nous, en tant que société, de contrer ces comportements extrêmes en aidant les personnes en proie à des enjeux de santé mentale et en privilégiant les notions de respect, d’égalité et d’inclusion dès la cour d’école ; c’est à nous, en tant que collectivité, de travailler à une société plus juste.
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Les incels et la manosphère
Les incels sont un des groupes d’une grande communauté que l’on appelle la manosphère, et dans laquelle on retrouve une multitude d’idéologies plus misogynes les unes que les autres :
- Les Men’s Rights Activists, qui militent pour les droits des hommes cis.
- Les Men Going Their Own Way (MGTOW), des hommes profondément misogynes qui se détachent des femmes et prônent le célibat à vie.
- Les Pick-up Artists (ou sargeurs, ou artistes de la séduction), qui revendiquent leur excellence à manipuler les femmes pour qu’elles acceptent de coucher avec eux — le Fuck Close étant leur objectif final.
- Les Mâles Alpha, qui mettent de l’avant leur dominance sur les femmes dans toutes les sphères de la vie.
Tous ces groupes partagent l’idée que les femmes ont trop de pouvoir dans la société, alors qu’elles sont « des objets qui devraient être soumis aux hommes sexuellement dominants ».
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