Savais-tu qu’une grande proportion des personnes qui travaillent dans l’industrie du sexe est en couple ? Un dilemme peut alors survenir : dévoiler ce travail à san partenaire ou ne pas le faire. Démystifions ensemble les droits des travailleur·se·s du sexe, les défis et les astuces liés au dévoilement et les avantages qui peuvent en découler. 

Droits et travail du sexe

D’abord et avant tout, résumons la situation législative du travail du sexe au Canada. Le projet de loi C-36, nommé loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation, a été adopté en octobre 2014 (Cour suprême du Canada, 2014). Cette loi criminalise l’achat de services sexuels, le proxénétisme et la publicité, mais offre une immunité aux travailleur·se·s du sexe. 

C’est un peu comme si je te disais qu’être psychologue était légal, mais que les client·e·s qui payaient pour des services de psychothérapie étaient passibles d’une peine d’emprisonnement de 18 mois à 5 ans et d’amendes de 500$ à 4 000$. On s’entend que ça créerait un préjudice en rendant ce travail plus dangereux, right ? Eh bien, c’est exactement ce que reconnaît le Comité permanent de la justice et des droits de la personne (2022) dans son examen de la loi C-36 concernant le travail du sexe. 

En effet, la criminalisation de la clientèle augmente la stigmatisation, la discrimination, l’isolement et la vulnérabilité des travailleur·se·s du sexe. De nombreux organismes et regroupements luttent d’ailleurs pour promouvoir la décriminalisation du travail du sexe au Canada et à l’international (par exemple, l’organisme Stella et l’Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe).

La production et la distribution de pornographie sont quant à elles déjà légales au Canada (Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique, 2021). Cependant, peu importe le statut juridique en place, tout travail du sexe reste encore aujourd’hui très stigmatisé. C’est donc bien normal que ça puisse être difficile d’en parler à un·e partenaire.

Le dilemme du dévoilement du travail du sexe

Dissimuler pour se protéger

Plusieurs raisons expliquent qu’il peut être difficile d’informer san partenaire qu’on travaille dans l’industrie du sexe. Des entrevues ont été réalisées auprès de 218 travailleur·se·s du sexe représentatif·ve·s de la population canadienne, dont 54 habitaient Montréal (Jansson et al., 2022). Selon elleux, la divulgation de leur travail peut avoir des impacts négatifs sur leurs relations intimes.

Éviter la violence

Certain·e·s craignent et d’autres ont vécu des réactions de jalousie, de colère, de stigmatisation ou de violence de la part de partenaires, y compris des manques de respect, des injures, de l’exploitation financière, des menaces de mort et de la violence physique. 

Éviter de chambouler sa vie

Les travailleur·se·s du sexe interrogé·e·s rapportent aussi des pressions exercées pour qu’iels quittent leurs activités professionnelles et des ruptures de relation dues à cette divulgation. En effet, leurs partenaires intimes peuvent avoir du mal à comprendre le travail du sexe et les raisons pour lesquelles iels choisissent de travailler dans cette industrie. Certain·e·s partenaires peuvent également considérer que les relations sexuelles vécues au travail représentent une infidélité ou avoir des inquiétudes par rapport à la violence interpersonnelle que pourrait vivre leur partenaire au travail. 

Face à ces conséquences possibles, choisir de cacher le fait qu’on travaille dans cette industrie devient un moyen de protection contre les étiquettes désobligeantes et stéréotypées et les comportements violents qui peuvent parfois suivre le dévoilement — on comprend ça ! 

Les avantages d’en parler

Le dévoilement du travail du sexe à san partenaire peut être difficile, mais il peut également être bénéfique pour soi et pour sa relation. Pendant quelques instants, imagine-toi dissimuler ton emploi à tan partenaire. Quand je fais cet exercice, je m’imagine être complètement épuisée et très anxieuse que mon partenaire découvre cette information d’une autre source que moi-même. 

Être libre d’être soi

En plus de la fatigue et de l’anxiété, les travailleur·se·s du sexe ont nommé des sentiments d’inauthenticité et de culpabilité, ainsi qu’une impression de vivre une double vie (Jansson et al., 2022). Il serait alors possible de ressentir le besoin ou le désir d’être honnête avec san partenaire. 

Améliorer sa relation

Révéler son travail est effectivement une possibilité intéressante lorsqu’on sait que cela peut permettre une amélioration de l’intimité et de la vie sexuelle dans le couple, ainsi qu’une meilleure estime et confiance en soi pour certain·e·s travailleur·se·s du sexe (Jansson et al., 2022). D’autres avantages rapportés étaient l’amélioration de la communication dans la relation, ainsi qu’une acceptation et une compréhension complète de l’autre. 

Avoir du soutien

En parler peut également offrir un soutien important de la part du ou de la partenaire, et ce sur le plan émotionnel ainsi que sur le plan pratique de la sécurité et des limites dans le travail. Alex, une sugar baby, nous en parlait d’ailleurs dans cette entrevue qu’elle nous a accordée. 

Être en contrôle de son histoire

Révéler soi-même son travail à l’autre permet aussi une reprise de pouvoir sur le narratif, évitant que san partenaire soit mal informé·e. Bref, la divulgation du travail du sexe peut également offrir des avantages significatifs pour le bien-être de soi et de sa relation.

Comment dire à une personne qu’on travaille dans l’industrie du sexe ? 

Une décision propre à chacun·e

D’abord et avant tout, sache qu’il n’y a pas de manière universelle de procéder. Chaque personne a le droit de choisir si elle souhaite ou non révéler son travail à san partenaire. Je t’invite donc à prendre la décision qui convient le mieux à tes désirs et tes besoins et à te respecter dans ce choix. Tu peux peser les coûts et les avantages de la divulgation. Plusieurs facteurs peuvent être considérés, tels que la nature de ta relation, ta situation personnelle et professionnelle et celle de tan partenaire et le contexte culturel dans lequel tu vis. L’essentiel est de tenir compte de ton bien-être et de ta sécurité. 

Définir tes intentions et tes limites

Si tu décides de dévoiler cette information à tan partenaire, une petite préparation peut être utile. En effet, pour arriver à communiquer clairement une information, il est aidant de bien connaître tes intentions (Boisvert et Beaudry, 2012). Qu’est-ce que tu penses, ressens et veux de cette discussion à venir ? Quelles sont tes limites ? Par exemple, est-ce important pour toi de ne rien changer à ton travail ou est-ce possible pour toi de faire des compromis avec tan partenaire selon ses limites ? Encore une fois, il n’y a pas une seule bonne réponse.

La bonne réponse est celle avec laquelle tu te sens le plus à l’aise !

Te préparer aux réactions

Tout être humain est unique et réagira de manière différente face au dévoilement du travail du sexe. Le dévoilement peut donc provoquer des réactions émotionnelles positives ou négatives chez tan partenaire ou même un méli-mélo d’émotions. Communiquer demande de connaître tes propres intentions, mais aussi d’être en mesure de tenir compte de ce que la personne en face de toi pense, ressent et veut à la suite des informations que tu lui donnes (Boisvert et Beaudry, 2012).

Bref, s’affirmer, ça donne l’opportunité à l’autre de s’adapter ou non à ta vérité. Peu importe la réaction, rappelle-toi que ton choix d’être travailleur·se du sexe est tout à fait valide et ne te rend pas moins digne de respect.

Communiquer de manière non violente

Quelques éléments favorisent la communication non-violente (Rosenberg, 2015). D’abord, tu peux t’assurer que c’est un moment approprié pour te faire entendre et entendre l’autre. Êtes-vous dans un lieu adéquat, avez-vous du temps devant vous et êtes-vous dans un état affectif propice aux confidences ? Tu pourrais par exemple dire : « J’aimerais discuter de mon travail avec toi. Est-ce un bon moment pour en parler calmement ? »

Ensuite, tu peux parler clairement de ton travail et des faits qui y sont liés. Par exemple, « Je suis travailleur·se du sexe. Cela implique x, y, z dans mon quotidien. »

Tu peux également parler de tes sentiments et les lier à tes besoins ou tes valeurs. Par exemple : « Ce travail me satisfait et me rend heureux·se actuellement, parce que j’aime faire plaisir aux gens et j’aime avoir une flexibilité d’horaire dans mon travail. »

Finalement, tu peux formuler une demande concrète et négociable à tan partenaire. Par exemple : « Serais-tu d’accord pour qu’on en discute plus en détail pour que je connaisse tes limites et que je sache les dispositions qui te rendraient plus à l’aise ? »

Alors, dévoiler ou ne pas dévoiler ?

Si tu es travailleur·se du sexe, sache que tu es la seule personne à savoir si tu veux ou non dévoiler cette partie de ta vie. Ta décision est valide dans tous les cas. Je te laisse plus bas quelques ressources si tu ressens le besoin d’être accompagné·e, d’avoir du soutien ou de rencontrer d’autres travailleur·se·s du sexe.

Si tu n’es pas travailleur·se du sexe, travaillons ensemble à démystifier ce travail et à diminuer la stigmatisation et la discrimination que ces personnes vivent, t’en penses quoi ? Tu peux t’éduquer et te sensibiliser davantage sur le sujet, reprendre ton ami·e quand iel utilise des mots blessants et stéréotypés ou même t’impliquer dans la lutte pour la décriminalisation du travail du sexe au Canada. À nous de jouer !

Ressources pour les travailleur·se·s du sexe

À Montréal

  • Stella est un organisme communautaire par et pour les travailleuses du sexe visant à améliorer leur qualité de vie et à sensibiliser la société aux réalités de leur travail. Deux bulletins d’informations y sont disponibles (un bulletin mensuel pour les travailleuses du sexe incluant entre autres la liste de mauvais clients et d’agresseurs et un bulletin trimestriel portant sur la défense des droits des travailleuses du sexe). Stella offre également une ligne d’écoute, une clinique médicale et divers événements.
  • Le programme Travail du sexe de RÉZO offre notamment un centre de soir, du travail de rue et de proximité et des services d’information, de soutien, d’écoute, de référence et d’accompagnement. Les intervenant·e·s du programme facilitent également l’accès à certains services de santé tels que le dépistage des ITSS ou la vaccination contre les hépatites A et B.
  • Le Piamp a pour mandat d’écouter, de soutenir et d’accompagner toute personne âgée de 12 à 25 ans qui échange des services sexuels contre une rémunération. Le Piamp offre un local des jeunes, une banque alimentaire, plusieurs activités et divers guides et outils. L’organisme offre également des services aux familles et aux professionnel·le·s qui côtoient des personnes qui échangent ou sont susceptibles d’échanger des services sexuels contre toute forme de rémunération. 

À Laval

  • Le projet Venus de Sphère offre du soutien confidentiel et sans jugement pour les travailleuses du sexe et leurs proches. Les intervenant·e·s se déplacent dans différents milieux pour offrir de l’écoute, de l’accompagnement, des informations et du matériel de protection et de consommation stérile. Le local Vénus offre également un espace de répit pour les femmes en situation précaire.

En Montérégie

Le programme pour les femmes travailleuses du sexe d’Émissaire vise à améliorer la santé globale des travailleuses du sexe pour les aider à vivre et travailler en santé, en sécurité et avec dignité. Des services d’accompagnement sont offerts et des cliniques de vaccination et de dépistage des ITSS sont organisées dans les milieux de travail.


Références

Boisvert, J.-M., & Beaudry, M. (2012). S’affirmer et communiquer. Éditions de l’Homme.

Comité permanent de la justice et des droits de la personne (2022, juin). La prévention des risques dans l’industrie canadienne du sexe : Examen de la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation. Chambre des Communes Canada. https://www.ourcommons.ca/Content/Committee/441/JUST/Reports/RP11891316/justrp04/justrp04-f.pdf

Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique (2021, juin). Assurer la protection de la vie privée et de la réputation sur les plateformes comme Pornhub. Chambre des Communes Canada. https://www.noscommunes.ca/Content/Committee/432/ETHI/Reports/RP11148202/ethirp03/ethirp03-f.pdf  

Cour suprême du Canada (2014, 6 novembre). Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation. Site web de la législation (Justice). https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/loisAnnuelles/2014_25/page-1.html 

Jansson, M., Smith, M., Benoit, C., Magnuson, D., & Healey, P. (2022). Challenges and Benefits of Disclosure of Sex Work to Intimate Partners. The Journal of Sex Research. https://doi.org/10.1080/00224499.2022.2092587

Rosenberg, M. B. (2015). Nonviolent communication: A language of life (3rd edition). PuddleDancer Press.

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À propos de Daphné Blain

Rédactrice pigiste | Pronoms : elle/la | « Ils vécurent enfants et firent beaucoup d’heureux. » En d’autres mots, tu peux me croiser sur une piste de danse, dans un parc (direct couchée dans le gazon ou dans les jeux d’eau) ou en voyage quelque part dans le monde ! Doctorante en psychologie, j’espère vulgariser et rendre intéressants des sujets parfois complexes en lien avec la santé mentale et la sexualité positive. Bref, future psy et féministe, j’aime regarder la vie à travers des lunettes rose bonbon ! 

Une réflexion sur “Travail du sexe et relations intimes : les défis du dévoilement à un·e partenaire

  1. josdiotte31 dit :

    🧐

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