T.A. : exemples de violence conjugale et sexuelle.

Depuis environ 5 ans, je travaille sur le terrain avec les populations marginalisées vivant en situation de précarité. J’ai envie de te sensibiliser sur ce sujet important, souvent invisible et silencieux en société.

Pouvoir prendre soin de soi et s’épanouir à travers sa sexualité est un privilège. Avoir la capacité physique, psychologique, financière et émotionnelle de pratiquer une sexualité épanouie, saine et sécuritaire est plus complexe qu’on ne pourrait le croire. 

Je me questionne donc aujourd’hui à propos de comment la précarité peut avoir un impact sur la sexualité d’une personne.

First things first, c’est quoi la précarité ? 

« La précarité est l’absence d’une ou plusieurs des sécurités permettant aux personnes et familles d’assumer leurs responsabilités élémentaires et de jouir de leurs droits fondamentaux. L’insécurité qui en résulte peut être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives. Elle conduit le plus souvent à la grande pauvreté quand elle affecte plusieurs domaines de l’existence, qu’elle tend à se prolonger dans le temps et devient persistante, qu’elle compromet gravement les chances de reconquérir ses droits et de réassurer ses responsabilités par soi-même dans un avenir prévisible. »

Wresinski Joseph. Grande pauvreté et précarité économique et sociale. Paris : Journal officiel, 1987, p. 6. 

La précarité définit donc la « situation sociale d’une personne dont les conditions de vie (revenus, logement, situation familiale…) et d’emploi à venir sont marquées par une forte incertitude. » (Source : Alternatives Économiques)

En raison des divers systèmes d’oppressions en place dans notre société, certains groupes marginalisés sont particulièrement à risque de vivre de la précarité. Ainsi, des facteurs comme l’identité de genre, la race, la situation financière, la couleur de peau, la nationalité, la religion, l’âge, le handicap, la santé mentale, l’orientation sexuelle, l’apparence physique, etc., peuvent se cumuler et s’entrecroiser, donnant lieu à un plus grand impact sur la situation de précarité.

Concrètement, ça peut ressembler à quoi une personne en situation précaire ? Voici quelques exemples :

  • Un parent monoparental qui travaille au salaire minimum
  • Une personne au statut de réfugié qui ne parle ni français ni anglais
  • Une personne queer rejetée par sa famille homophobe
  • Une personne victime d’une rénoviction
  • Une personne en situation de handicap qui vient d’être mise à pied

Voici donc 5 impacts que la précarité peut avoir sur l’intimité et la sexualité d’une personne.

Bonne lecture,

Em.

1. Se retrouver coincé·e dans une situation de violence

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 35% des femmes dans le monde ont subi des violences physiques et/ou sexuelles dans leur vie.

Personne n’est à l’abri de vivre de la violence, mais les femmes sont disproportionnellement touchées par cette problématique, et évidemment, les personnes en situation de précarité peuvent souffrir particulièrement des impacts de celle-ci. 

Dans un contexte conjugal

Dans un contexte de violence conjugale, il n’est pas rare de vivre des violences sexuelles. Ça peut prendre toutes sortes de formes, comme de la coercition, assumer qu’il y ait toujours consentement, imposer une fréquence des relations sexuelles ou des pratiques précises, etc. (On te suggère d’ailleurs l’article de SOS Violence conjugale à ce sujet.)

Dans certaines situations, être dépendant·e d’un·e partenaire (financièrement ou autrement, et ce, par choix ou non) peut mener à être contraint·e de rester avec ellui et de se soumettre pour vivre ou survivre. Par exemple, les femmes en statut de réfugiées ou de conjointes parrainées peuvent être touchées par les violences lors d’un parrainage. Pour te mettre en contexte, selon les informations que l’on retrouve sur le site du Gouvernement du Canada, pour conserver sa résidence permanente, un·e conjoint·e parrainé·e doit vivre avec san parrain·e au Canada pendant trois ans. Ce délai rend une femme dépendante de son mari et la garde dans une relation de pouvoir inégale avec lui, car si elle doit quitter son domicile pour sa propre protection, ou s’il y a un bris du mariage, elle peut ne plus être autorisée à rester. 

Se sortir d’un contexte de violence conjugale est toujours difficile, mais ça peut l’être encore plus lorsqu’on vit en situation de précarité. Des facteurs tels que le manque d’accès à des soutiens comme les services d’hébergement, la peur de perdre sa communauté, vivre de l’isolement, la crainte de subir des représailles ou de perdre ses enfants jouent un rôle crucial chez les personnes qui souhaitent mettre fin à des relations abusives et quitter. Comme l’affirme un guide de ressources de l’Agence de la santé publique du Canada à propos de la violence faite aux femmes : « la pauvreté limite les choix et l’accès aux moyens de [s’en] protéger et [d’y] échapper […]. »

Dans un contexte de travail

52 % des Canadiennes interrogées par l’Institut Angus Reid en 2018 ont déclaré avoir été victimes de harcèlement sexuel au travail au cours de leur vie et 89 % des femmes ont déclaré avoir pris des mesures pour éviter des avances sexuelles non désirées au travail (Kurl & Holliday, 2018). 

Toujours selon le guide de ressources de l’Agence de la santé publique du Canada : « […] la pauvreté ou la peur de la pauvreté garde les femmes emprisonnées dans des situations de violence. »

Par exemple, dans le cas d’une personne en situation précaire, celle-ci pourrait hésiter à se prononcer contre du harcèlement sexuel au travail par peur de perdre son emploi, ou encore « tolérer » un·e propriétaire inapproprié·e par peur de se faire évincer.  

Notre rapport à la sexualité peut être impacté en se traduisant de différentes façons lorsqu’on ne se sent pas en sécurité et que l’on vit dans un état constant d’hypervigilance. Subir des violences sexuelles, peu importe sous quelle forme, que ce soit à la maison, dans la rue ou au travail, amènent beaucoup de répercussions. 

2. Avoir moins accès aux ressources de santé sexuelle

Les barrières d’accès au système public 

Pour réussir à avoir des services et des soins offerts gratuitement par les services publics au Québec, on doit aussi posséder une carte d’assurance maladie. Pour se procurer cette carte, on doit avoir une adresse valide ainsi qu’être en mesure de prouver son identité avec un papier officiel gouvernemental. Ce sont des étapes qui peuvent sembler banales, mais qui sont complexes, voire impossibles à obtenir pour beaucoup de gens. Par exemple, une personne en situation d’itinérance devra faire des démarches avec des ressources d’accompagnement pour obtenir une carte d’assurance maladie. Ce seront de longues démarches et beaucoup d’efforts pour payer les frais pour sa carte d’assurance maladie, prendre la photo, envoyer les documents, créer un lien avec la ressource pour avoir un endroit sécurisé pour recevoir la carte d’assurance maladie par la poste. 

Même principe pour les réfugié·e·s qui n’ont pas la couverture de santé appelée Programme Fédéral de Santé Intérimaire (PFSI) en arrivant au Canada. Selon les informations que l’on retrouve sur leur site internet, Médecins du Monde est la seule organisation au Québec qui opère une clinique gratuite destinée aux personnes migrantes à statut précaire qui n’ont pas accès à l’assurance PFSI.

La proximité des services

Pour se déplacer dans un hôpital, un CLSC ou une clinique, il faut souvent une auto, un taxi ou une ambulance, surtout lorsqu’on demeure loin des services. Chacune de ces options est coûteuse et n’est pas une solution pour tout le monde. Par exemple, selon l’outil créé par le Portail VIH/sida du Québec, pour pouvoir se faire dépister pour les ITSS au secteur public, une personne demeurant à La Malbaie devrait faire 2h de route pour se rendre au site le plus proche. Dans certaines régions, par exemple au Nunavik, c’est même une question de ne pas avoir de services publics du tout. Pour les cas médicaux complexes (mais non urgents), on envoie les patient·e·s en avion à l’hôpital de Kuujjuaq ou Puvirnituq pour qu’ils soient examinés une première fois. On les envoie ensuite le plus souvent en avion à Montréal pour recevoir des soins plus poussés.

Parallèlement, les personnes faisant partie de la diversité sexuelle et de genre peuvent être limitées dans l’exploration de leur sexualité si elles se trouvent dans des endroits où il n’y a pas ou peu de safe space (en région, par exemple). À Montréal et dans les grandes métropoles, on retrouve des organismes, des clubs de discussions, des centres communautaires, des événements, des manifestations et des services sexologiques et psychologiques adaptés aux communautés de la diversité. Plus on s’éloigne de la métropole, plus ça devient rare, et plus s’y rendre peut être coûteux.

Le coût des produits

Il est important de porter un regard sur l’accessibilité financière et les dépenses qui sont liées à la contraception, aux soins d’hygiène et produits favorisant la santé sexuelle ainsi qu’à l’achat de jouets sexuels. Par exemple, un kit de base incluant une boîte de condoms, un lubrifiant et un paquet mensuel de pilules contraceptives (sans accès à une assurance privée) peut coûter au minimum 40$ par mois. Même chose du côté de la prévention des ITSS : tout le monde n’a pas les moyens de les prévenir ou de les traiter. Un traitement préventif contre le VIH (La PrEP) pouvait coûter 95,31$ par mois en 2021, et ce, même en étant couvert par la RAMQ, par exemple. 

Pouvoir faire ses propres choix concernant son plaisir et sa santé sexuelle permet de se réapproprier son corps et sa vie. Éliminer les obstacles financiers et promouvoir des soins gratuits en santé sexuelle favorise non seulement un accès plus équitable, mais permet également aux gens de choisir les méthodes contraceptives et préventives qui leur conviennent le mieux. 

3. Se retrouver isolé·e à cause de la méfiance envers les institutions

Plusieurs personnes en situation de précarité évitent les soins médicaux ou gynécologiques en raison d’une méfiance à l’égard du système de santé et d’expériences de discrimination dans le passé. Des suivis médicaux sont essentiels pour le maintien d’une bonne santé sexuelle, mais sur le terrain, on observe plusieurs raisons qui mènent à cette méfiance institutionnelle (avec raison).

Discrimination et préjugés

Les structures des systèmes de santé et des services sociaux portent des actions et des décisions qui peuvent donner lieu à de la discrimination. Ces comportements discriminatoires peuvent être expliqués de différentes raisons : la difficulté pour le personnel médical à comprendre le patient·e/client·e, par biais cognitif ou par préjugés, etc. Plusieurs personnes en situation précaire refusent d’ailleurs souvent des soins et des traitements même lorsqu’elles sont en danger ou en douleur par peur de vivre et revivre des expériences traumatisantes et humiliantes reçues dans le passé en milieu institutionnel. 

Littératie en santé et barrières linguistiques  

La barrière de la langue entre les soignant·e·s et les patient·e·s et le manque de vulgarisation et d’explications entourant la médecine et les soins empêchent certaines personnes, comme certaines personnes immigrantes ou appartenant à des peuples autochtones, à demander de l’aide. 

4. Être en mode survie

L’impact sur le désir sexuel

Est-ce que ça t’est déjà arrivé d’avoir un imprévu financier dans ton budget ? Une perte de logement ou une perte d’emploi ? Un événement traumatique qui te plonge dans un mode de survie ? Certains événements dans nos vies peuvent envahir notre quotidien 24/7, surtout si ceux-ci s’entrecroisent et nous empêchent de subvenir à nos besoins de base tels que se nourrir, se loger, se sécuriser physiquement et émotionnellement. En situation de détresse, plusieurs facteurs peuvent influencer le désir sexuel, la capacité à avoir des relations sexuelles et même à orgasmer. La sexologue Anne-Claudel Parr a d’ailleurs écrit un article à ce sujet pour expliquer les raisons pour lesquelles le désir varie. 

Les choix qui peuvent en découler

Dans une période de vie dans laquelle on se retrouve en mode d’urgence pour gagner des sous rapidement, il peut arriver qu’on choisisse des solutions que l’on n’aurait pas envisagées dans un contexte moins précaire, comme se tourner vers le travail du sexe. C’est tout à fait légitime. Par contre, ces solutions (temporaires ou non) peuvent parfois amener comme conséquence des blessures, des milieux de travail moins sécuritaires, des conditions de travail difficiles ou même dans certains cas, de l’exploitation sous toutes ses formes.

Précision importante : le travail du sexe ne signifie pas automatiquement être victime d’exploitation. Que l’on soit en situation de précarité ou non, une personne peut faire le choix conscient et consentant de pratiquer le travail du sexe sans devoir se justifier. Le travail du sexe est un travail.

5. Avoir un manque de pouvoir décisionnel sur sa vie

Le manque d’opportunité pour exercer un pouvoir décisionnel sur sa vie a un impact sur la façon de se percevoir et de se montrer aux autres. Lorsqu’on vit dans un contexte précaire, on doit souvent se tourner vers de l’aide et des ressources externes pour répondre à nos besoins. Ces ressources externes ont souvent des règles, des critères et des cadres très précis dans lesquels on ne peut pas faire ses propres choix et on doit prendre ce qui passe. Prendre des décisions rarement pour soi et/ou pour ses proches peut fragiliser le sentiment d’avoir du pouvoir sur sa vie ainsi qu’avoir un impact sur la fierté qui en découle habituellement. C’est épuisant de devoir constamment se justifier, de se faire infantiliser ou de se faire remettre en question par les autres. 

Imagine un couple en situation d’itinérance depuis peu à la suite d’une éviction. Le fait d’être ensemble et d’être intime les sécurise, mais comme la majorité des refuges d’urgence et/ou des ressources d’hébergement refuse les couples et fonctionne de façon assez binaire dans les admissions, nos deux tourtereaux ne peuvent vivre ni leur affection ni leur sexualité dans un contexte intime et/ou sécuritaire.

L’épanouissement sexuel, un privilège

Un enjeu primordial à retenir : la sexualité est une question de justice sociale, qu’on le veuille ou non. Les rapports de pouvoir défavorisant quotidiennement les personnes en situation précaire découlent de la façon dont notre société est construite et fonctionne. Conséquemment, ce n’est pas tout le monde qui a le pouvoir de s’épanouir dans sa sexualité. Je te laisse sur la citation suivante et je t’invite à prendre un moment pour réfléchir à ces dynamiques de pouvoir et à reconnaître tes privilèges en ce qui a trait à ta capacité à explorer ta sexualité. 

“ To understand racism you need to understand power dynamics. 

To understand sexism you need to understand power dynamics.

 To understand poverty and precarity you need to understand power dynamics.

 To understand power dynamics you need to listen to and believe the stories of the powerless.’’

Tsitsi Dangarembga
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À propos de Émilie Potvin

Rédactrice pigiste | Pronoms : elle/la | Vivante, aimante, hypersensible, intense, dodue et late in life queer. Maman d’un mini-cochon nommé Roberto. Étudiante à temps très partiel en études féministes à l’UQAM. Je travaille dans le milieu communautaire et je vous jaserai ici de sexu dans mes temps libres. Amoureuse des réflexions et de l’humain dans son aspect le plus brut. J’ai décidé de me rechoisir et de me revisiter depuis quelques années. Je vous invite dans un univers où l’on revisite nos croyances, nos valeurs, nos tabous, nos habitudes. J’apprends à naviguer dans une vie nuancée. J’ai hâte de venir à ta rencontre à travers mes textes. Solidairement, Émilie.

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