La grossophobie, alias la discrimination envers les personnes grosses, est largement documentée comme un phénomène social, mais ses répercussions individuelles et intimes, notamment sur la sexualité, restent encore trop souvent tues. Pourtant, la grossophobie ne s’arrête pas aux regards extérieurs : elle s’infiltre dans l’esprit, façonne la perception de soi et impacte profondément l’épanouissement sexuel. Cet article propose de vulgariser les mécanismes de la grossophobie internalisée et d’explorer ses conséquences sur la vie sexuelle, tout en ouvrant des pistes pour une sexualité plus inclusive et libérée de ses pensées dommageables.
On en est où aujourd’hui ?
Imagine, au Québec, une personne sur quatre a déjà été victime de discrimination à l’égard de son poids, que ce soit dans des relations personnelles, dans des magasins, au travail, dans la recherche de logement ou dans le système de santé. Cette statistique, n’est pas un mensonge — j’exagère pas promis juré, c’est Léger Marketing qui le dit — et illustre l’ampleur de la grossophobie et de ses effets dévastateurs sur la sexualité. Mais au-delà des commentaires des autres, on sait très bien qu’on est souvent notre meilleure critique : allô à la grossophobie internalisée. C’est pourquoi il est pertinent d’ouvrir la discussion à ce sujet afin de s’interroger : comment ce phénomène affecte-t-il la sexualité des personnes concernées ? Quels sont ses mécanismes, ses manifestations, et surtout, comment s’en libérer ?
Comprendre la grossophobie internalisée
Définition et origines
La grossophobie se définit comme l’ensemble des attitudes, comportements et discriminations visant les personnes avec un corps gros. Ses manifestations en société passent par des stéréotypes, des moqueries, de l’exclusion, voire des violences physiques ou psychologiques envers les personnes grosses. Mais la grossophobie ne s’arrête pas là : elle peut être intériorisée par les personnes elles-mêmes, en finissant par croire et adopter les préjugés des autres et ainsi vivre du ressentiment envers leur propre corps.
La grossophobie internalisée naît d’un processus d’intériorisation des normes sociales, des discours médiatiques et des injonctions à la minceur. Le bon vieux WeightWatchers à nos mamans. Dès l’enfance, les individus sont exposés à des représentations négatives des corps gros : dans les publicités, les films, les réseaux sociaux. C’est dans ces mêmes représentations qu’on voit la minceur glorifiée, tandis que la grosseur est associée à la paresse, au manque de volonté, voire à l’échec moral. En effet, 37 % des Québécois·es jugent que les personnes grosses ont un mauvais contrôle d’elles-mêmes, et 18 % estiment qu’elles sont paresseuses… À force de vivre cette pression constante, ça peut conduire à une autodévalorisation et à une honte profonde de son propre corps.
Le rôle des médias et des réseaux sociaux
Les médias traditionnels et les réseaux sociaux jouent un rôle ambivalent. D’un côté, ils véhiculent des normes de beauté irréalistes et alimentent la stigmatisation des corps gros. Sur TikTok ou Instagram, les hashtags « summer body » et « Skinny Tok » renforcent l’idée qu’il faut être mince pour être désirable ou avoir un style de vie sain et équilibré. De l’autre, certains mouvements émergent pour revendiquer l’acceptation de la diversité corporelle et donner de l’empowerment aux personnes grosses. Des influenceurs et influenceuses « body neutrality » tentent de déconstruire les stéréotypes, mais ces initiatives restent minoritaires face à la masse des contenus stigmatisants.
Processus d’intériorisation et manifestations concrètes
La grossophobie internalisée se manifeste par un discours intérieur négatif : honte de son corps, culpabilité à manger, auto-dépréciation, sentiment d’être indigne d’amour ou de désir. Le vieux feeling que, peu importe ce que tu fais, tu ne seras pas la personne choisie. Cette autostigmatisation impacte directement l’estime de soi et l’image corporelle, deux piliers essentiels pour l’épanouissement sexuel.
Sexualité et image de soi : un lien indissociable
Construction de la sexualité et acceptation de soi
La sexualité ne se réduit pas à un acte physique : elle s’inscrit dans une histoire personnelle et unique, une relation à soi et à l’autre — sinon on appellerait ça de la génitalité quoi. L’acceptation de son corps est donc un facteur clé de l’épanouissement sexuel. Or, la grossophobie internalisée fragilise cette acceptation : comment se sentir désirable, oser exprimer ses désirs, explorer son plaisir, quand on a intégré l’idée que son corps est un « turn off » ou simplement « indésirable » ?
Spécificités chez les personnes grosses
La société valorise certains corps et en invisibilise d’autres. Ici, on se rappelle des films des années 2000 où les personnes grosses étaient bin drôles et on les adorait, mais c’était jamais les héroïnes des comédies romantiques. Les personnes grosses doivent composer avec des regards sociaux ambigus : elles sont à la fois invisibilisées (peu représentées comme objets de désir dans les médias) et fétichisées (réduites à leur corps dans certains fantasmes). Cette tension complique la perception de leur propre désirabilité. Beaucoup finissent par douter de leur capacité à plaire, à séduire ou à être aimées pour ce qu’elles sont, au-delà de leur apparence. La grossophobie intériorisée n’est évidemment pas une alliée pour la construction d’une sexualité épanouie et authentique. L’impact de l’image corporelle sur la sex life est présent et on ne peut pas l’ignorer.
Les répercussions de la grossophobie internalisée sur la sexualité
Freins à l’épanouissement sexuel
La honte du corps, la peur du rejet ou du jugement, l’angoisse d’être « trop » ou « pas assez », sont autant de freins à l’épanouissement sexuel. Les personnes concernées peuvent éviter l’intimité, refuser de se déshabiller devant un partenaire, ou taire leurs désirs par crainte d’être jugées. Cette autocensure limite l’exploration du plaisir et la communication autour des besoins sexuels.
Difficultés relationnelles et psychologiques
La grossophobie internalisée peut entraîner des troubles psychologiques : anxiété, dépression, isolement social. Elle impacte aussi la qualité des relations interpersonnelles : peur de ne pas être à la hauteur, difficulté à poser ses limites ou à exprimer son consentement. Certaines personnes acceptent des situations qui ne leur conviennent pas, pensant ne pas mériter mieux ou par peur de ne pas trouver mieux.
Consentement et pressions
La question du consentement est centrale : la honte du corps peut pousser à accepter des rapports non désirés, par peur de perdre l’affection de l’autre ou de ne pas être « assez bien » pour mériter le respect de ses propres limites. À l’inverse, certaines personnes se privent de relations intimes, anticipant le rejet ou de potentiels regards réprobateurs.
Vers une sexualité plus inclusive et épanouie
Déconstruire les préjugés et s’accepter
Sortir de la grossophobie internalisée nécessite un travail de déconstruction des préjugés et d’acceptation de soi. Et ce n’est pas si simple : on s’est fait socialiser à trouver des défauts à notre corps et à nourrir des complexes. L’important devient donc d’avoir, chaque jour, de la compassion envers soi-même. Ça passe par l’éducation à la diversité corporelle, la valorisation de toutes les morphologies, et la remise en question des normes imposées. Apprendre à reconnaître et à nommer la grossophobie, y compris celle qui s’exprime dans notre propre discours intérieur, est une première étape vers l’émancipation.
Stratégies individuelles et collectives
- Prendre conscience de ses propres biais et s’entourer de personnes bienveillantes. Comprendre pourquoi nos ami·e·s nous trouvent rayonnant·e et super sexy. Tandis que nous on y arrive pas !?
- Suivre des comptes « body neutrality » sur les réseaux sociaux pour diversifier ses représentations. #fatbabe #biggirl #bodypositivity sont des hashtags qui peuvent être pratiques afin de jouer un tour à ton algorithme grossophobe ! Malheureusement, il n’y a pas encore de mots clés « populaire » strictement pour les hommes ou personnes de la diversité de genre — si tu en connais, fais-nous le savoir en commentaire !
- Participer à des groupes de parole ou consulter un·e thérapeute spécialisé·e dans les questions d’image corporelle et de sexualité. Je vous recommande chaleureusement les sexologues, wink wink.
- Pratiquer l’autocompassion et célébrer les petites victoires dans le cheminement vers l’acceptation de soi. Let’s go les queens and kings, stare at that ass in the mirror for 45 minutes.
Rôle des partenaires et de la société
Les partenaires ont un rôle clé : la communication, l’écoute, la bienveillance et le respect du consentement sont essentiels pour créer un climat de confiance et permettre à chacun·e de s’épanouir sexuellement. La société, quant à elle, doit promouvoir des représentations positives et inclusives dans les médias, la publicité, la culture populaire. Plus la diversité corporelle sera visible et valorisée, moins la grossophobie aura de prise sur les esprits.
Sans honte ni culpabilité : s’aimer et aimer librement
En poursuivant ce combat, on ouvre la voie à une sexualité plus juste, plus inclusive, où chaque corps a droit au désir, à l’amour et à la reconnaissance. Parce que la diversité des corps est une richesse, et que chaque personne mérite de s’épanouir, sans honte ni culpabilité.
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Références principales utilisées dans l’article :
- Bernier, É. (2020, 27 février). Grossophobie internalisée 101. Grossophobie.ca. https://grossophobie.ca/blogue/2020/02/27/grossophobie-internalisee-101/
- Carof, S. (2021). Grossophobie : sociologie d’une discrimination invisible.
- Équilibre. (n.d.). Qu’est-ce que la grossophobie internalisée ?. https://equilibre.ca/quest-ce-que-la-grossophobie-internalisee/
FasterCapital. (2025, 26 mars). Biais implicites : dévoilement des biais, internalisation et stéréotypes implicites. https://fastercapital.com/fr/contenu/Biais-implicites---devoilement-des-biais---internalisation-et-stereotypes-implicites.html - Gailey, J. A. (2012). Fat Shame to Fat Pride: Fat Women’s Sexual and Dating Experiences.
- Léger, 2021. Rapport : Perception du problème de poids au Québec : Sondage auprès des Québécois et Québécoises.
- Levy, M., 2020. The Relationship between Weight Bias Internalization and Healthy and Unhealthy Weight Control Behaviours. [Mémoire en ligne]. Montréal (QC) : Concordia University; 2020 [cité le 19 Jan 2022]. Disponible : https://spectrum.library.concordia.ca/987307/
- Orbach, S. (1978). Fat is a Feminist Issue.
- Sakala, S. T. (2022, 1er avril). La grossophobie. CHU de Québec — Université Laval. https://www.chudequebec.ca/a-propos-de-nous/publications/revues-en-ligne/spiritualite-sante/reflexions/la-grossophobie.aspx
- Wolf, N. (2002). The Beauty Myth: How Images of Beauty Are Used Against Women.
- Sites web : Équilibre, Grossophobie.ca, CHU de Québec, FasterCapital.
Crédit photo : Mizuno K
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