Ce ne sont pas toutes les femmes qui ont des menstruations, et ce ne sont pas toutes les personnes menstruées qui sont des femmes. 

Je te dévoile déjà le punch de cet article : toute personne ayant un utérus peut être menstruée.

Les menstruations sont entourées de tabous qui font en sorte que, bien souvent, on n’ose pas en parler librement. Si elles peuvent être une source de malaise ou de honte chez les femmes cis, les expériences de toutes les autres personnes menstruées sont bien souvent invisibilisées et donc, d’autant plus lourdes de silence.  

Je te propose d’explorer le sujet pour reconnaître et prendre conscience de la pluralité d’expériences menstruelles et ainsi — je l’espère — adopter un discours sociétal plus inclusif.  

J’écris cet article de la perspective d’une femme cis, dans le but de diversifier le narratif et de créer une solidarité bienveillante. Pour ce faire, j’ai interviewé trois personnes qui se définissent hors de la cisnormativité : Ceth (iel/they), Juls (iel/they) et Ari (they/elle). Sens-toi libre de partager ta propre expérience en commentaire !     

Les personnes trans, non-binaires et genderfluid laissées aux oubliettes     

Vagin = femme = menstruations (aka un discours fortement limité) 

Les menstruations font partie de la vie de nombreuses personnes à qui on a attribué le sexe féminin à la naissance (mais pas toutes). On estime que 800 millions de personnes ont leurs menstruations chaque jour dans le monde : des femmes cis, des hommes trans, des personnes non binaires, et des personnes genderfluid.   

Pourtant, ce qu’on nous enseigne à l’école ainsi que la vision sociale ancrée dans des décennies de patriarcat restreignent considérablement la manière dont on perçoit les menstruations. Notre compréhension se limite à un saignement mensuel et à son fonctionnement purement biologique : si tu nais avec un vagin, tu es forcément une femme et tu auras des menstruations durant près de 40 ans de ta vie. Voilà, c’est sans équivoque. 

Pendant ce temps, la panoplie de ressentis, de vécus, de craintes, de questionnements identitaires liés aux menstruations est balayée du revers de la main. 

Bref, on dépeint les menstruations comme un « problème de femmes », comme si l’expérience était toujours la même alors qu’en fait, elle peut prendre 1001 couleurs et textures (tout comme le sang menstruel ! Bin, pas toutes les couleurs — si ton sang est bleu, je te conseille de consulter un·e médecin, les pubs avec du sang couleur Slush Puppie sont un mensonge ! Mais tu comprends ce que je veux dire #FiftyShadesOfRedAndBrown).

Tu es toujours avec moi ? Tu peux avoir un utérus et saigner chaque mois, mais ne pas t’identifier en tant que femme. Tu peux tout autant t’identifier en tant que femme (ou toutes autres identités de genre), mais ne pas avoir d’utérus et donc ne pas être menstrué·e. Tu peux aussi avoir un utérus, mais ne pas saigner, ce qui est le cas de certaines personnes intersexes ou certaines personnes qui souffrent d’aménorrhée. 

Le branding menstruel à l’eau de rose 

Naviguer cet océan (de sang) chaque mois alors que les informations accessibles, le marketing, les emballages, les produits et les discussions entourant les menstruations sont exclusivement destinés aux « femmes » peut faire en sorte que les personnes qui ne correspondent pas à la définition sociale des femmes se sentent isolées, marginalisées et stigmatisées.

Emballages ornementés de petites fleurs, rose bonbon à profusion, produits parfumés, images de femmes sur des chevaux ou en petit habit de tennis… Il suffit de se promener dans l’allée des produits menstruels pour se rendre compte que le branding menstruel est encore très genré. C’est ce que Ceth (iel/they) dénonce, en réclamant un marketing plus « mellow ». Iel propose un message solidaire basé sur le fait qu’on vit toustes la même chose chaque mois, au lieu de miser sur le genre ; « we’re shedding our organs, that’s all! »   

C’est aussi l’avis de Juls (iel/they), qui opte maintenant pour des produits menstruels réutilisables pour ne pas avoir à être confronté·e au branding genré mensuellement (tout en gagnant sur son confort et le bien-être de la planète, une pierre trois coups (ou plutôt, une culotte trois victoires !)).  

On peut se conforter en regardant les entreprises de produits menstruels LGBTQ+ friendly émerger, qui design entre autres des boxers de règles ou autres produits non-genrés. On se souvient aussi d’Always qui a supprimé le symbole féminin de ses produits en 2020. Ouf, il y a de l’espoir même chez les grosses entreprises ! 

Le cycle menstruel : entre empowerment et dysphorie de genre 

Quand je parle de menstruations avec mon entourage (c’est mon sujet préféré donc pas mal tout le temps), je me rends compte que pour plusieurs de mes amies cis, il s’agit d’un symbole de féminité qui les rend fières d’être des femmes. La ménarche (les premières menstruations) est socialement dépeinte comme étant le passage d’une jeune fille dans l’univers des femmes. Et c’est profondément beau. 

Pour moi aussi, d’ailleurs, mon sang est un blessing que j’accueille avec amour et bienveillance à chaque cycle. Il me rappelle de ralentir, de prendre soin. Il me rappelle ma nature cyclique, et l’importance de respecter mon rythme intérieur sans m’obliger à être hyperproductive de manière égale tout au long du mois. 

☝️Détrompe-toi : l’intention de cet article n’est pas de dissocier menstruations et féminité ni d’invalider la dimension sacrée qu’on peut y rattacher. C’est plutôt de souligner et valider les autres vécus liés au cycle menstruel. 

Pour certaines personnes non binaires, homme trans ou personnes genderfluid, leurs menstruations peuvent déclencher une forme de dysphorie de genre. Imagine que, chaque mois, quand tu saignes, tu te sens comme si ton corps te trahissait. Un peu comme si ton corps et ta tête t’envoyaient des messages contradictoires et que tu devais tant bien que mal les réconcilier. Épuisant, non ? 

Pour Juls, cette période du mois est souvent une source de dysphorie, et iel « préférerai[t] ne jamais les vivre ». Pour Ceth, les douleurs physiques surpassent souvent les douleurs émotionnelles, alors iel concentre ses énergies à dealer avec les crampes et la fatigue.  

Le cycle menstruel peut être empowering pour certaines personnes, éprouvant pour d’autres, ou tout simplement neutre. Toutes les expériences sont valides. Je crois profondément que chaque personne doit pouvoir vivre ses menstruations de manière saine, en harmonie avec son corps et sa tête. Ce n’est pas un luxe, c’est un droit. ✊

Les conséquences d’un narratif axé sur la « féminité »

La précarité menstruelle chez les personnes hors de la conformité de genre

Lorsque les problèmes de santé sont sexospécifiques, les personnes issues de la diversité de genre peuvent avoir plus de difficulté à accéder aux informations et aux ressources nécessaires pour gérer leur santé menstruelle. C’est pourquoi les personnes trans et non binaires sont touchées de manière disproportionnée par la précarité menstruelle

La précarité menstruelle signifie le manque d’accès aux produits menstruels et aux espaces adéquats (comme des toilettes non genrées, peut-être ?) pour vivre un cycle dans la dignité. Inutile de dire que ce manque peut affecter les routines quotidiennes comme aller à l’école ou au travail, et toutes autres activités essentielles à l’épanouissement personnel. 

Par exemple, pour Ari (they/elle), même si les premières heures de ses menstruations sont vraiment douloureuses, elle se sent souvent découragé·e d’investiguer les médecines alternatives « parce que ces endroits sont encore tellement orientés pour les femmes et encore plus dans les cercles spirituels (féminin sacré kind of vibe) ». Elle se sent donc contraint·e à endurer ses douleurs. 

À tous nos trans babies, sachez que la World Professional Association for Transgender Health (WPATH) propose une liste de prestataires de soins de santé recommandés partout dans le monde. Avoir des soins de santé adaptés à nos besoins, c’est essentiel. 

Le sentiment de ne pas être « woman enough » 

Le fait d’ancrer les menstruations dans l’idée de féminité peut aussi être blessant pour les personnes qui s’identifient comme des femmes, mais qui n’ont pas de menstruations. 

Ça peut être le cas de certaines femmes cis qui vivent une absence de menstruations — une condition que l’on nomme aménorrhée. Ça peut être attribué à plusieurs facteurs comme un changement extrême de poids corporel, un stress mental, un exercice physique excessif, des troubles alimentaires, un déséquilibre hormonal, le syndrome des ovaires polykystiques, etc. 

D’un autre côté, les femmes trans et certaines personnes intersexes n’ont pas de menstruations, ce qui n’empêche pas qu’elles soient des femmes tout aussi valides. D’ailleurs, pour être une femme, on n’a pas besoin d’avoir de menstruations, un utérus ou même des ovaires. 🙂 

Considérer les menstruations comme un enjeu de femmes peut donner à ces personnes l’impression qu’elles ne sont pas de « vraies femmes » ou « assez femmes », ce qui est bien sûr un faux récit. 

Comment inclure toutes les personnes qui menstruent ? 

Les mots sont importants   

Démanteler le récit genré commence par adapter la façon dont on parle de menstruations, en incluant toutes les personnes qui menstruent dans notre vocabulaire. Un bon point de départ pourrait être de : 

  • Opter pour « personnes ayant des menstruations » ou « personnes menstruées » au lieu de « femmes » lorsqu’on parle de menstruations ; 
  • Remplacer les « produits d’hygiène féminine » par les « produits menstruels ». On peut aussi simplement nommer le produit duquel on parle : cup, culotte menstruelle, serviette, tampon, etc. 

Les cycles : ce qui nous lie toustes  

Il est grand temps qu’on dépasse l’idée selon laquelle les menstruations sont enracinées exclusivement dans la « féminité », et qu’on les dépeigne dans le discours collectif comme une expérience qui peut être très variable et signifier différentes choses pour différentes personnes. 

What if on élargissait le discours et, au lieu de se concentrer uniquement sur la féminité, on prenait aussi conscience de ce qui nous lie toustes, porteur·se·s d’utérus ? 

Pour Ari (they/elle), « être menstrué, ça [ne lui] rappelle pas nécessairement une “condition féminine”, mais bien juste une belle opportunité de vivre de manière cyclique ». Porter un utérus est pour elle un rappel ponctuel qu’elle vit au gré de ses phases intérieures, tout comme la nature fluctue au fil de ses saisons. 

Elle est aussi d’avis que n’importe quel être humain peut vivre au gré de ces « microsaisons lunaires », en mouvement, en conscience qu’on est des êtres cycliques. Son partage de l’essai de Sophie Strand m’a particulièrement touchée : « But a womb is not just an organ. It is an invitation that anyone of any physicality and any gender expression can accept. It is an invitation to dance inside change for twenty-eight days. To practice softness for a cycle ». (The Flowering Wand : Rewilding the Sacred Masculine)

C’est aussi la vision que Ceth entretient à l’égard de ses menstruations, qui sont une période où iel prend le temps de faire un petit deuil des choses dont iel n’a plus besoin. Une hibernation pour mieux renaître. 

Bref, aborder les menstruations sous un autre point de vue, au-delà du phénomène strictement biologique et au-delà des genres, m’a permis d’y voir la beauté qui nous unit toustes : celle des cycles qui vont et qui viennent et qui nous enracinent dans quelque chose de plus grand que nous. 

Au final, c’est simple : je rêve d’un monde où toutes les personnes peuvent saigner en paix. Moins de silence et plus d’acceptation.

Gabrielle Arcaïni

À propos de Gabrielle Arcaïni

Rédactrice pigiste | Pronoms : elle/la | Si je ne suis pas en train de faire du yoga ou de flatter mes chats, je parle de menstruations. Amoureuse des mots et féministe dans l’âme, j’ai toujours adoré écrire pour remettre en question les tabous sociaux. Mon baccalauréat en relations internationales et droit international m’a permis de prendre conscience que la politique est partout, entre autres dans la poésie et les articles (Catherine Dorion serait bien d’accord !). J’espère contribuer à normaliser les menstruations pour qu’enfin, on parle sans complexe et de manière inclusive de ce phénomène des plus naturels (mon rêve : le congé menstruel partout !).

Une réflexion sur “Parler des menstruations au-delà du genre

  1. Avatar Laury W dit :

    Coucou juste vous dire que vos articles son très intéressant 😉 grâce à vous je serais plus à l’écoute des gens et je vais pouvoir mieux leurs venir en aide et comprendre grâce à l’information! Étant futur policière je vous encourages à continuer bravo !!! Xo

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