TW/CW: mention de stéréotypes et préjugés âgistes, d’enjeux systémiques d’oppression des adultes âgé·e·s et de brève mention de violence à leur égard.

Le terme adulte âgé·e·s est proposé ici afin de mettre l’accent sur le statut d’« adulte », plus souvent associé à l’agentivité. Il s'agit aussi de souligner le caractère continu et évolutif de l’âge adulte ainsi que l’aspect arbitraire et subjectif de la notion de vieillesse.

Alors qu’il est vrai que le processus naturel de maturation sexuelle, impliquant bien des changements hormonaux, peut contribuer à ralentir le désir sexuel, il serait faux de croire que la sexualité s’arrête nécessairement à 70 ans. Plusieurs adultes âgées continuent d’avoir un désir sexuel vigoureux et une sexualité active jusqu’à la fin de leurs jours. Et c’est important qu’on en parle.

Qu’est-ce que l’âgisme ?

Tout comme le racisme, le sexisme, le cissexisme, l’hétérosexisme ou le capacitisme, l’âgisme est un système d’oppression qui produit des injustices systémiques pour les adultes âgé·e·s, tout en se nourrissant de stéréotypes véhiculés socialement, puis intégrés par les individus sous forme de préjugés. 

L’âgisme systémique (ou institutionnel) est particulièrement visible au Québec. Quand on y pense, personne n’a jamais rêvé de terminer ses jours dans un « centre pour personnes âgées » de l’État, où les conditions de vie ont la réputation d’être déplorables (comme on peut le constater ici, ici ou ici, par exemple). 

Au niveau social ou individuel, l’âgisme se fait aussi ressentir. Après tout, qui apprécie se faire crier dessus « ÇA VA, MONSIEUR DESPRÉS !? » parce que l’interlocuteur suppose qu’on est sourd en raison de la présence de cheveux grisonnants ?

L’âgisme est pernicieux et souvent invisible, mais il a des conséquences bien tangibles sur les adultes âgé·e·s, mais aussi sur les individus de tous les âges, et ce dans toutes sortes de sphères de la vie, incluant évidemment la sexualité. 

Pour comprendre comment l’âgisme (en tant que système d’oppression) peut avoir un impact sur la sexualité des individus, on te propose d’explorer les stéréotypes âgistes et leurs potentielles conséquences sur la sexualité des adultes âgé·e·s.

La dévalorisation des corps vieillissants 

Dans la société occidentale, la beauté a toujours été associée à la jeunesse. 

Avoir une peau lisse, des lèvres bien garnies, des seins ou des pectoraux fermes, des cheveux brillants… les standards de beauté sont intimement liés au début de l’âge adulte, tandis que les rides, les vergetures et la cellulite sont relayés au camp des caractéristiques indésirables.

Aujourd’hui, ce culte de la jeunesse semble être visible plus que jamais et semble atteindre son apogée, frôlant même l’obsession chez les jeunes adultes.

La phobie de vieillir ou d’avoir des signes de vieillissement chez les gen z

La peur de vieillir, ou plutôt, de manifester des signes de maturation, est devenue une préoccupation précoce, touchant des personnes de plus en plus jeunes au sein de la génération Z, voire même de la génération alpha. 

À travers de hashtags comme #antiagingtips #beautyhacks #skinhack #wrinkleprevention #faceyoga ou des multiples trends de skin care routine sur Tiktok, des millions de jeunes adultes voire d’adolescent·e·s (!!!) s’offrent des conseils pour atténuer, ralentir ou éliminer tout signe de vieillissement, réel ou imaginé.

Cette aversion envers les manifestations normales du processus de maturation, se traduisant par une obsession de ne pas « avoir l’air vieux ou vieille », constitue une forme indéniable d'âgisme.

Impact sur l’estime de soi et sur l’image corporelle

En plus de ses conséquences néfastes sur les jeunes adultes et les adultes d’âge moyen, l’âgisme peut avoir un impact important sur la manière dont les adultes âgé·e·s se perçoivent, sur leur image corporelle et leur sexualité.

Il n’est pas rare pour un·e adulte âgé·e de ressentir un décalage significatif entre son âge ressenti et la manière dont la société le·a perçoit. Malgré leur impression d’être jeune et énergique, la société insiste pour leur accoler l’étiquette de « vieux/vieille », souvent dotée d’une connotation péjorative en Occident.

Quand nos caractéristiques physiques sont considérées comme indésirables par la société, il peut être particulièrement difficile de se sentir désirable ou de trouver son corps attrayant. Et lorsque notre image corporelle et notre estime de soi sont effritées, il peut être difficile d’être assertif·ve ou de s’affirmer sexuellement.

C’est d’autant plus vrai pour les femmes ou les personnes socialisées au féminin qui, très tôt, ont assimilé que leur valeur était étroitement associée à leur beauté perçue (aka à leur jeunesse). Une fois internalisée, cette croyance peut entraîner l’idée qu’il est nécessaire d’être continuellement « désirable » pour mériter une sexualité épanouissante. 

Pourtant, la sexualité ne devrait pas être réservée à un physique conforme aux normes de beauté éphémères et arbitraires.

Le déni ou la diabolisation de la sexualité des adultes âgées

T’est-il déjà arrivé d’être témoin de réactions de dégoût à la simple évocation de la sexualité d’adulte âgé·e·s ? Ou encore, d’entendre une remarque méprisante à cet égard ? Peut-être as-tu eu toi-même ce genre de réaction ? Ces propos découlent de la croyance âgiste voulant qu’à partir d’un certain âge, il ne soit pas approprié d’avoir une sexualité (ou que si elle existe, elle soit perçue comme dégoûtante).

Que ce soit dans la vie quotidienne, dans les médias ou à la télévision, « la sexualité du sujet âgé est souvent niée, tournée en dérision, taboue, voire obscène » (Hanon, 2011). Elle est soit invisibilisée, soit ridiculisée, et rarement validée, discutée et normalisée.

Cette invisibilité découle historiquement de notre passé catholique, où la sexualité était fortement associée à la procréation. À quoi bon avoir une vie sexuelle active au-delà de la période de fertilité si la quête de plaisir ne fait pas partie de l’équation ?

Heureusement, de nos jours, le plaisir est davantage mis de l’avant dans les discours sur la sexualité. Cependant, déconstruire l’idée que la sexualité devrait préférablement se limiter à la procréation est un processus plus long qu’on pourrait l’imaginer. Surtout lorsqu’il est question d’adultes ayant depuis longtemps dépassé leur fenêtre de fertilité.

Pourtant, selon le National Council on the Aging, environ 51% de femmes et 71% d’hommes de la soixantaine déclarent avoir au moins une activité sexuelle par mois. Chez les octogénaires, 58% des femmes et 50% des hommes rapportent être sexuellement actif·ve·s !

La sexualité des adultes âgé·e·s, un tabou

La sexualité des adultes âgé·e·s, c’est comme Voldemort; « il ne faut pas en parler ».

L’idée que leur sexualité est inexistante découle, entre autres, de stéréotypes âgistes selon lesquels, les adultes âgé·e·s…

  • Ne s’intéresseraient pas à la sexualité
  • N’auraient pas la capacité d’en avoir
  • Devraient éviter d’avoir des relations sexuelles, car cela pourrait être dangereux ou même fatal étant donné leur condition physique
  • Devraient être restreint·e·s d’avoir des rapports sexuels pour leur bien
  • N’ont pas besoin d’éducation sexuelle ou d’informations concernant la sexualité.

De plus, « les stéréotypes culturels veulent qu’avec l’âge, et la ménopause pour les femmes, les pulsions sexuelles disparaissent laissant place à une sexualité fantasmée, affective, sublimée et parfois même inexistante. » (Hanon, 2011).

La sexualité des adultes âgé·e·s, négligée par la médecine

Les professionnels de la santé (tout comme le personnel dans les centres d’hébergement d’adultes âgé·e·s, par exemple) ne sont pas à l’abri des stéréotypes âgistes qui persistent dans notre société, engendrant des préjugés dommageables.

Résultat: nombreux·ses sont celleux qui évitent d’aborder le sujet avec les personnes âgées, présumant implicitement qu’elles n’ont pas de vie sexuelle. Cette omission décourage non seulement les adultes âgé·e·s de parler ouvertement du sujet, notamment pour discuter de questions liées à la santé ou à la fonction sexuelle, mais elle pose également des problèmes au niveau de la prévention.

À titre d’exemple alarmant, aux États-Unis, les personnes sexuellement actives de 65 ans et plus représentent 17% des nouveaux diagnostics de VIH (Oraka, Mason et Xia, 2018). Une éducation sexuelle dépourvue de biais âgistes aurait peut-être permis d’éviter une partie de ces diagnostics.

Cette négligence de la sexualité des adultes âgé·e·s par le domaine médical souligne l’urgence de remédier aux stéréotypes âgistes afin d’assurer des pratiques de santé plus inclusives et préventives.

Difficulté de se percevoir comme un être sexuel

« Je suis trop vieille pour ces affaires-là. » 

« J’ai passé l’âge d’avoir une vie sexuelle. »

Il n’est pas rare d’entendre ce type de discours chez un·e adulte âgé·e. Mais cela provient-il d’un réel désintérêt de la sexualité ou d’un manque de désir de s’engager dans des rapports sexuels ? Ou serait-ce plutôt par croyance de ne pas mériter une vie sexuelle épanouie à un âge considéré comme avancé par la société ? Ou encore, par peur d’être ridiculisé·e ou de provoquer le dégoût ou l’inconfort chez les autres ?

Il n’est pas rare que les adultes âgé·e·s intériorisent les stéréotypes âgistes par rapport à leur sexualité sous forme de croyances erronées ou de prophéties autoréalisatrices. Malheureusement, cela peut entraîner une honte, une culpabilité ou un dégoût par rapport à leur désir sexuel ressenti (qu’iels peuvent inconsciemment réprimer ou ignorer), tout en les décourageant de parler ouvertement de leur sexualité ou d’aller chercher l’aide lorsque nécessaire.

Vision réductrice et normative de la sexualité des adultes âgé·e·s

« Ahhhhhh qu’il est mignon, le papi ! »

« Regarde le couple de vieux, ils dégagent tellement de sagesse et d’amour. »

Souvent, les réactions face aux adultes âgé·e·s sont teintées de connotations infantilisantes, les réduisant à une image presque enfantine, comme s’il s’agissait de bébés dans un berceau ou d’un chiot dans son panier !

Pourtant, les adultes âgé·e·s ne sont pas simplement « mignons ». On pense réagir avec bienveillance quand on voit, par exemple, un couple d’adultes âgé·e·s se tenir la main. 

On peut avoir le réflexe de faire des présomptions sur leur relation, les imaginant dans un schéma hétérosexuel classique, vivant une histoire d’amour romantique depuis la Deuxième Guerre mondiale. En mode « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». 🙄

Ces préjugés vont jusqu’à projeter une vision normative et stéréotypée de leur sexualité, souvent réduite à une expression « vanille », teintée de tendresse et d’affection, voire d’une absence complète de sexualité génitale. Ces clichés, loin de refléter la diversité des expériences, reposent sur des suppositions peu fondées.

Les adultes âgé·e·s, privé·e·s de leur agentivité ou individualité

Il est crucial de reconnaître que derrière les apparences se cachent des dynamiques et des histoires uniques que nous ne pouvons pas présumer.

Par exemple, l’âgisme peut contribuer à invisibiliser les problématiques de violence conjugale ou de violence sexuelle auxquelles les adultes âgé·e·s peuvent être confronté·e·s. Pour celleux confiné·e·s dans un cycle de violence, cela peut les empêcher de se percevoir comme victime, ou encore de briser le silence en dénonçant. 

Les adultes âgé·e·s marginalisé·e·s, invisibilisé·e·s 

Même si, pour plusieurs adultes âgé·e·s, la sexualité peut prendre un rythme plus lent avec l’âge, prétendre que leur vie sexuelle se résume à une sexualité hétéro, vanille, et à des gestes non génitaux emprunt de tendresse, de douceur, de câlins, et d’affection est réducteur et normatif.

Cette vision normative et stéréotypée peut empêcher les adultes âgé·e·s ayant des pratiques BDSM ou faisant partie de la communauté 2SLGBTQ+ de sentir qu’iels existent, qu’iels sont valides et qu’iels ont le droit de vivre leur sexualité d’une manière qui leur ait authentique.

Se réapproprier sa sexualité à l’âge adulte avancé

En dépit des stéréotypes âgistes qui entourent la sexualité des adultes âgé·e·s, il est possible de se la réapproprier à un âge avancé si l’envie d’être actif·ve sexuellement est toujours présente.

N’oublions pas que notre vision négative ou stéréotypée de la sexualité des adultes âgé·e·s est propre à notre culture. Dans de nombreuses sociétés à travers le monde (comme les Pays-Bas, reconnus pour leur attitude et approche plus progressive de la sexualité à l’âge adulte avancé), la sexualité des adultes âgé·e·s est célébrée de manière positive. Ainsi, les études transculturelles offrent une perspective inspirante, montrant que la sexualité à tout âge peut être vue comme une composante naturelle et épanouissante de la vie. 

Demeurer actif·ve sexuellement à un âge « avancé » peut représenter une opportunité précieuse de vivre une sexualité décomplexée, libérée, loin du stress de tomber enceint·e ou de la pression de performance engendrée par les standards de beauté imposés. Cette réappropriation de sa sexualité est aussi une déclaration d’indépendance contre les stéréotypes culturels, une sorte de rébellion contre les diktats de la société. 

En sommes, on a touste intérêt à déconstruire l’âgisme lié à la sexualité des adultes âgé·e·s puisqu’on mérite touste de vieillir en paix et d’avoir une sexualité épanouie. 

En encourageant la conscience, la déconstruction des stéréotypes et la célébration de la sexualité à tout âge, on contribue à créer une société plus inclusive et émancipatrice pour toutes les générations. 🌈

Anne-Claudel Parr

À propos de Anne-Claudel Parr

Sexologue, Rédactrice | Pronoms: elle/la | Passionnée de plage, de voyage et de salsa, j’ai étudié en science politique, en psychologie, fait un certificat en psychoéducation et en espagnol avant d’atterrir en sexologie et de trouver ma voie (ben oui, c’est long se trouver parfois) ! Féministe intersectionnelle de cœur et de raison et membre de la communauté LGBTQIAP2S+, je pose un regard assez scientifique et théorique sur la sexualité, mais en essayant d’être moins plate que ton prof de socio au cégep. J’espère pouvoir élargir ta conception de la sexualité, dire ce qui n’est pas dit et jaser de l’éléphant rose. Ensemble, on va faire la deuxième Révolution sexuelle ! Embarques-tu ?

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