Dans cet article, je vais parler de l’histoire de la pilule. Je suis Clée, doula communautaire pour les personnes queers et racisées à Bruxelles, mais également professeur de symptothermie. Je suis passionné par les méthodes de gestion de fertilité et je trouve important d’en parler.
Avertissement : Avant de plonger dans le passé trouble de la pilule, soyons clair·e·s, il n’y a rien de mal à choisir la contraception qui te convient parfaitement. Chacun·e a le droit de décider pour son corps. En libérant les personnes avec utérus des contraintes des méthodes contraceptives masculines, la pilule leur donne un contrôle direct sur leur corps et leur vie familiale. Cela a contribué à une meilleure égalité des sexes en matière de planification familiale, facilitant l’accès des femmes à l’éducation et à la carrière professionnelle. De plus, la pilule permet de réguler les cycles menstruels et peut soulager des symptômes tels que les douleurs menstruelles et les troubles hormonaux !
Margaret Sanger et les origines de la pilule
Pour comprendre les origines de la pilule, il faut parler de Margaret Sanger. Pour retracer son histoire, je me suis basé sur des interviews compilées à partir de l’émission The Forum de la BBC World Service Radio.
Margaret, c’est l’activiste qui a joué un rôle clé dans la création de la pilule contraceptive. Elle a grandi dans une famille ouvrière pauvre de l’État de New York, à la fin du XIXe siècle. Sa mère a vécu 18 grossesses, dont 7 fausses couches, avant de mourir prématurément. Ce contexte difficile a profondément marqué Sanger. Cela l’a poussée à devenir infirmière, puis militante pour la régulation des naissances après avoir été témoin des conséquences dévastatrices des avortements clandestins.
Margaret Sanger, militante féministe courageuse
En 1916, à une époque où la contraception était illégale aux États-Unis, elle a fondé la première clinique de régulation des naissances à New York, dans un quartier pauvre majoritairement peuplé d’immigrant·e·s. Cette clinique a été rapidement fermée, et Sanger a été emprisonnée pour ses activités, mais elle n’a jamais abandonné son combat pour le droit des femmes à la contraception.
Mais un héritage controversé
Cependant, ce combat pour l’accès à la contraception est entaché par ses liens avec le mouvement eugéniste. Sanger a cherché des alliances et du financement auprès de la Société Eugéniste, croyant que la régulation des naissances pouvait être un moyen de « purifier » la population en limitant la reproduction des personnes pauvres et des populations racisées. Elle a même promu la régulation des naissances en Inde et en Asie avec des arguments eugénistes. Dans une lettre adressée à la London Eugenics Society, qui a financé son voyage en Inde en 1935, elle a souligné la nécessité de limiter la reproduction des « plus pauvres et des moins bien dotés biologiquement ».
Dans l’article de la BBC, on peut lire :
« L’héritage de Sanger est vraiment mitigé », comme le dit Sanjam Ahluwalia, professeure d’histoire et d’études sur les femmes et le genre à la Northern Arizona University, et auteure de Reproductive Restraints : Birth Control in India, 1877-1947. « Je ne pense pas qu’elle soit singulièrement liée à la libération… mais je pense que cancel quelqu’un comme Sanger est trop simpliste…. Il faut la lire de manière historique [et] critique », a-t-elle déclaré à l’émission The Forum de la BBC World Service Radio.
Les expérimentations de la pilule à Porto Rico
Les tests de pilule contraceptive ont été faits à Porto Rico. Depuis 1937, l’île était un terrain d’expérimentation en matière de régulation des naissances, avec des lois autorisant la stérilisation volontaire, souvent appliquées sur les femmes les plus pauvres et racisées. Dans le documentaire L’Opération (1982), on apprend que ce contexte a attiré l’attention des chercheurs américains qui cherchaient un endroit où les restrictions légales américaines sur la régulation des naissances ne s’appliquaient pas, leur permettant de mener des essais cliniques à grande échelle sans les obstacles rencontrés aux États-Unis. Pour avoir plus d’informations, je te conseille de lire cet article qui s’appuie sur des émissions de la BBC World Service Radio.
Le manque de consentement des premières testeuses de la pilule
Dans les années 1950, Porto Rico est donc devenu un site crucial pour tester la pilule contraceptive en raison de sa législation permissive en matière de contraception et de stérilisation. Le documentaire L’Opération (1982) révèle que les femmes participant à ces essais cliniques ne savaient souvent pas qu’elles étaient des cobayes. Les effets secondaires de la pilule, comme des nausées, des vertiges, et des vomissements, étaient graves et répandus.
À cette époque, Porto Rico était confronté à une extrême pauvreté et un boom démographique. Le gouvernement local, en collaboration avec les autorités américaines, a promu des politiques de régulation des naissances pour gérer la croissance de la population. Les femmes les plus pauvres et les moins éduquées ont été particulièrement ciblées, souvent sans consentement éclairé. Les chercheurs américains, en quête d’un lieu où la stérilisation et les expérimentations étaient légales, ont trouvé en Porto Rico le terrain idéal.
Dans cet article de la BBC, on lit :
« Ils visaient les femmes les plus pauvres, les plus racisées et les moins éduquées du pays », explique Lourdes Inoa, de l’ONG féministe portoricaine Taller Salud dans le documentaire. « Parce qu’elles étaient les moins à même de connaître les répercussions de ce type de procédure. Le consentement, dans ce contexte, est très discutable. »
Des effets secondaires importants et peu pris au compte
Le médicament, dont la première formule était beaucoup plus dosée que celle utilisée aujourd’hui, a causé des effets secondaires importants. Le projet de recherche a été mené dans un quartier de San Juan et a impliqué des étudiants en médecine et des travailleurs sociaux, souvent sans compensation financière pour les participantes. Les méthodes de test comprenaient des biopsies et des analyses inconfortables.
En dépit des graves répercussions sur la santé des participantes et de la contestation croissante, l’expérimentation s’est poursuivie jusqu’en 1964. Les scientifiques ont étendu les essais à d’autres villes et à d’autres pays après avoir obtenu une approbation conditionnelle pour la pilule par la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis, connue sous le nom d’Enovid, en 1960. Bien que la pilule ait permis aux femmes de mieux contrôler leur reproduction, elle a également engendré des problèmes de santé graves et des litiges juridiques.
Bien sûr, les pilules d’aujourd’hui n’ont rien à voir avec celles de l’époque ! Elles sont beaucoup moins dosées. Il ne faut pas s’inquiéter à la lecture de cet article.
L’héritage complexe de la pilule
L’histoire de la pilule est donc ambivalente. D’un côté, elle a ouvert la voie à une plus grande autonomie des personnes avec utérus sur leur propre corps, mais d’un autre côté, ses méthodes et ses alliances avec des groupes eugénistes laissent un héritage empreint de racisme. Pour comprendre pleinement l’histoire de la pilule, il est important de ne pas oublier ce contexte, de regarder au-delà du récit simple de l’émancipation féminine pour voir les nuances et les ombres.
La symptothermie : une contraception décoloniale et naturelle
Quand j’ai découvert les origines de la pilule, je me suis vraiment demandé pourquoi je la prenais. Ça m’a donné la force et la confiance de commencer la symptothermie. Je me suis dit que c’était un choix politique et que je n’étais pas bête, que je pouvais y arriver. Arrêter la pilule peut être vu comme un acte militant. Parce qu’on se la fait suggérer à tout bord et parce que des effets secondaires sont encore ignorés ou peu pris au sérieux par le corps médical par rapport à l’impact qu’ils peuvent avoir au quotidien. L’essentiel, c’est d’avoir le choix et de pouvoir connaître et choisir sa contraception en toute confiance.
Longtemps, les méthodes naturelles comme la symptothermie étaient enseignées dans des milieux bourgeois religieux catholiques par exemple, souvent évoquées dans des textes sacrés. La colonisation a effacé la transmission culturelle de ces savoirs parmi les peuples colonisés, laissant les familles privilégiées conserver ces connaissances.
En 2024, la symptothermie est parfois enseignée lors de la préparation au mariage religieux (toutes mes copines ont eu des infos sur les méthodes naturelles de contraception pendant la leur), mais reste méconnue dans d’autres contextes. Cela conduit à la prescription systématique de pilules aux adolescentes sans réelle information.
Bien apprise, la symptothermie a le même indice de Pearl (taux de fiabilité) que celui de la pilule selon l’OMS. Après l’avoir pratiqué pendant plus de 6 ans, je suis devenu à mon tour professeur de symptothermie en suivant une formation longue. Connaître son corps et ses biomarqueurs de fertilité est un savoir fascinant qui ne s’improvise pas ! Pour en savoir plus, je t’invite à lire mon article sur le sujet et je recommande de regarder du côté d’Eden Fertilité (établissement francophone et laïque européen) ou de Serena Quebec pour tout savoir.
Le bon choix pour soi
Le vrai défi, selon moi, c’est que chaque personne devrait pouvoir choisir la contraception qui lui convient parfaitement. Apprendre la symptothermie et revendiquer la liberté de contrôle sur son corps peut être vu comme un acte décolonial puissant.
J’ai tiré ces informations des livres « J’arrête la pilule » de Sabrina Debusquat et « Ceci est mon sang », ainsi que les articles de BBC News Afrique cités dans l’article.
N’hésite pas à me dire en commentaire ou sur Instagram (@ratonreveur) si tu avais déjà entendu parler de ces faits.