Je m’appelle Clée, je suis doula queer à Bruxelles et je facilite des ateliers d’auto-gynécologie. Mais qu’est-ce que c’est ? S’observer le sexe, à l’aide de miroirs, de speculum et de lampes frontales pour voir ce qui s’y passe. À l’extérieur comme à l’intérieur, au niveau du col de l’utérus. 

L’auto-gynécologie est une pratique plutôt méconnue à cause des tabous et de la surmédicalisation. Pourtant, si on sait observer son coude, pourquoi n’irait-on pas observer son sexe pour mieux le comprendre ? Véritable démarche d’autonomie face à la santé reproductive, l’auto-gynécologie est une façon de reprendre du pouvoir sur son corps.

Une histoire féministe et militante

Les origines de l’auto-gynécologie des années 70 à nos jours

À la fin des années 1960, en plein bouillonnement féministe, la médecine devient une nouvelle arène de lutte. Exiger le droit à l’avortement, à la contraception et à un corps libre, c’est aussi remettre en cause le monopole des médecins, souvent paternalistes et moralisateurs. Plutôt que d’attendre leur feu vert, des militantes prennent les choses en main : elles pratiquent des avortements avec la méthode Karman, repensent l’accouchement hors du cadre médical et, surtout, elles partagent leurs savoirs.

C’est ainsi que naît l’auto-gynécologie : une réappropriation du corps et de la santé, loin des injonctions médicales. En France, le MLAC organise des ateliers en non-mixité pour apprendre à poser un stérilet ou mieux comprendre son cycle. Aux États-Unis, le Boston Women’s Health Book Collective publie Our Bodies, Ourselves en 1971, un manuel révolutionnaire sur la sexualité, l’avortement, la ménopause et bien plus.

L’auto-gynécologie, c’est une révolte et une libération : reprendre du pouvoir sur son corps, ensemble, sans attendre la validation d’un médecin.

Désormais, le mouvement de l’auto-gynécologie existe encore. Il reste un puissant outil d’empouvoirement pour toustes. Et je ne peux pas m’empêcher de remarquer à quel point il permet de réduire l’inégalité d’accès aux soins de certain·e·s membres de la communauté LGBTQIA+, qui n’a pas toujours un accueil adapté en structure. 

Comment ça marche concrètement ?

Dans un lieu confortable où personne ne te dérangera, prends un moment en tête à tête avec ton sexe. Pas de stimulation érotique, juste la curiosité de se regarder. 

Dans les ateliers de groupe que je facilite, on commence souvent avec une introduction pour poser un cadre de bienveillance et de sécurité. On partage notre parcours gynécologique (à quel âge le premier examen ? Comment ça se passe en général ?). Puis, on fait un cercle de parole ou un atelier de théâtre forum. Et enfin, si on veut, si on a envie, si on se sent suffisamment en sécurité dans le groupe, on passe à la phase d’observation. Je montre sur moi d’abord, puis les personnes peuvent prendre des spéculums et observer sur elles-mêmes. 

Quand on est seul·e chez soi, je recommande de prendre tout le temps nécessaire pour se sentir en confiance et se regarder. Peut-être avoir un carnet pour noter ses observations, des ressources visuelles. Et prendre le temps de dépasser les premières appréhensions pour laisser place à l’émerveillement, l’empowerment ou l’inconfort. Toutes les émotions sont correctes.

Pourquoi s’auto-observer ? 

L’auto-gynécologie pour mieux connaître son corps, pour mieux le comprendre 

« Est-ce que c’est normal ce que je vois ? » C’est la question qu’on me pose le plus pendant un atelier d’auto-gynécologie. Je viens parfois à la conclusion que les personnes ne connaissent que peu leurs corps. Rares sont celles qui ont déjà pris le temps de s’observer, miroir et speculum en main pendant un long moment. Alors, les réponses fusent. Oui, les fils qu’on voit sont normaux, c’est probablement ceux d’un stérilet. Oui, la substance épaisse et blanche sur le speculum est normale, c’est de la glaire cervicale au niveau du col. Non, cette irritation et cette rougeur sur la lèvre interne ne sont pas communes. Est-ce que c’est là depuis longtemps ? Est-ce que ça fait mal ? Accompagné de douleur à la miction et de fatigue ? Tiens donc, est-ce que ça ne serait pas le moment de passer le relai à un·e médecin et de demander un double avis ? 

C’est tout l’enjeu d’une séance d’auto-gynécologie. Reconnaître son corps et apprendre à le voir régulièrement pour détecter ce qui est habituel et ce qui relève d’un signal d’alerte. Ça permet d’avoir un peu plus de liberté. Et ça peut être émancipateur pour des personnes parfois éloignées des soins de santé de savoir nommer exactement ce qu’elles ressentent. 

Dire « J’ai remarqué un changement, ça fait exactement une semaine, habituellement mon corps fait plutôt-ci et, en ce moment c’est plutôt ça. », ça peut donner beaucoup d’assurance face aux blouses blanches et ce n’est pas à négliger. 

Un autre exemple est le fameux « Je ne sais pas si j’ovule ». Avant de faire une batterie de tests et d’examens, un thermomètre, un suivi de glaire cervicale et une autopalpation du col de l’utérus selon les adages de la symptothermie peuvent donner énormément de visibilité. De quoi lire un cycle perturbé par la périménopause, une prise d’hormone ou un changement de rythme de vie. 

L’auto-gynécologie pour créer un lien d’intimité avec soi-même 

« Je n’avais jamais vraiment pris la peine de me regarder en bas… » C’est une phrase qui revient souvent dans les ateliers d’auto-gynécologie que j’ai accueillis. Pour énormément de personnes, un moment d’auto-gynécologie est une occasion de développer une relation de soin différente envers son corps. « Je trouvais ça un peu sale, mais en fait, ça va » est une autre phrase qui revient souvent. Certaines personnes ont peur des odeurs, des poils, des formes et des textures de leur sexe. L’observer ne serait-ce qu’à l’externe à première vue avec un miroir est parfois un moment important pour déconstruire des complexes et des tabous. J’en ai entendu d’autres, en contexte de non-mixité raciale, me raconter très fièrement la couleur de leurs lèvres « Je ne m’attendais pas à cette teinte-là, on dirait qu’elles sont tellement noires qu’elles ont l’air bleues. Je n’avais jamais rien vu de pareil. »

« C’est donc par là qu’est sorti mon bébé… » En atelier d’auto-gynécologie, j’ai déjà entendu des mamans s’étonner de voir leur col de l’utérus pour la première fois. La plupart ont vécu des accouchements avec beaucoup de touchers vaginaux ou des situations où nombreuses sont les personnes qui ont circulé autour de leurs vulves et de leurs cols. C’est parfois très émouvant de réaliser ce qu’est devenu le sexe après ce grand changement et tout ce qu’il a pu accomplir. 

Pendant les ateliers de groupe, parfois, certaines personnes peuvent même observer (avec consentement bien sûr !) ce qui se passe chez les autres personnes présentes. C’est des moments très intenses, surtout dans des contextes en non-mixité trans, par exemple d’observer à quoi ressemble un sexe qui est devenu un peu différent de ce qu’on nous montre dans les bouquins d’anatomies classiques que tout le monde a vu à l’école. 

L’auto-gynécologie pour parler contraception et fertilité

On parle d’anatomie du sexe et très vite, le sujet bascule sur les rapports sexuels, les règles, les (non) désirs d’enfants, les contraceptions. Bref, tout un monde !

Pendant les ateliers de groupe, ce n’est pas rare que les participant·e·s échangent leurs retours d’expériences. « Moi, j’ai posé un stérilet, c’était très douloureux », « Ah bon ? Moi, man gynécologue m’a posé un dernier modèle en forme de sphère, je n’ai presque rien senti. Par contre, mes règles sont devenues plus abondantes. », « Moi, hors de question le stérilet, je n’ai pas envie de gérer la charge contraceptive ! C’est mon compagnon qui gère sa contraception grâce à la méthode thermique. » Des discussions à n’en plus finir, toujours très enrichissantes. 

C’est parfois la première fois que les personnes entendent parler de moyens de contraceptions naturels, d’indice de Pearl et de fiabilité. Symptothermie, méthode d’aménorrhée par l’allaitement, remontées testiculaires… L’occasion d’ouvrir une porte des possibles sans prosélytisme, chaque personne partage son expérience. Car en matière de contraception, il n’y a pas qu’une seule bonne méthode. Il y a la méthode qui te convient à toi !

Les défis et limites de l’auto-gynécologie

Déjà, il faut bien avoir en tête qu’il s’agit d’un outil complémentaire au monde médical, ce n’est pas un remplacement. Si ça saigne, s’il y a de la fièvre, si on n’est pas sûr·e de ce qui se passe : on va consulter. Point à la ligne. Mieux vaut éviter de jouer aux apprenties sorcières quand on peut faire autrement et qu’on a accès à un système de soin médical. 

Et l’auto-gynécologie ne dispense pas d’aller faire des examens réguliers selon les recommandations en vigueur. L’avantage ? Tu sauras probablement mieux guider tan gynécologue et reprendre un rôle actif dans les examens. « Moi, par exemple, les frottis, c’est moi qui fait. Ça a ouvert le dialogue avec ma sage-femme, ça fait beaucoup de bien ! » a un jour, dit une participante. Une autre, « Heureusement que j’ai continué à faire des examens gynécologues tous les 3 ans, on a détecté une lésion de VPH au niveau du col que je n’avais pas du tout vu pendant mes auto-observations. On a dû opérer. »

C’est aussi normal de ne pas vouloir ou de ne pas pouvoir s’auto-observer. Certaines personnes peuvent trouver cela difficile pour cause de traumas, de honte, peu importe la raison. J’ai déjà entendu « C’est bien beau tout ça, mais c’est pas pour moi, je ne pourrais pas. Je me sens mauvaise féministe… » On n’est pas une « mauvaise féministe » parce qu’on ne fait pas d’auto-gynécologie. 

Le faire pour soi

L’auto-gynécologie c’est donc un acte d’autonomie et d’estime de soi. Je ne peux que t’encourager à franchir le pas.

Le Centre de santé des femmes de Montréal offre parfois des ateliers ! N’hésite pas à leur envoyer un message de contact via leur site pour être tenu·e à jour.

Dans certaines villes, il est très difficile de trouver des ateliers. Il faut alors s’auto-observer en solo. C’est moins sympa, la dynamique de groupe apporte quelque chose d’autre. Mon conseil ? Il suffit de commencer ! 

S’observer soi-même avec un miroir, une lampe frontale et un speculum. Et si on le sent, demander à des ami·e·s de venir faire de même. Il n’y a pas besoin d’être expert·e ! Juste d’avoir la curiosité de demander. 

Et évidemment, si tu as des questions ou que tu hésites sur la marche à suivre pour créer des ateliers d’auto-gynécologie, demande à des gens qui ont l’habitude. Que ce soit dans ta région ou ailleurs sur les internets (moi, par exemple, qui ai écrit cet article !).

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