S’éduquer par des mots

Nommer une chose permet de lui octroyer une certaine réalité, et d’ouvrir ainsi des champs de pensée entiers — puis d’expérience potentielle, de véritable vécu — dont on ne se doutait même pas auparavant qu’ils existaient. Disséminer du vocabulaire insoupçonné permet donc d’éduquer celleux qui n’ont pas autrement accès à ces sphères de savoir. Cet impératif a beaucoup rapport avec l’importance de la représentation, qui manque gravement dans bon nombre d’espaces. On peut penser ici au savoir scientifique qui explore des branches de la réalité qui ne viennent même pas à l’esprit comme sujets d’étude possibles, par exemple la neuroendocrinologie (l’étude de l’impact des hormones dans le cerveau). Ou bien, à des communautés marginalisées exclues du discours courant ; les termes qui sont apparentés à leur situation ou leur sont pertinents ne se rendent pas jusqu’à tout être humain.

Heteronormativity is a Cult

…Comme dirait Gen.

Si la maison, l’école et les médias sont responsables d’une large part de l’éducation de cesdits êtres humains, mais que ces institutions ignorent — figure of speech ou intention — d’importants pans de possibilité quant aux styles de vie qui existent en dehors du système normatif, comment débuter à se comprendre, à se (re)trouver et à s’exprimer ?

Nos sociétés occidentales sont mononormatives, ce qui veut dire qu’elles opèrent selon un standard de monogamie où seul le couple (hétéroromantique, hétérosexuel) entre deux personnes est un modèle socialement acceptable d’investissement relationnel et l’institution juridico-religieuse du mariage est calquée sur cette attente.

Petite réflexion ironique

Que penses-tu d’une société mononormative qui accepte, non, s’attend à ce qu’on fréquente plusieurs personnes à la fois dans la phase de dating non investi d’émotions amoureuses « profondes » (entends ici toutes les lourdeurs des guillemets sceptiques), puis qui exige le couple monogame fermé dès la solidification des sentiments ? Ou encore des couples monogames qui se trompent à tour de bras et le savent l’un·e de l’autre ?

Or, il se trouve que plusieurs personnes vivent très différemment. Et c’est loin d’être nouveau ! Va faire un tour de recherche à l’ère de l’amour libre et de la libération sexuelle des années 60 et 70 pour le vérifier.

Le polyamour, soit le modèle qui s’ouvre vers des relations et ententes variées entre plus de deux individu·e·s, bénéficie profondément du partage de son vocabulaire. Ces mots définissent, dirigent et décrivent des situations importantes de la vie de tous les jours.

Que tu sois ou non polyamoureuxe, je te garantis que tu y apprendras quelque chose d’utile ! N’oublie pas que les mots sont toujours en mouvement, que d’autres langues influencent la nôtre (ici, l’anglais en a beaucoup à dire), et que cette liste n’est pas faite pour être exhaustive et tout nommer. Il est crucial de noter aussi que ces définitions peuvent fluctuer en fonction de la personne qui les vit, car l’expérience de chacun·e peut être différente. À toi de rajouter des termes autant que des définitions ! L’important est de s’accorder sur celleux-ci avec les personnes dans ta vie afin d’améliorer la communication et de mettre vos attentes en accord. Pense à cette liste comme à un début, de toutes les manières imaginables.

Des concepts à connaître…

All the feelies

Attirance

Le fait de se sentir porté·e vers quelqu’un·e, que ce soit platoniquement, amicalement, romantiquement, sexuellement, etc. Il y a toutes sortes d’attirances importantes et valides en elles-mêmes !

Crush, kick ou faible 

Tu as un faible pour quelqu’un·e lorsque tu l’aimes bien, lorsqu’iel te plaît assez pour te revenir souvent en tête et te donner envie de lea côtoyer souvent. Une certaine dimension romantique a tendance à se tramer ici.

Squish

Semblable au crush, le squish est plutôt réservé aux attirances platoniques.

New relationship energy (NRE) ou Limerence

Aaaah, le NRE, cette fameuse énergie explosive, passionnée et excitante des nouvelles relations où les partenaires apprennent à se connaître, s’explorent et aimeraient bien passer tout leur temps ensemble ! Elle accompagne souvent la phase « lune de miel ».

Old relationship energy (ORE)

Voici par contraste l’énergie stable, bien établie, sécurisante des relations qui durent déjà depuis un certain temps. La confiance et le confort règnent quand tout va bien, et on se sent à la maison l’un·e avec l’autre ou les autres.

Compersion, frubble

La compersion est le sentiment de joie qu’on peut ressentir à l’égard du bonheur d’autrui, spécifiquement ici dans les rapports que nos partenaires entretiennent avec les leurs. Ne veut-on pas en effet que les gens que l’on aime soient heureux et accomplis dans tous les domaines de leur vie ? Sache aussi qu’il est tout à fait normal de ressentir à la fois de la compersion et de la jalousie !

illustration d'un couple. l'homme se retourne pour regarder une autre femme. La femme dans la relation sourit

Jalousie

Cette émotion d’envie parfois difficile que la société nous inculque en est une de dépit ou de frayeur à la pensée qu’on nous aurait enlevé quelque chose qui doit nous revenir. Entends-tu la connotation possessive ici ? La plupart du temps, la jalousie est causée par d’autres sentiments sous-jacents qu’il est bon d’explorer pour mieux gérer tes propres réactions et interactions. Nous y reviendrons bientôt.

Un peu de structure, svp !

V

La pointe à la base du « V » représente ici une personne qui en fréquente deux autres (les extrémités des branches).

Triade, throuple

La relation à trois ou chaque individu·e entretient un rapport investi avec les deux autres, que celui-ci soit tout à fait de même nature ou non.

N

Regarde le « N » comme un dessin pour comprendre : il s’agit ici de deux couples dont l’un·e des partenaires fréquente l’un·e de l’autre couple.

Quad

Une formation à quatre individu·e·s.

Polycule, constellation, pod

Un réseau de personnes connectées par des relations.

Métamour

Lea partenaire de tan partenaire. Vous pouvez ou non décider d’entretenir des relations, qu’elles soient cordiales, familiales ou indépendamment investies.

Metamorsel

Un·e métamour que tu trouves particulièrement attirant·e.

Monogamish

Un partenariat plus ou moins monogame, qui se permet un certain degré de flexibilité et d’ouverture vers d’autres personnes, par exemple embrasser ses amix à un party !

Anarchie relationnelle

Les anarchistes relationnel·le·s rejettent la hiérarchisation des relations, pour privilégier la floraison unique de chaque relation dont les membres délimitent ensemble les prémisses. Ici, les amitiés platoniques peuvent être valorisées sur le même pied que les couples romantiques, ou les one-night purement sexuels être aussi importants que les relations de longue durée !

Polyamour hiérarchique

À l’opposé, le polyamour hiérarchique tient fermement à attribuer des valeurs différentes à divers types de relations, ou du moins à établir que certaines relations priment sur les autres. Par exemple, le pod parental a le dernier mot lors des décisions et lea fuck friend ne sera peut-être pas invité·e aux vacances en famille.

Partenaires primaires, secondaires, tertiaires…

Certain·e·s pratiquant·e·s du polyamour hiérarchique nomment leurs partenaires en ces termes pour différencier leur niveau d’investissement et les accords ou règles en jeu selon chaque « niveau ».

Polyamour solo

Forme de polyamour où il peut y avoir plusieurs relations, mais rarement un investissement compris traditionnellement. Ces personnes évitent le plus souvent de cohabiter avec leurs partenaires, de partager leurs finances, etc. En termes hiérarchiques, il y a plusieurs relations secondaires ou tertiaires sans qu’il n’y en ait de primaire(s). Les personnes solo polyam* se considèrent souvent leur propre partenaire primaire, c’est-à-dire qu’elles valorisent plus hautement leur autonomie que les liens très solides à autrui.

*On privilégie, comme la sexologue Dr. Lindsey Doe dans son émission « sexcurious » Sexplanations, qui, elle, tire cette correction de Kevin A. Patterson dans Love’s Not Color Blind: Race and Representation in Polyamorous and Other Alternative Communities (Thornapple Press, 2018),  l’emploi de l’abrégé « polyam » plutôt que « poly », car ce dernier est revendiqué par les communautés Polynésiennes.

Échangisme

La pratique entre couples (qui peuvent par ailleurs se considérer relativement fermés) de participer à des rencontres sexuelles en groupes ou bien d’échanger leurs partenaires. Il existe des clubs échangistes, par exemple.

Ambiamoureux·e

Être ouvert·e autant aux relations monogames qu’aux relations non monogames.

Relation poly mixte 

Un·e ou plusieurs des partenaires est/sont non monogame/s alors qu’un·e ou plusieurs autre/s est/sont monogame/s.

Nesting partner

Lea partenaire avec qui on vit et on se construit un chez-soi.

Anchor partner

Lea partenaire qui nous ground et nous assure de la stabilité, un peu comme un·e meilleur·e ami·e qui nous soutient. Cette personne peut ou peut ne pas être lea partenaire de nid aussi.

Partenaires de vie queer platonique

Des individu·e·s qui se considèrent partenaires de vie sans que leur relation n’ait nécessairement de composante érotico-sexuelle ou même romantique.

Famille choisie

Concept très important chez les communautés marginalisées et queers, la famille choisie est celle que l’on construit soi-même pour se sentir à la maison, soutenu·e et célébré·e à notre juste valeur.

gif du personnage Stitch dans Lilo & Stitch qui dit: Ohana means family and family means nobody gets left behind. Or forgotten.

Modèles et accords

Accord

Ceux dont décident ensemble les partenaires dans une relation, à propos de ladite relation. Les accords sont souvent consensuels, et idéalement assez flexibles dans le temps pour muer à travers les conversations et l’évolution des relations. Par exemple, « nous choisissons de toujours avoir une conversation check-in après nos rencarts avec de nouvelleaux partenaires pour s’assurer que les partenaires existant·e·s vont bien ou sont accompagné·e·s dans leur travail émotionnel ».

Règle

Plus rigide, la règle a souvent trait aux interdits, et tend à refléter le désir d’un·e partenaire de contrôler l’autre ou les autres plutôt que d’effectuer le travail émotionnel qui découle de la confiance. Par exemple, « tu ne peux jamais avoir des amis hommes ».

Tromper

Eh oui, c’est possible ! Dans les cas de non-monogamie, tromper revient à ne pas respecter ou manquer aux accords déterminés entre partenaires.

Veto

Droit par défaut de dire « non » que possède un·e partenaire, souvent lea partenaire primaire ou le coparent. En principe, rien ne peut changer le veto lorsqu’il est déclaré ; lea partenaire qui lui est assujetti·e doit simplement obtempérer coûte que coûte — pour ellui comme pour ses autres partenaires. Règle contestée, car il est facile d’en abuser.

Privilège de couple

Appartenant au polyamour hiérarchique, celui-ci dicte que le couple primaire est, ben, primaire.

Fluid-bonding, accord sur l’échange de fluides

Spécifique aux relations sexuelles, celui-ci établit que deux ou plusieurs partenaires peuvent avoir des relations sexuelles non protégées, tandis que les partenaires externes à cet accord doivent s’en tenir au sexe protégé. Cette idée permet d’atténuer les risques de contracter des ITSS lorsqu’il y a beaucoup de mouvement entre partenaires (ha).

La loi du silence ou Don’t ask don’t tell (DADT)

Calquée sur la politique officielle de l’armée étatsunienne en rapport aux personnes non hétérosexuelles, cette loi du silence fait référence à l’idée que ce qu’on ne sait pas ne nous blesse pas. Il s’agit ici de ne rien partager avec un·e partenaire à propos de nos autres relations. Cet accord est souvent contesté, car il implique souvent de mentir par omission — ou tout court — ou du moins d’éviter d’être ouvert·e et transparent·e. Ceci entre en contradiction, évidemment, avec la nécessité constante de renégocier les accords des relations en faisant des check-ins réguliers pour s’assurer que tout va bien.

One Penis Policy (OPP)

Règle (hyper problématique des hommes, la plupart du temps) selon laquelle lea partenaire (fem/me) n’a le droit de fréquenter que des personnes sans pénis. On renifle là-dessous que le partenaire qui fait la loi n’est pas jaloux d’autres femmes, car il ne perçoit pas les relations queers comme des menaces ou comme aussi valides et authentiques que des relations-avec-pénis…

Polyfidélité, relation fermée 

Arrangement à plus de deux, celle-ci est néanmoins fermée à d’autres relations externes au groupe. Par exemple, une triade dont les membres ne fréquentent personne d’autre qu’elleux-mêmes.

Relation ouverte

Une relation à deux ou plusieurs partenaires où il est acceptable de fréquenter des personnes externes à la relation.

Relation/polyamour égalitaire ou non hiérarchique

Chaque partenaire est considéré·e à pied égal aux autres ; il n’y a pas une personne qui l’emporte par défaut, même si dans les faits un·e partenaire aura peut-être la priorité — question d’horaire, de besoin, ou autre.

Polyamour parallèle

Système polyamoureux où les multiples partenariats ne se croisent pas et ont plus ou moins accès à de l’information les uns sur les autres.

Kitchen Table, table de cuisine

Système où les multiples partenaires du polycule non seulement se connaissent, mais aiment se retrouver ensembles assez régulièrement, comme une grande famille qui partagent régulièrement des repas, des activités, des vacances, etc.

Birthday Party Poly, polyamour de fête

Système où les partenaires et métamours sont assez à l’aise pour se croiser aux occasions spéciales, une fois de temps en temps sans que ça soit routinier.

Polysaturation

« C’est bien beau le NRE à tour de bras, mais OMG J’EN AI ASSEZ ! » Tu es polysaturé·e lorsque tu ne veux pas rajouter d’autres partenaires à ta liste. Dans les cercles polyamoureux, tu entendras souvent dire que l’amour est sans bornes, mais que le temps et l’énergie, elleux, le sont !

Escalier relationnel

Métaphore qui illustre (mieux en anglais, c’est vrai) l’attente selon laquelle lorsque tu montes sur une première « marche » du relationship escalator, l’escalier avance tout seul et tu va nécessairement te retrouver aux « étapes suivantes » après un certain laps de temps. Ceci va de pair avec le modèle sociétal de la relation de couple où d’abord on se fréquente, ensuite on devient un couple fermé, puis c’est le U-Haul, la maison, le mariage, les enfants… Ai-je signé un contrat impliquant tout ça en voulant passer plus de temps avec une personne qui me plaît ? Ces choses sont-elles forcément reliées ou impliquées les unes par les autres ? Est-ce que les parents qui font chambre à part depuis longtemps sont nécessairement risibles, ou détiennent-iels un judicieux savoir qui nous aurait peut-être échappé ?

À ne pas oublier

Comme avec tout, les mots ne sont (et font !) qu’une part de l’affaire. Ils permettent de découvrir et de dire beaucoup, mais un travail de réflexion les accompagne afin d’analyser ce que le langage qu’on utilise colporte. Utilise ceux-ci notamment pour commencer des conversations et entamer le processus de négociation autour des accords de tes relations ! Pour les personnes monogames, les règles et accords sont souvent implicites et sujet·te·s à interprétation, et donc à désaccords. Pourquoi ne pas prévenir les disputes en imaginant comme toi et tan/tes partenaire/s voudrai/ent gérer certaines situations ? Il est toujours bon d’approcher les sujets limitrophes pour vérifier si on pense pareil que les personnes qui peuplent notre vie, que ce soit nos collègues ou nos amant·e·s !

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À propos de Elyx Desloover

Rédacteur·rice pigiste | Pronoms: iel/ellui | Joyeusement gamin·e, j’aime provoquer les gens à jouer. Avec les mots comme les idées, les corps, les identités. Je trouble à dessein les sols sur lesquels on se promène sans y penser. J’interroge et fais réfléchir celleux qui m’entourent pour déconstruire les concepts réducteurs de nos belles et fluides multiplicités. Suite à des études de bac et de cycles supérieurs en philosophie et en littératures, je me consacre à un doctorat en études culturelles axé sur des enjeux trans, féministes et abolitionnistes, la justice transformatrice par le care et les politiques du plaisir. Je vise à soigner ce que je peux grâce aux remèdes naturels, à la cuisine remplie d’amour et de plantes, puis au yoga dont je suis professeureuse. Mon temps libre se trame aussi de rituels intentionnels valorisant la connexion à soi comme à autrui et au monde – communication transparente, tarot, pendule, pleine présence. Que peut-on donc créer ensembles à partir des failles de systèmes morcelés, le poème à la bouche et le sourire dans les yeux?

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