MÉGA TW : Ce texte s’adresse à un public averti, car il touchera des sujets vraiment sensibles et difficiles à traiter. Si tu es particulièrement visé.e par ces enjeux, je te suggère d’être accompagné.e afin de pouvoir ventiler avec un.e proche de confiance.
Mention faits historiques liés à l’esclavage, stéréotypes ethnoculturels, oppression, exemples de propos racistes, rejet dans le dating, sexualisation des femmes racisées, fétichisation.
En 2014, l’application de rencontre OkCupid a lancé une affirmation choc : selon leurs données, les femmes noires formaient le groupe de femmes les moins sollicitées de l’application. Cette bombe retentit encore aujourd’hui — et avec raison. Mais d’où sort cette affirmation ?
Le Black History Month, c’est le moment de l’année où il est impératif de poser un regard différent sur l’histoire–whitewhashée ; dont on a effacé toute trace de diversité de points de vue — pour comprendre comment celle-ci influence notre perception des choses. J’aborderai spécifiquement les stéréotypes de la femme noire, car de un, c’est un sujet qui a été étudié en profondeur par des théoriciennes du Black feminism pour lesquelles je voue une grande admiration — comme Patricia Hill Collins, bell hooks, Audre Lourde et Kimberlé Crenshaw —, de deux, parce que l’activiste antiracisme Aïcha Black a gentiment accepté de faire la révision de ce texte.
Peu importe ta couleur ou tes origines, je t’encourage à me suivre dans cet exercice difficile, mais nécessaire.
L’évolution du racisme
Le racisme moderne, ce n’est plus nécessairement de crier haut et fort « j’haïs les [insert race here] ». Aujourd’hui, il est beaucoup plus latent et insidieux. Comme dirait Hill Collins, c’est un racisme « color-blind ». Du genre « je ne vois pas les couleurs, tout le monde est égal ! ». Résultat : on ferme les yeux sur les inégalités raciales, en plus de rendre nos biais inconscients impossibles à déceler.
Le racisme moderne, c’est aussi d’entretenir des préjugés à propos d’une communauté. C’est d’assumer par exemple qu’une personne aura X attitudes, comportements, traits physiques ou de personnalité, juste parce qu’elle appartient à un certain groupe. En d’autres mots, c’est d’internaliser inconsciemment les stéréotypes que la société nous a appris, de ne pas les remettre en question et, ainsi, de les laisser se transformer en préjugés. Quand ces stéréotypes sont au sujet de la sexualité, on les appelle des stéréotypes ethnosexuels.
En raison du racisme systémique, le manque de représentations de points de vue diversifiés dans les médias populaires biaise notre façon de penser — oui oui, même au Québec, contrairement à ce qu’en pense notre premier ministre.
Stéréotypes ethnosexuels chez les femmes noires
En analysant plusieurs documents historiques et éléments de la culture populaire, des théoricien.ne.s ont identifié différents types d’images stéréotypées de la femme noire. Même s’ils sont moins caricaturés et exagérés que dans les Minstrel shows (l’origine du blackface) du 19e siècle, ces stéréotypes sont toujours présents dans les médias d’aujourd’hui (cinéma, séries, médias traditionnels, etc.).
Les exemples présentés proviennent de la culture populaire étatsunienne, mais je me permets d’extroler, puisque le Canada partage une histoire similaire en ce qui a trait à la colonisation et l’esclavage–même si ce n’est pas ça que tu as appris à l’école (d’ailleurs Naïla en parle dans cet épisode de son podcast).
PS. Tu peux voir ces exemples en images ici, ici ou ici (en anglais seulement).
La Mammy
Présentée comme une domestique des blanc.hes qui a accepté sa condition de subordonnée, elle est gentille, souriante, loyale et bonne cuisinière. Physiquement, elle est souvent ronde, d’un certain âge et présentée de façon désexualisée. Ce personnage a proliféré à la fin de la guerre de Sécession (autour de 1865-1890).
Dans la culture populaire : le rôle de Mammy, joué par Hattie McDaniel dans Gone With The Wind (1939), l’image de la marque Aunt Jemima
Conséquences :
- Présenter une domestique comme si elle appréciait sa condition de servitude justifie son asservissement.
Le stéréotype de la mammy sert à camoufler les violences sexuelles subies par les esclaves domestiques. Historiquement, ces dernières étaient plutôt choisies en fonction de leur désirabilité. Souvent jeunes et au teint plus clair, elles étaient souvent agressées sexuellement par les hommes blancs de la maison.
La Sapphire, puis la Angry Black Woman
La sapphire est dépeinte comme agressive, colérique et sassy. Se plaignant constamment, elle est contrôlante envers ses enfants et son mari. Présentée comme masculine, on l’accuse d’écraser l’homme et de « prendre sa place socialement ». Peut-être es-tu plus familier.ère avec le terme « angry black woman » ? Justement, la sapphire est devenue, au 20e siècle, le stéréotype de la angry black woman qu’on connaît aujourd’hui.
Dans la culture populaire : le personnage de Sapphire, dans le sitcom Amos n’ Andy
Conséquences :
- Ces représentations stéréotypées maintiennent l’oppression des femmes noires, puisque, lorsqu’elles manifestent leur colère et leur désarroi face aux injustices qu’elles vivent au quotidien, on ignore leur discours en prétendant qu’elles sont « agressives » ou qu’elles se plaignent pour tout et rien.
- Considérée comme masculine, agressive et peu approchable, elle est dépouillée de sa féminité.
La Jezebel
Existant depuis les débuts de la colonisation, mais popularisé à la télévision dans les années 1970, le stéréotype de la Jezebel présente la femme noire comme ayant un appétit sexuel insatiable, incontrôlable, voire même « animale ». Elle est typiquement présentée comme une jeune femme manipulatrice, séductrice, enjôleuse, à la peau plus pâle.
Ex. dans la culture populaire : L’objectification des femmes noires dans les vidéo-clips de hip-hop
Conséquences :
- Justifie les violences sexuelles perpétrées par les blancs envers les femmes noires
- Justifie le contrôle de leur sexualité et de leur fertilité (ex. : stérilisation forcée)
De ces stéréotypes en ont découlé plusieurs autres, tels que la baby mama, la unhealthy fat, la strong black woman, la welfare queen–tout aussi néfastes les uns des autres.
Racisme sexuel
Qu’arrive-t-il lorsque ces stéréotypes s’invitent dans la vie intime et sexuelle des individus ? On appelle ça le racisme sexuel. Ça peut se traduire par de la fétichisation raciale ou encore, par du rejet sur la base de la « race » dans le dating game.
Stéréotypes dans le dating
Hadiya Roderique, militante antiraciste et consultante pour la diversité dans les milieux du travail, a fait une expérience sociale en modifiant la couleur de sa peau à l’aide de logiciels (de noire à blanche) après avoir constaté qu’elle recevait peu de messages sur une application de rencontre. Avec ses vraies photos, seulement 5 personnes l’ont contactée en 3 jours alors que la « version blanche » d’elle-même a reçu 67 messages en 3 jours. Tout ça, sans avoir changé aucun autre élément de son profil !
Et elle n’est pas seule. Partout sur internet, plusieurs femmes noires témoignent d’expériences traumatisantes (qui sont imprégnées des stéréotypes qu’on vient de voir) avec les applications de rencontre :
Quand on lit ces exemples de propos que les femmes noires entendent fréquemment, on constate que leur expérience dans le dating game semble marquée soit par le rejet, soit par la fétichisation de leur couleur de peau.
Préférences sexuelles ou discrimination raciale ?
Quand on dit…
Qu’est-ce qu’on entend par là exactement ? Qu’est-ce qui se cache derrière ces « préférences » ?
Le fait de rejeter d’emblée toutes les personnes d’un groupe ethnoculturel marginalisé, ou encore de chercher spécifiquement à sortir avec une personne issue de ce groupe (à moins d’en faire partie, évidemment), c’est s’attendre à ce que toutes les personnes de ce groupe aient des caractéristiques communes — bonsoir les stéréotypes.
Swiper à gauche une femme noire parce que la description de son profil ne correspond pas à ce que tu recherches chez une personne et que tu ne la trouves pas particulièrement attirante, c’est ben correct. Mais swiper systématiquement à gauche parce qu’elle est noire, ça, c’est raciste (car empreint de stéréotypes).
On te dit pas de te « forcer » à aimer une personne ; une attirance, ça ne se force pas ! On te dit juste de prendre conscience de tes biais et du fait que tes soi-disant préférences sont peut-être influencées par les critères de beauté eurocentrés que la société a posé comme la norme à laquelle on doit se référer et se comparer. Qui sait ? Peut-être qu’à la longue, ça modifiera la façon dont tu perçois les gens et, par conséquent, tes goûts ? 😉
À l’opposé, le fait de vouloir sortir qu’avec un groupe d’individus (que ce soit les femmes noires, asiatiques, d’Amérique latine, etc.), c’est de la fétichisation raciale. Même principe : si tu as un fétiche pour les femmes noires, demande-toi pourquoi. Est-ce possible que tu aies des idées préconçues à propos d’elles ?
Le racisme dans la porno
Et ce n’est pas unique au dating ! La pornographie aussi est empreinte de racisme. Savais-tu que les actrices pornos blanches sont plus payées lorsqu’elles tournent une scène « interraciale » (c’est-à-dire personne blanche + personne d’une autre origine) parce qu’on considère dans l’industrie qu’elle « perd de sa valeur » ?
Aussi, savais-tu que les actrices noires sont beaucoup moins payées que les blanches en plus de devoir accepter plus d’actes sexuels (Miller-Young, 2010) ? Et ça, c’est sans parler du fait que les actrices noires sont plus fréquemment présentées comme des « bêtes de sexe » ou encore… des esclaves sexuelles ! Oui, tu as bien lu, c’est une catégorie de porno qu’on retrouve sur plusieurs sites pornos !
Impacts sur la sexualité et la santé mentale des femmes noires
Ces stéréotypes ne sont pas uniquement perpétués par les personnes blanches. Toujours selon les données de OkCupid, les hommes noirs évalueraient plus positivement les femmes asiatiques et d’Amérique latine que les femmes noires. Elles seraient plusieurs à rapporter entendre des commentaires stéréotypés à leur égard de la part de leurs confrères.
Une étude a permis de révéler que le stéréotype de la Jezebel affecte grandement la sexualité et l’intimité des femmes noires. Celles qui intériorisent ce stéréotype ont plus de difficultés à développer une agentivité sexuelle, à explorer leur sexualité et à manifester leur désir (Leath, Jerald, Perkins et Jones, 2021). Elles feraient des efforts vestimentaires supplémentaires pour éviter qu’on les sexualisent.
Malgré le fait que les femmes noires vivent beaucoup plus de violences sexuelles que les femmes blanches et qu’elles souffrent plus fréquemment de dépression (De Santis et Vasquez, 2011), le stéréotype de la strong black women et de la mammy empêche plusieurs de se montrer vulnérable, de demander de l’aide et de dénoncer les agressions sexuelles subies.
Quand on grandit en se voyant représenter qu’avec des images stéréotypées, c’est difficile d’avoir une image positive de soi et de forger son identité sans modèles positifs nous ressemblant. De plus, les expériences intimes négatives peuvent entrainer une baisse de l’estime de soi, une pression de conformité, un doute quant à sa désirabilité (Ro et al., 2013), un sentiment d’être objectifié (Husbands et al., 2013) et l’impression d’être déshumanisées (Wilson et al., 2009).
Alors, qu’est-ce que je peux faire pour minimiser les préjudices ?
À moins de faire des efforts supplémentaires en t’éduquant sur le sujet, tu auras toujours des préjugés si tu ne les challenges pas (t’sais l’effort d’attraper une pensée au vol en prenant conscience de ses biais ou de prendre la décision de s’instruire sur un sujet au lieu d’être sur la défensive quand on t’avise que tu as eu un propos raciste ou blessant).
Aussi, plus tu t’ouvriras à côtoyer des gens différents de toi, plus tu élargiras « ton répertoire » de représentations des personnes racisées. En même temps, ça t’apprendra à voir les similarités humaines, au-delà des quelques différences culturelles et/ou de vécu. Tu assisteras à leurs peines d’amour, à leurs réussites, à leur moment de frustration après avoir vécu du racisme, à leur shaming moment après une grosse brosse, etc. Bref, tu les verras comme tu perçois tes ami.e.s blanc.he.s ; des êtres humains, toustes plus différents les un.e.s des autres ! Parce qu’au final, on est toustes humain.e.s et on vit toustes les mêmes émotions.
Pour s’éduquer davantage
Parce que c’est avec des efforts d’éducation individuels, puis collectifs qu’on arrivera à enrayer le racisme. On t’invite donc à continuer ton apprentissage :
Livres, chaîne Youtube, balados, comptes Tiktok et Instagram
Autrices recommandées
- Patricia Hill Collins
- bell hooks
- Audre Lorde
- Kimberlé Crenshaw
À consulter sur Wikipédia
- Angry black woman
- Aunt Jemima
- British America
- Stereotypes of African americans
- Minstrel show
- Slavery in the colonial history of the United States
- Colonial history of the United States
- Guerre de Sécession
- Hattie McDaniel
- Mouvement afro-américain des droits civiques
Sources
- Stereotypes: Negative Racial Stereotypes and Their Effect on Attitudes Toward African Americans – Laura Green (Virginia Commonwealth University)
- Faculty Lecture Series: Human Sexuality and Gender, Black Women and the Problem of Stereotypes
- The Sapphire Caricature
- How the “Strong Black Woman” Identity Both Helps and Hurts
- L’étrange cas du racisme sexuel
- 5 questions sur le racisme sexuel
- How Dating Apps Made Me Think Differently About The Colour Of My Skin
- Black woman and sex work – Recent research
- How your race affect the message you get – Christian Rudder
- Miller-Young, M. (2010). Putting hypersexuality to work: Black women and illicit eroticism in pornography. Sexualities, 13(2), 219-235.
- Wane, N., Jagire, J. et Murad, Z. (Eds.). (2014). Ruptures: Anti-colonial & anti-racist feminist theorizing. Springer Science & Business Media.
- Crenshaw, K. (1989). Demarginalizing the intersection of race and sex: A black feminist critique of antidiscrimination doctrine, feminist theory and antiracist politics. u. Chi. Legal f., 139.
- Windsor, L. C., Dunlap, E. et Golub, A. (2011). Challenging controlling images, oppression, poverty, and other structural constraints: Survival strategies among African–American women in distressed households. Journal of African American Studies, 15(3), 290-306.
- Collins, P. H. (2004). Black sexual politics: African Americans, gender, and the new racism. Routledge.
- Leath, S., Jerald, M. C., Perkins, T. et Jones, M. K. (2021). A Qualitative Exploration of Jezebel Stereotype Endorsement and Sexual Behaviors Among Black College Women. Journal of Black Psychology, 0095798421997215.
- Watson, L. B., Robinson, D., Dispenza, F. et Nazari, N. (2012). African American women’s sexual objectification experiences: A qualitative study. Psychology of Women Quarterly, 36(4), 458-475.