BDSM : on balance un peu partout cet acronyme-parapluie de nos jours, au gré de l’effroi comme des vantardises. Il est plus souvent qu’autrement rencontré par des sourcils levés ou des éclats de rire à peine dissimulés. Quand tu la regardes de l’extérieur, cette gamme d’expériences te paraît peut-être intense et impénétrable. Et comment donc s’y — ou se — retrouver dans toutes ces lettres qui évoquent nébuleusement des scènes de films comme de porno ?

Attends minute, j’suis pas seul·e à faire ça ?!

Si on est bien plus nombreuxes qu’on ne le croit à déjà prendre part à du jeu à saveur kink, le plus grand pas a tendance à être la connexion avec les communautés BDSM. Elles sont pourtant parmi les plus ouvertes, supportive, communicatives et avant tout, axées sur la sécurité, la préparation et le consentement enthousiaste.

Pour la petite histoire — ou plutôt queer-story, terme inspiré du mot féministe herstory* qui cherche à s’écarter de l’history construite selon des perspectives cishétéro patriarcales —, savais-tu que plusieurs revendiquent le kink comme une identité, un peu comme un coming out queer, gai, pansexuel, transgenre, polyamoureux ou autre ? La communauté BDSM est depuis longtemps pluridimensionnelle et assez accueillante à la diversité sexuelle et d’identité. Même que ces multiples identités s’intersectent fréquemment et ont malheureusement vu les unes comme les autres leurs droits et libertés refusé·e·s.



* La ville de New York abrite notamment les Lesbian Herstory Archives (LHA) depuis 1975. Il s’agit de la plus grande collection mondiale de documents par et pour lesbiennes et autres personnes s’identifiant à ce terme au siècle dernier!


Sur les traces qui s’effacent

On ne va pas s’aventurer ici dans le détail des origines millénaires de plaisirs qu’on flanque aujourd’hui allègrement dans la vaste catégorie du non-vanille. Il est à tout le moins fort hasardeux de sortir de not’ p’tit coin de localisation socio-politico-historique pour prétendre clamer leurs vérités à des modes d’existence qui ne ressemblaient en rien aux nôtres ! (Allô, les historien·ne·s qui se jettent à la conquête épistémique du passé, armé·e·s de concepts d’aujourd’hui, on vous parle à vous.) Un certain consensus veut néanmoins que les goûts kink contemporains aient évolué de rituels religieux de punition et d’automutilation. Pendant des siècles, les individu·e·s intéressé·e·s à laisser libre cours à leurs fantasmes érotiques donnant dans la douleur, la déprécation ou les échanges de pouvoir ont trouvé refuge dans ce qui pouvait sembler banal lorsque mêlé à la foi religieuse1 ou aux coutumes sociales.

En effet, on pense à l’influence de la pratique trivialisée de la punition corporelle imprégnée dans les écoles jusqu’à récemment3. Non seulement les polisson·e·s pouvaient-iels s’attendre à recevoir des coups de baguette en réponse à un mauvais coup, mais cela se faisait habituellement devant les autres élèves, voire de leurs propres mains si les professeur·e·s — « maîtres » et « maîtresses », comme on les appelle encore en France — distribuaient ce « privilège ». On ajoute une description enjolivée et nous voilà rendu·e·s droit dans un classique de porno ! Dynamiques de pouvoir exacerbées par le statut social, exhibition et domination, anyone ?

Source : Spanking Digest, 1965 et Corporal, 1972

Des communautés entremêlées

Les sociétés occidentales du XXsiècle ont simultanément connu une répression sévère de la sexualité en lien avec l’équation-impératif cishétéronormatife amour = mariage = sexe = reproduction. Les pratiques de sadomasochisme (S/M, S&M ou SM) se sont retrouvées socialement classées parmi les comportements sexuels « déviants » et « pervers » à titre semblable non seulement aux autres fantasmes s’écartant de nos normes, mais aussi aux sexualités et identités 2SLGBTQIA+ et au travail du sexe. Les personnes ouvertes d’esprits comme de mœurs appartenaient donc à un univers underground et marginal où elles se retrouvaient souvent ensemble, autant en party qu’emprisonnées… Les communautés 2SLGBTQIA+ et kink se sont élaborées côte à côte ou encore par contraste les unes aux autres — comme l’acronyme lui-même, élargi d’une lettre chaque fois qu’une communauté s’avérait non représentée par « la communauté gaie ».

On pense notamment à la culture leather née dans les années 40 et 50 des clubs de motards gais. Ces derniers, insatisfaits du portrait prédominant des homosexuels efféminés et camp, ont formé de tels groupes afin de promouvoir l’indépendance masculine et la masculinité considérée virile3 4, notamment dans un effort de recréer des collectifs d’hommes promouvant un style de vie et un esprit semblables à ceux des troupes durant la guerre5.

Mais attention ! Les partisan·e·s du cuir se sont aussi parfois dissocié·e·s de la culture BDSM en affirmant ne pas y participer. Iels ont simplement revendiqué un mode de vie et des valeurs leather.

Illustration par Tom of Finland, 1982. Ce style de publication érotique « beefcake » permettait en quelques sortes d’outrepasser la censure sur le contenu homosexuel explicite des années 50-70.

Similairement à cette sous-culture sexuelle queer, des groupes de femmes lesbiennes et de personnes transmasculines se sont élevés à l’encontre de certains discours féministes lors des années 70. Le magazine sexe-positif On Our Backs : Entertainment for the Adventurous Lesbian6 s’est formé lors des sex wars en guise de protestation contre celui, féministe anti-porno, Off Our Backs. Ne voilà qu’une poignée d’exemples témoignant des liens intimes entre kink et queer(s) au long du siècle dernier.

Ceux-ci sont encore pertinents, car ils ont façonné nos communautés d’aujourd’hui et pourtant, ils sont peu (re)connus dans l’espace public… Quoique certains endroits et féru·e·s d’art mettent en œuvre des dispositifs éducatifs rendant hommage à cette importante mémoire des communautés et pratiques sous-représentées.

Tu étais peut-être passé·e au MBAM en 2016 à l’occasion de l’exposition Focus : Perfection — Robert Mapplethorpe où Montréal accueillait cette excroissance artistique provocatrice du New York des années 80. Après avoir admiré les fameux portraits et photographies intimes de splendides bouquets floraux de Mapplethorpe, tu as pu te faufiler dans une section emmurée pour jeter un coup d’œil curieux sur les scènes SM en vedette, si ce n’était plutôt un regard sur les réactions de la faune montréalaise qui osait faire comme toi… Savais-tu que notre cher Musée des Beaux-Arts a même orchestré une visite nue de l’exposition Mapplethorpe ? Eh oui, Montréal tient parfois de belles et étonnantes opportunités de se rassembler entre adeptes de culture en laissant les normes à la maison !

Mais par où donner de la tête, si j’ai envie de m’y mettre ?

À l’abréviation SM se sont éventuellement rajoutées deux lettres pour former le tout-parapluie du BDSM. Celui-ci se divise en fait en trois paires : bondage et discipline, Domination et soumission, et enfin sadomasochisme. Ces combinaisons ont en commun des dynamiques et échanges de pouvoir particulier·e·s dont on te parle ici, d’ailleurs.

Au passage, as-tu remarqué le « D » majuscule et le « s » minuscule qui (per)forment à l’écrit la relation de dominance dont il est question ? C’est pour ça que tu verras souvent le couple de termes Dom (me)/sub désignant l’individu·e Dominant·e et cellui qui y est soumis·e. Dans le monde du kink, il est primordial pour les personnes en jeu de respecter les règles qu’elles se sont données d’avance entre elles.

Toutes sortes de pratiques

L’éventail du BDSM est vaste, et peut inclure toutes sortes d’activités qui se rapportent de près ou de loin à ces grands thèmes que tu connais maintenant. Voici un début de liste pour les curieuxes, histoire de s’inspirer ou simplement de se faire une idée de la grande diversité d’actes sensuels, sexuels ou kink qui se peuvent se dérouler de manière saine et excitante, en solo comme entre partenaires :

  • Privation sensorielle
  • Edging/edge play
  • Déni d’orgasmes ou orgasmes forcés
  • Jeu à la cire
  • Jeu de température : glaçons, feu, etc.
  • Knife play
  • Needle play
  • Electrosexe/eStim
  • Jeu d’impact : fessée, caning, flogging, flagellation, fouet, paddle
  • Restreintes : menottes, ball gag, etc.
  • Shibari/kinbaku (bondage japonais)
  • Humiliation
  • Pet play : furries, puppy play, pony play, etc.
  • Queening (facesitting)/teabagging
  • Leçons d’obéissance
  • Torture
  • … et tout autre jeu négocié d’avance entre adultes consentant·e·s ! 

Peut-être que tu pratiques déjà certaines de ces activités depuis des lustres, et que tu ne les avais même jamais associées à l’univers du BDSM. Ou peut-être que tu n’aurais jamais imaginé que quiconque puisse être into that ! Toujours est-il que, comme pour n’importe quelle nouvelle activité que tu désires entreprendre, il est nécessaire de t’éduquer au préalable et d’apprendre en toute sécurité auprès d’expert·e·s en la matière. D’ailleurs, si l’envie te prend de rencontrer ou de discuter avec des gens qui partagent tes fantasmes et tes envies, tu peux commencer tes recherches ici. On est chanceuxes d’avoir désormais un accès magique à de nombreuxes tutoriels, cours et compagnies de nos jours sur Internet, mais ça n’empêche que rien ne remplace la participation en personne dans des espaces dédiés à la chose.

Quelques bonnes adresses à Montréal

Les communautés queers sont souvent un très bon endroit pour débuter — ou continuer — ta quête de sensations et ton apprentissage de techniques pour le plaisir consensuel et sécuritaire. Si tu n’y es pas déjà impliqué·e et que ça t’intéresse, on te suggère d’aller pointer le museau dans l’espace zen de Tension MTL. En plus d’organiser la Nuit des cordes à l’occasion de la Nuit blanche à Montréal, cette merveilleuse équipe de personnes en tous genres saura te guider par ses cours de cordes, ses tables rondes de « bottoming » et ses rope socials décontractés. Tu es certain·e de les croiser aussi au Weekend fétiche de Montréal pendant la fin de semaine du travail de septembre, où il y aura largement de quoi apprendre et glousser de plaisir.

Si tu aimes te trémousser toute la nuit en apparat thématique, tu peux aussi aller te rincer l’œil et la langue à l’une des mythiques soirées du Cirque de Boudoir, où il te sera possible de voir des spectacles sexy dans une atmosphère de club et de hanter le donjon en fin de soirée pour regarder celleux qui ont de l’expérience jouer. Tu risques même d’être invité·e à participer !

Prêt·e à mettre la main à la pâte et aux outils ? Le nouveau Collectif Kink débute tout juste d’offrir des play parties, dans un espace donjon style l’Opalace. Cet espace organise d’ailleurs des « munchs » BDSM tous les vendredis, sorte de rencontre casual sans attentes pour permettre aux intéressé·e·s de s’informer et de rencontrer des pros.

Et voilà, tu es dorénavant bien muni·e en fantasmes, information et options pour se familiariser avec les communautés BDSM des environs !



Pour en apprendre plus sur l’histoire du BDSM

1 Peter Tupper, A Lover’s Pinch: A Cultural History of Sadomasochim, Rowman & Littlefield Publishers, 2018.

2 Ibid., p. 176-178.

3 Leather Culture, dans Leatherpedia [en ligne], 2017.

4 LDG Presents: “THE VALLEY OF THE KINGS” – Gayle Rubin (Part 1), dans San Francisco’s Leathermen Discussion Group, 23/05/2012 et LDG Presents: “THE VALLEY OF THE KINGS” – Gayle Rubin (Part 2), dans San Francisco’s Leathermen Discussion Group, 23/05/2012.

5 Peter Tupper, A Lover’s Pinch: A Cultural History of Sadomasochim, op. cit., p. 247-248.

6 Lizzie Masterson, « Entertainment for the Adventurous Lesbian: An Interview with the Curators of ON OUR BACKS: AN ARCHIVE”, dans Cuntemporary, 29/05/2017, page consultée 01/06/2022.

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À propos de Elyx Desloover

Rédacteur·rice pigiste | Pronoms: iel/ellui | Joyeusement gamin·e, j’aime provoquer les gens à jouer. Avec les mots comme les idées, les corps, les identités. Je trouble à dessein les sols sur lesquels on se promène sans y penser. J’interroge et fais réfléchir celleux qui m’entourent pour déconstruire les concepts réducteurs de nos belles et fluides multiplicités. Suite à des études de bac et de cycles supérieurs en philosophie et en littératures, je me consacre à un doctorat en études culturelles axé sur des enjeux trans, féministes et abolitionnistes, la justice transformatrice par le care et les politiques du plaisir. Je vise à soigner ce que je peux grâce aux remèdes naturels, à la cuisine remplie d’amour et de plantes, puis au yoga dont je suis professeureuse. Mon temps libre se trame aussi de rituels intentionnels valorisant la connexion à soi comme à autrui et au monde – communication transparente, tarot, pendule, pleine présence. Que peut-on donc créer ensembles à partir des failles de systèmes morcelés, le poème à la bouche et le sourire dans les yeux?

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