Qui dit relation dit forcément fin, car qui sommes nous pour y rester toute une vie ? Aux heureux·ses élu·e·s qui y demeurent : on vous envie, vous applaudit (si ça se fait en loi générale dans le bonheur) et vous envoie, à l’occasion, un beau gros « fuck you » — avec amour certes, sinon compersion. Pour les moins fortuné·e·s, c’est-à-dire la vaste majorité des êtres humains, comment s’y prendre ? Y a-t-il une recette magique pour en finir correctement et s’en sortir sans trop d’écorchures ? Si tu en as une, partage-la-nous au plus vite, ô merveille ! Chaque relation est différente et chaque situation demande une approche qui lui sera propre, idéalement. Pourtant, quelques principes peuvent nous guider alors qu’on navigue la fin d’un espace partagé. Ou plutôt, sa transformation en quelque chose d’autre si les partis en jeu le désirent — quand on voit déjà les différents types de relations ou d’attirances d’un œil moins monogame, tout est possible !
Rewind
Reculons un peu dans le temps et les attentes sociales.
Les ruptures sont synonymes dans l’imaginaire social de crises, de comportements moins qu’aimables et courtois, voire de la bassesse humaine à son comble. Après ce cortège attendu de chantage, de cris et de coups bas, pas de surprise si les personnes qui se séparent le font pour toujours1. Qui voudrait effectivement garder dans sa vie quelqu’un·e qui a fait pareil volteface de l’amour à la méchanceté et à une traîtrise digne des plus grands drames épiques ?
Pourtant, me semble que c’est un peu triste quelque part de congédier ainsi la personne qui a tenu un rôle prépondérant dans l’histoire de notre vie. Oublier d’un coup des mois, des années, des parties de soi-même comme si iels n’avaient pas eu lieu, ça a l’air d’un véritable tour de force. Ces épisodes ne retiennent-ils pourtant pas de la valeur même si on doit la rajuster et parfois la garder de côté pendant qu’on soigne son cœur blessé ?
C’est pour ça qu’on te propose aujourd’hui d’approcher les ruptures d’une manière moins cassante, peut-être même un peu plus posée et douce. Tant qu’à déconstruire les scripts de la sexu, autant déconstruire ceux des peines d’amour !
Se préparer pour le meilleur comme pour le pire
Finalement, tout ça revient aux mêmes bases que le début d’une relation. On discute et on détermine ensemble quel fonctionnement nous va le mieux. Avoir la carte blanche grâce au polyamour, soit ne pas avoir de moule prédéterminé dans lequel se fitter tant bien que mal, ça veut aussi dire qu’il y a plus de travail à accomplir au fur et à mesure. Tout comme lorsque tu fais des pas pour ouvrir ta relation de couple, pour façonner un polycule ou négocier les termes d’une entente polyam ou kinky, envisage les situations dans lesquelles vous pourriez vous retrouver dans un futur plus ou moins proche, qu’elles soient positives ou négatives.
Peux-tu imaginer à quoi ressemblerait la fin de tes relations ? De celle-ci en particulier ? Pourrais-tu en parler avec tan ou tes partenaire/s ? Qu’est-ce qui serait le plus important à conserver, promouvoir, etc., pour toi si les choses tournaient au moins que plaisant ? Pouvez-vous construire ensemble un quelconque safety net pour vous attraper avant que vous ne soyez pitché·e·s au sol par la force de la commotion ? Par exemple, considérez un arrangement du type : « si quelque chose dérange l’un·e de nous, on s’assure de ne pas laisser traîner (et s’aggraver) l’inconfort en planifiant de discuter sérieusement du sujet pas plus d’une semaine plus tard ». Peut-être aussi des règles de base de l’argumentation sont-elles de mise ?
Par ailleurs, cet exercice est intéressant dans le cas de toutes sortes de relations. Quelles balises devrais-tu envisager si tu découvres que les valeurs d’un·e de tes amix ou des membres de ta famille ne s’alignent pas ou plus avec les tiennes ? Voudrais-tu couper les ponts totalement ? Ou bien, serait-il souhaitable de mettre et/ou d’exprimer des limites quant aux schémas de vos interactions ? Peux-tu profiter de certains aspects de votre connexion en évitant de rentrer en relation ou discussion autour de thèmes ou de situations qui vous mettront en opposition ? Mettons, par exemple, que tu aimes vraiment passer du temps avec un·e ami·e en un·e à un·e, mais que son comportement dans un groupe te dérange. En fonction de la situation, tu te sentiras peut-être à l’aise de simplement formater vos interactions pour que vous ne vous voyiez que toustes les deux. Ou bien, il se peut que ces différences te déplaisent tant qu’il est temps pour toi de lui en parler, voire de cesser cette amitié s’il n’y a pas de résolution ou de compromis confortables à l’horizon. Quelles sont tes limites ? Qu’est-ce qui représente pour toi un dealbreaker, et qu’est-ce qui te paraît surmontable à force de communication pour se retrouver sur la même page ? Toutes ces questions s’appliquent évidemment aussi aux relations amoureuses, sensuelles et sexuelles. Continue de déconstruire par la réflexion la hiérarchie sociale des sentiments et des relations ! Voici un petit goût en action de l’anarchie relationnelle.
Évidemment, on ne peut pas tout prévoir et tracer un plan d’attaque pour l’entièreté des scénarios possibles à l’avance. Ce n’est pourtant pas une mauvaise idée que de chercher à imaginer comment on va se sentir si telle ou telle chose se passe. Ça pourrait par exemple nous aider à naviguer moins amèrement ces émotions si/lorsqu’elles arrivent. Il est vrai qu’on rechigne à se délester de nos lunettes roses quand on a des papillons dans le ventre et les étoiles aux yeux. N’empêche qu’il vaut mieux ne pas se retrouver les culottes par terre si jamais la romance tourne court et que les émotions sont tout à coup dans le plafond.
Adopte l’honnêteté et la transparence autant envers lea ou les autre/s qu’envers toi-même. Si la relation est désormais porteuse de plus de compromis que de bonheur, il semble être temps de changer son cap — ou son statut. Telle qu’elle est, celle-ci vous fait à vous toustes du mal. Y rester ainsi risque de ne pas arranger les choses si vous avez épuisé ensemble les recours aux discussions, aux concessions et aux thérapies de couple/groupe.
Qui « mettre en premier » dans un système relationnel non hiérarchique ?
Au fait, qui d’autre est présent·e dans le système que vous partagiez, tan partenaire et toi ? Avez-vous d’autres partenaires ensemble ou séparément ? Des nesting partners ou des dépendant·e·s ? Des enfants ? Comment ces personnes seront-elles affectées par votre rupture ou le changement des termes de votre relation ? Qui ou quoi doit venir « en premier » dans tout ça, question confort et sécurité émotionnelle pour toi et pour les partenaires en jeu comme pour toutes ces autres personnes qui font partie de la bulle que vous vous apprêtez à péter ? Il n’y a pas ici de bonne réponse, mais il y en a certainement des meilleures que d’autres.
Tout le monde mérite d’être pris en compte en proportion juste à son engagement dans la situation. En envisageant d’avance comment un breakup éventuel pourrait se play out, tâche donc d’inclure les autres acteur·ice·s que tu pourrais t’attendre à également voir sur scène à ce moment dans ta vie.
Considère un réarrangement plutôt qu’une rupture
Est-ce que ça casse ou ça passe — à autre chose ?
Plutôt qu’une grande scène de rupture paradigmatique de teens dramas, tous les partis en jeu risquent de bénéficier, d’une manière ou d’une autre, d’un réarrangement. Si la relation en est une de couple ou de groupe depuis longtemps établie, dans laquelle une grosse portion de la vie quotidienne est partagée matériellement et temporellement, ne serait-il pas bon de diminuer doucement le niveau d’entremêlement pour éviter le chamboulement abrupt des habitudes qui culbute tout le monde en jeu ? Serait-ce une option de faire vos adieux petit à petit en tant que partenaires romantiques ou sexuel·le·s, pour peut-être garder quelque lien d’amitié ?
On le sait, ça n’est pas forcément possible ou souhaitable s’il y a raison de décamper au plus vite d’une situation, par exemple abusive ou manipulatrice. Toujours est-il que les relations ne se terminent pas toutes dans un fracas dramatique dont il faut s’échapper à grande vitesse.
Si tan ou tes partenaire/s et toi réalisez que vous avez des besoins ou des désirs trop différents qui ne sont plus compatibles, pensez à deescalate la situation dans laquelle vous vous trouvez.
Désescalader une relation
Tu sais comment on cherche souvent à diffuser un conflit pour ne pas que ça tourne au pire? Là où ça s’avère possible, cherche à démêler les parties de la relation qui te font encore chaud au cœur et celles qui, décidément, n’ont plus grand sens. Entrevois-tu un futur proche ou lointain dans lequel tan partenaire et toi seriez partenaires d’une autre sorte ? Passeriez-vous d’une relation romantique à une relation platonique, si iel se découvre asexuel·le ? Seriez-vous bon·ne·s amix puisque vous vous connaissez si bien ?
Si tu veux son/leur bonheur et le tien, pourquoi ne pas refuser les stéréotypes du déroulement quand on se fait dump qui dit qu’on doit prendre sa revanche à coups de chantage et de blocage puisqu’on en est blessé·e ? Peux-tu garder dans ta vie cet/ces être/s cher/s, avec qui tu as partagé des moments joyeux, car vous vous complémentez bien dans certains aspects de vos vies et de vos personnalités qui n’auront probablement pas disparu ?
Laisser le temps au cœur de voir ses raisons
Tu auras peut-être — fort probablement — besoin d’un temps de repos avant de reprendre votre proximité telle quelle, afin de prendre soin de tes sentiments durant cette période de transition. Oui oui, ça fait salement mal de se faire laisser ou de casser avec quelqu’un·e qu’on aime. Mais entre l’attitude qui se campe dans ses hurt feelings et celle qui reconnaît sa douleur pour la soigner, il y a un monde de différence (d’intentionnalité). Prends compte de tes limites et exprime-les pour garder la situation saine, et ouvre-toi en temps et lieu aux possibilités de nouveaux types de relations entre ces personnes qui t’ont été et te sont importantes et toi.
As-tu remarqué que les personnes queers sont plus souvent amix avec leurs ex·es ? Ayant déjà fait exploser quelques modèles hétéronormatifs patriarcaux, le saut n’est pas si grand pour faire sauter les attentes sociales du déroulement et des transitions relationnelles. Ce n’est pas pour rien que les réseaux polyamoureux ressemblent souvent à de grandes familles où plusieurs de leurs membres se sont fréquentés auparavant, se chicanent encore parfois, mais se font surtout confiance… 🥰
Pour continuer à se creuser le coco
Kathy Labriola, The Polyamory Breakup Book: Causes, Prevention, and Survival, avant-propos de Dossie Easton et illustrations de Lacey Johnson, Thornapple Press, 2019.
Dossie Easton et Janet W. Hardy, « Chapitre 20 : Hauts et bas d’une relation », La salope éthique : guide pratique pour des relations libres sereines, Éditions Tabou, 2013.
Franklin Veaux et Eve Rickert, “Chapter 22: Relationship Transitions”, More Than Two: A Practical Guide to Ethical Polyamory, Thorntree Press, 2014.
1 Un peu comme si la relation était elle-même « censée » durer jusqu’à ce que la mort nous sépare — ou s’en suive ? Ring any bells ?