La violence sexuelle au masculin : et si on en parlait ?
L’agression sexuelle chez les personnes dont le genre a été assigné masculin à la naissance est un sujet parfois méconnu. Pourtant, il s’agit d’une réalité vécue par de nombreux individus. Mais trop souvent, leurs voix sont étouffées par les stéréotypes de genre, la stigmatisation et les tabous qui peuvent rendre la demande d’aide particulièrement difficile. Cet article vise à briser ce silence et à rappeler que malgré cela, demander de l’aide demeure possible et accessible. On fait le point.
T.A. : violence sexuelle ; conséquences psychologiques ; stigmatisation chez les survivants ayant une identité de genre masculine ; comportements extériorisés ; suicide.
Un portrait sombre
Selon la Fondation Marie-Vincent, 1 garçon sur 10 serait victime d’agression sexuelle avant l’âge de 18 ans.
Au Québec, selon l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), 6% des hommes affirment avoir été victime d’agression sexuelle par une personne autre qu’un·e partenaire intime depuis l’âge de 15 ans. À l’échelle canadienne, cela s’élèverait à 9%. Statistique Canada rapporte que 2% des hommes auraient vécu des violences sexuelles de la part d’un·e partenaire intime.
Selon un article du blogue de l’Unité de recherche et d’intervention sur le TRAuma et le CouplE (TRACE), les hommes ayant vécu des violences sexuelles attendraient environ plus de 20 ans pour dévoiler la situation, et 28 ans avant d’en discuter de façon plus approfondie à autrui.
Pour poursuivre avec les statistiques, en voici quelques-unes en rafale :
- 1 homme sur 10 sera victime d’une ou plusieurs agressions sexuelles au cours de sa vie.
- 50% des hommes qui ont fait de la prison auraient été victimes d’une agression sexuelle.
- 1 homme sur 4 qui fait des études universitaires aurait été victime d’une violence sexuelle pendant son parcours.
- Plus de 90% des hommes adultes agressés sexuellement ne déclareraient pas leur agression à la police.
Ces chiffres démontrent l’omniprésence de la violence sexuelle au masculin dans la société, même si elle est parfois (souvent) camouflée.
Les barrières au dévoilement
Dévoiler une agression sexuelle peut déjà s’avérer difficile en soi. Chez les personnes ayant une identité de genre masculine, quelques éléments peuvent constituer des freins additionnels au partage d’un vécu de violence sexuelle.
Le code de la masculinité
Fisher, Goodwin et Patton (2008) rapportent la théorie du « code de la masculinité », qui se baserait sur la socialisation masculine traditionnelle (malgré le fait que les stéréotypes liés à la masculinité s’assouplissent tranquillement au fil des années). Cette théorie est divisée en 4 principes « devant » être respectés par les hommes :
- Le stoïcisme : l’homme ne partage pas ses émotions, surtout celles liées à la souffrance ou à la faiblesse
- L’autonomie : l’homme est indépendant, impassible et n’admet pas sa dépendance aux autres
- La réussite : l’homme excelle professionnellement et pourvoit aux besoins de sa famille
- L’agressivité : l’homme est fort, robuste et capable d’agir avec agressivité si nécessaire
On voit à quel point ceux-ci sont tout le contraire de la vulnérabilité qui vient avec un dévoilement d’agression sexuelle, les freinant ainsi dans le partage de leur vécu.
Les mythes en lien avec la masculinité
Plusieurs mythes existent quant aux violences sexuelles vécues par les personnes d’identité de genre masculine et constituent des obstacles au dévoilement et à la recherche d’aide :
Mythe 1. Un homme ayant vécu une agression sexuelle en commettra à son tour.
Selon l’INSPQ, seulement 23% des hommes ayant commis des violences sexuelles en auraient vécu dans le passé. D’autres facteurs de risque expliquent le fait de commettre un crime sexuel, et il est impératif de sortir du préjugé de la cause à effet de l’agresseur-agressé.
Mythe 2. Ce n’est pas une agression s’il y a eu plaisir, érection ou éjaculation.
L’érection, l’éjaculation ou encore toute forme de plaisir corporel sont des réponses physiologiques naturelles à une stimulation du corps, et ne constituent pas un signe de consentement. Le corps fonctionne comme une machine : s’il reçoit une stimulation, il risque logiquement d’avoir une réaction, sans toutefois que cette dernière soit le résultat d’un désir sexuel.
Mythe 3. Un « vrai homme » peut se défendre contre une agression sexuelle.
Ce mythe invalide les réactions de survie qu’une personne peut avoir face à une situation de danger, soit le fait de combattre, s’enfuir ou figer, qui sont totalement hors du contrôle humain. Il supporte aussi la fausse croyance qu’une agression sexuelle se déroule toujours dans la force physique et la contrainte, et qu’il suffit d’être fort·e physiquement pour s’en échapper. Pourtant, plusieurs stratégies sont utilisées par les personnes qui commettent des violences sexuelles, telles que la manipulation, les menaces et le chantage, pouvant mener à de l’ambivalence, de la peur et de la confusion chez les victimes.
Mythe 4. Les garçons agressés par des hommes deviendront homosexuels.
Il peut arriver, après avoir vécu une violence sexuelle, qu’une personne se remette en question par rapport à son orientation sexuelle.
Cependant, le TRACE rappelle que l’orientation sexuelle n’est pas influencée par la violence subie ; se poser des questions ne signifie pas qu’une orientation est définie. L’orientation sexuelle est une façon positive de vivre sa sexualité et n’est pas une conséquence de traumas.
Mythe 5. Si un garçon ou un adolescent se fait agresser par une femme majeure, il devrait se considérer comme chanceux d’avoir été initié aux relations sexuelles avec une femme d’expérience.
La croyance liée à la masculinité traditionnelle stipulant que le désir sexuel est omniprésent chez les personnes d’identité de genre masculine vient invalider leur expérience lorsque les gestes ont été posés par une femme. De telles idées contribuent malheureusement au fait que les hommes dévoilent peu les violences sexuelles vécues.
Les conséquences
Les conséquences de la violence sexuelle sont multiples et varient selon le vécu et les caractéristiques de chaque personne. Elles peuvent affecter la santé mentale, la santé physique et physiologique, l’intimité affective et sexuelle ainsi que les relations sociales.
Même si ces conséquences varient d’une personne à une autre, certaines sont plus spécifiques aux hommes. En voici quelques exemples, basés sur les écrits de Natacha Godbout, psychologue clinicienne et professeure au Département de sexologie de l’Université du Québec à Montréal. Une étude effectuée par Godbout et ses collègues datant de 2019 met en lumière les impacts de l’agression sexuelle en enfance chez les hommes désormais adultes.
Difficultés intimes et sexuelles
Tout dépendamment de la définition de l’agression sexuelle employée dans les études scientifiques, certains hommes vont se considérer victimes, tandis que d’autres, non. On t’explique.
Selon Vaillancourt-Morel et ses collègues (2016), environ 8% des hommes rapportent avoir été victimes d’agression sexuelle en enfance lorsqu’une définition subjective, exigeant de s’identifier comme victime, est utilisée.
En revanche, lorsque les études utilisent une définition objective, basée sur les critères légaux canadiens d’agressions sexuelles en enfance (sans qualifier les actes d’agressions ou d’expériences non désirées), il est révélé que jusqu’à 20% des hommes se considèreraient victimes. En guise d’exemples, le Code criminel utilise des formulations comme « infraction d’ordre sexuel à l’égard d’un enfant » ou encore « rendre accessible à un enfant du matériel sexuellement explicite. » Celles-ci font fi de la notion de victimisation, ce qui peut expliquer que les hommes s’y identifient plus facilement.
Les hommes s’identifiant comme victimes rapporteraient davantage un évitement dans l’intimité sexuelle à l’âge adulte (comme des attitudes négatives liées à la sexualité et une vaste gamme de dysfonctions sexuelles).
Chez les hommes ne se considérant pas victimes, on observe davantage de la compulsion sexuelle, qui peut englober des préoccupations sexuelles excessives, une entrée précoce dans la sexualité ou une disposition à concevoir les relations sexuelles comme nécessaires pour obtenir de l’affection.
Difficultés liées à la demande d’aide
Une étude québécoise menée en 2016 (Tremblay, G., 2016, janvier) rapporte que les hommes auraient davantage tendance à s’isoler lorsqu’ils vivent une période difficile plutôt que de demander de l’aide. Lorsqu’ils le font, c’est généralement en dernier recours, souvent en situation de crise ou après la pression d’un proche. En effet, cette étude, réalisée auprès de 2 084 hommes adultes, révèle qu’environ 84,6% des participants préfèrent résoudre leurs problèmes de manière autonome, tandis que 35,1% estiment que solliciter de l’aide porte atteinte à leur fierté.
Cela dit, les services d’aide (du moins, ceux qui ne sont pas spécialisés pour les hommes) ont souvent des caractéristiques plus « féminines », ce qui peut freiner certains hommes à aller vers ceux-ci. Par exemple, il est souvent demandé de dévoiler un ressenti, d’être en contact avec sa vulnérabilité, ou encore d’être en contact avec leurs émotions. On comprend pourquoi cela ne paraît pas très invitant, considérant les normes masculines traditionnelles qui sont bien présentes dans la socialisation des hommes dès l’enfance (et qu’on te présentait au début de l’article).
Difficultés comportementales et psychologiques
Certains hommes auront tendance à adopter des attitudes se collant à ces normes masculines traditionnelles (par exemple : essayer d’être un homme fort, viril, indépendant, pourvoyeur, en contrôle, compétitif et ayant du succès) afin de renforcer leur identité masculine. Par contre, ces attentes stéréotypées sont bien souvent inatteignables. Ceci les rendrait alors plus à risque de vivre de la détresse psychologique, de la dépression ou de l’anxiété, pouvant alors mener à une augmentation des risques de tentatives de suicide (Godbout et coll., 2019).
D’ailleurs, par rapport au suicide, les études rapportent que le taux de suicide chez les hommes est trois fois plus élevé que chez les femmes. En 2018, le Québec a enregistré un total de 1 054 suicides, dont 790 concernaient des hommes.
Comme mentionné plus haut, les hommes auraient moins tendance à aller chercher de l’aide en cas de difficulté, ce qui les empêche notamment d’avoir des ressources en santé mentale. Pourtant, il existe un lien étroit entre dépression et suicide : un homme ayant des tendances suicidaires est 11,2 fois plus susceptible de souffrir d’une dépression majeure.
De plus, les hommes seraient plus enclins à adopter des méthodes davantage létales pour passer à l’acte et à traverser un processus suicidaire plus rapide.
Aussi, le fait d’avoir été victime d’agression sexuelle avant l’âge de 16 ans est associé à un plus grand risque de présenter divers troubles de santé mentale et de difficultés liées à la consommation d’alcool ou de drogue à l’âge adulte chez les hommes au Québec.
Enfin, il serait rapporté que les hommes victimes d’agression sexuelle auraient davantage tendance à avoir des comportements extériorisés, comme des agressions tournées vers autrui, ou encore seraient plus enclins à adopter des stratégies d’évitement (Godbout et coll., 2019).
Difficultés liées à la parentalité
Toujours selon Godbout et ses collègues (2019), on observe que les hommes victimes d’agression sexuelle à l’enfance étant devenus parent éprouvent des craintes ou réticences concernant les marques d’affection envers leur(s) enfant(s). Une peur d’être perçu comme l’agresseur de son enfant pourrait amener un certain blocage dans la capacité à lui donner des soins (ex. : donner le bain, changer la couche) ou dans la démonstration d’affection en général.
Ouf. Ce dont on vient de parler, c’est assez lourd. Dans les prochaines lignes, on va voir des ressources qui donnent espoir en cas de recherche d’aide. C’est important de lever le voile sur la situation : en parler, c’est déjà la première étape pour aller mieux !
Avoir de l’aide, c’est possible !
Malgré les barrières énumérées plus haut, il est possible d’aller chercher de l’aide !
Plusieurs ressources ont une expertise en ce qui concerne la demande d’aide masculine et l’intervention auprès des hommes. Si tu désires en savoir plus, je t’invite à prendre connaissance des informations ci-dessous. Les ressources listées pourront te guider dans une recherche d’aide, que ce soit pour toi, pour une personne qui t’est chère, ou simplement pour t’éduquer sur le sujet !
Si une personne de ton entourage te dévoile avoir vécu des violences sexuelles, je t’encourage à consulter cet article afin de l’accueillir avec douceur et empathie.
Ressources d’aide
Le Pôle d’expertise et de recherche en santé et bien-être des hommes a mis en place un coffre à outils à l’intention des hommes ayant besoin d’aide, de leurs proches, ainsi que des intervenant·e·s autour de ceux-ci. Je t’invite à les parcourir si jamais cela t’interpelle.
Pour consulter une ressource d’aide pouvant convenir à tout besoin lié à une situation de violence sexuelle, Info-aide violence sexuelle se spécialise en la connaissance de celles-ci. Tu peux les rejoindre par téléphone ou par clavardage afin d’être redirigé·e vers la ressource la plus adaptée selon le besoin amené. Voici leurs coordonnées :
- Par téléphone : 1-888-933-9007
- Par clavardage : https://infoaideviolencesexuelle.ca/
Un peu d’art pour donner espoir
Le projet « Tracer les maux », dirigé par Natacha Godbout « met en scène sept auteur·e·s qui se sont inspiré·e·s d’extraits d’entrevues auprès d’hommes ayant vécu des agressions sexuelles pendant l’enfance et six illustrateur·rice·s, permettant de mettre des mots et des images sur la réalité des hommes victimes, des répercussions de ces traumas et de leur trajectoire vers la guérison. »
Pour terminer avec une note d’espoir, voici où tu peux accéder aux textes en question : https://tracerlesmaux.com/
Les récits sont également disponibles en version audio pour favoriser une expérience littéraire inclusive.
Références complètes
Fisher, A., R. Goodwin et M. Patton (2008). Men & Healing: Theory, Research, and Practice in Working with Male Survivors of Childhood Sexual Abuse. Cornwall Public Inquiry.
Godbout, N., Canivet, C., Baumann, M., et Brassard, A. (2019). Hommes victimes d’agression sexuelle, une réalité parfois oubliée. In J.-M. Deslauriers, M. Lafrance, & G. Tremblay (Eds.), Réalités masculines oubliées (pp. 243-261). Québec, QC : Presses de l’Université Laval (PUL).
Levesque, P., Mishara, B. et Perron, P. A. (2021). Le suicide au Québec : 1981 à 2018 – Mise à jour 2021. Institut national de santé publique du Québec. https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/publications/2720_suicide_quebec_2021.pdf
Tremblay, G. (2016, janvier). Perceptions des hommes québécois, de leurs besoins psychosociaux et de santé. Université Laval.
Tremblay, G., Morin, M.-A., Desbiens, V. et Bouchard, P. (2007, mars). Conflits de rôle de genre et dépression chez les hommes. Collection Études et Analyses (CRIVIFF), (36), 1-47. https://www.raiv.ulaval.ca/sites/raiv.ulaval.ca/files/publications/fichiers/pub_113.pdfVaillancourt-Morel, M. P., N. Godbout, C. Labadie, M. Runtz, Y. Lussier et S. Sabourin (2015). « Avoidant and compulsive sexual behaviors in male and female survivors of childhood sexual abuse ». Child Abuse & Neglect, 40, p. 48-59.
This paragraph will hhelp the internet vviewers ffor building up neww blog
or even a weblo from start tto end.