As-tu déjà rencontré un couple qui semble scintiller dans l’espace qu’il occupe ; cette espèce de power couple qui laisse des visages éblouis et certainement des cœurs pétillants dans sa traînée ? Aurais-tu senti face à lui une attirance non seulement pour les personnes qui le composent sur un plan individuel, mais encore pour la dynamique partagée par ces individu·e·s et l’énergie qui se dégage d’elleux ? Et si le regard admirateur et franchement un peu smitten que tu leur portes pouvait se poursuivre non seulement le temps d’un petit trip à trois, mais finir en véritable ménage ou maisonnée à trois (ou plus) ? Les médias et l’opinion populaire sont pourtant d’avis qu’être la « troisième roue » à côté d’un couple, c’est nécessairement signe de dévaluation. Même qu’ils sont bourrés d’histoires de coups mesquins et de poursuites causées par la jalousie, de tromperie, et de condamnations morales sévères. Je suis là pour soutenir que le contraire de cette dévaluation est néanmoins possible !

Débutons par des questions de valeur

En effet, être « secondaire », outre la connotation péjorative de la numérotation elle-même (on imagine les sportif·ve·s récalcitrant·e·s accepter avec dépit la médaille d’argent ou de bronze), n’est pas forcément une mauvaise chose. En amour, il n’est pas question de gagner — et peut-être pas dans les sports non plus1. Pourtant, on est plusieurs à continuer d’adhérer à plusieurs mythes allant en ce sens. Même le langage est contre nous ici, lorsqu’il clame qu’on « gagne le cœur » ou qu’on « conquiert » nos amant·e·s. Allô le vocab’ colonial, aïe aïe ! Et si on arrêtait de se prendre pour des trophées de chair et d’os ou des continents où planter notre drapeau, signer notre nom et garder jalousement le cœur enchaîné et barré à double tour ?

On nous enseigne que « l’autre », cet·te amant·e « secondaire », est cellui qu’on ne respecte pas parce qu’iel passe en deuxième, en dernier, après les autres « plus important·e·s ». Iel est donc compris comme étant de « moindre » importance, et souvent c’est relié à l’idée qu’on se fait de la tromperie. On blâme avidement la personne « homewrecker » qui déchire le couple apparemment parfait. Notre société associe l’idée d’un·e nouvelleau partenaire au signe catastrophique du désastre imminent. Comment donc se dépêtrer de cette assomption qui range la nouvelle rencontre comme pire signe de danger et de perte d’amour ou de passion ?

La hiérarchie ; un danger ?

Même dans les cercles non monogames et/ou polyamoureux, il peut y avoir de bonnes doses de stigmatisation entourant les partenaires secondaires et tierces dans un arrangement hiérarchique. L’idée circule que les personnes qui n’occupent pas la position primaire ont moins de droits, servent peut-être seulement aux parties de jambes en l’air, et risquent d’être flushées au moindre signe de difficulté au sein du couple primaire. Évidemment, cela peut être le cas, et nous plaignons les pauvres cœurs tendres qui souhaiteraient grimper plus haut dans la hiérarchie de valeur, mais qui sont à la place victimes de véto2 ou simplement coupables d’être arrivé·e·s là en deuxième, ou troisième, ou dernier·ère. Je suis tenté·e de piger ici dans les fables de LaFontaine, dans lesquelles la tortue arrive pourtant en premier, devançant le lièvre…

Pourquoi donc voudrait-on se placer dans cette position de supposée moindre valeur si elle est si périlleuse ? Dans les cas ci-haut, il est possible qu’on décide qu’une connexion avec l’être cher vaut ces embûches, quelles qu’elles soient. Peut-être que d’obtenir un peu de temps et d’attention, c’est mieux que rien du tout. À tous les coups, il faut peser sa tolérance et respecter ses propres limites et besoins, pour être capable de décider quand trop, c’est trop (ou pas assez — décidément pas assez pour nous satisfaire). En relation, comme partout dans la vie, un certain montant d’inconfort est souvent manageable, tandis que passé ce point, encaisser des coups trop difficiles à répétition finit par épuiser nos réserves et nous maintenir en position de compromis trop drastiques.

À part ça, n’y a-t-il donc pas des situations où être lea partenaire secondaire ou tertiaire de quelqu’un·e n’apporte pas tant d’anxiété et d’inconfort, voire serait même — osons-le — bénéfique, même plaisant ?

L’impact de l’escalateur

D’abord (encore et toujours), défaisons un peu la hiérarchie et les bases sur lesquelles elle est construite. Qu’est-ce qui nous indique qu’un·e amant·e est « plus important·e » qu’un·e autre, au juste ? Souvent, en raison de l’escalateur relationnel, on assume que certains éléments d’une relation dénotent un plus haut niveau d’investissement, un plus grand amour, ou une connexion plus forte. Par exemple, on suppose que vivre ensemble, être marié·e·s ou avoir des enfants ensemble, ou même partager de l’activité sexuelle renseigne sur le « sérieux » et le « succès » de la relation. 

Mais qu’est-ce qui arrive si un couple est à longue distance à long terme, ou préfère ne pas partager ses finances, ou que les partenaires veulent conserver leur autonomie et espace personnel, ou encore sont asexuel·le·s ? Est-ce que ça veut dire qu’iels s’aiment nécessairement moins, ou que leur relation est moins réelle ou profonde que si toutes les marches de l’escalateur relationnel étaient recherchées ? Alors pourquoi donc une relation serait-elle nécessairement secondaire s’il arrive que les partenaires ne peuvent se voir qu’une fois par semaine ou une fois par an ? Est-ce que ta grand-mère chérie tombe forcément tout en bas de la hiérarchie d’importance dans le réseau de tes relations si tu n’as la possibilité de la voir qu’une fois aux quelques années ? Ben non ! Tu risques de l’aimer gros ta grand-maman même si tu la skypes seulement de temps en temps, n’est-ce pas ?

Chacun·e a la liberté (et la responsabilité !) de déterminer les critères de ce qui confère de la valeur à une connexion interpersonnelle et la maintient.

… Et de formater ses relations en conséquence ! L’anarchie relationnelle nous rappelle que toute sorte de connexion entre êtres humains est une relation, et que ses ingrédients ne sont pas nécessairement donnés. Même si la société s’attend à ce que l’on ressente, par exemple, de l’amour inconditionnel pour notre famille biologique ou qu’être ami·e·s veut dire nécessairement être en relation platonique, cela ne va pas de soi, et en fait c’est aux personnes qui font partie de cette relation de décider ensemble des types de relationnalité, de sentiments et d’activités qui rentrent dans le package. Bref, le plat final dépend toujours des ingrédients dont on dispose en réalité et que l’on choisit d’ajuster à nos goûts, pas nécessairement de la recette qu’on a pour modèle !

Mais admettons pour un moment que d’être relégué·e en dernier serait désirable…

Alors, pour en revenir aux amourettes à plusieurs en tout sérieux : il peut y avoir bien des bienfaits considérables à choisir d’intégrer une relation existante en fréquentant un couple en tant que tierce partie, peu importe le montant décidé d’investissement, de romance ou de sexualité. Si tout le monde est sur la même longueur d’onde et donne son consentement éclairé, lea nouvelleau partenaire tend à être choyé·e et gâté·e, autant en termes d’attention que d’affection. N’est-ce pas le rêve de plus d’un·e d’être le centre de l’attention de plusieurs, que ce soit dans une scène érotique ou bien dans la série de dates remplies de pétillement et de nouveauté ?

Dans les cas où le lien est intentionnellement léger, il se peut que le couple initial — pour ne pas dire de base, puisque ce mot porte bien des préjugés — y arrive avec de nombreuses choses à offrir :

  • La personne arrivant seconde trouvera probablement chez les membres de la relation existante une vie intime et relationnelle déjà développée. Le savoir et l’expérience qu’iels ont d’elleux-mêmes comme de leur·s partenaire·s et la capacité de communiquer à la personne en position secondaire leurs désirs et leurs besoins seront rafraîchissants !
  • Lea partenaire secondaire pourra bénéficier de la confiance (en soi et en l’autre/les autres) que ça prend pour s’être rendu·e au stade d’explorer.
  • Cette nouvelle personne risque aussi d’arriver à point au moment où un certain ennui de la routine de la relation établie encourage l’émerveillement et l’excitation à son égard.
  • Et bien d’autres possibilités.

Pourquoi donc ne pas profiter de toutes ces bonnes choses ?

(Évidemment, plus il y a de monde et plus, parfois, c’est complexe de communiquer et de faire le travail d’entrer en relation avec plusieurs sans causer de tort !)

Une petite mise en garde : tu dois savoir qu’il y a toujours des gens qui ouvrent leur relation à une nouvelle personne avant d’être à un endroit stable dans cette même relation et/ou de s’être préparés adéquatement… Munis-toi d’agentivité pour t’informer dès le départ sur l’état de la relation centrale avant de sauter dedans. Il suffit de commencer une conversation sérieuse en demandant à toustes les personnes impliquées comment elles se sentent, quelles sont leurs attentes et leurs réservations, et à quel rythme il serait souhaitable ou non d’avancer à plusieurs.

Tout ça pour dire que ce n’est pas le jam à tout le monde (ni à tout moment) de faire partie d’une relation type escalator qui est très exigeante en temps, en énergie, en communication et en investissement. Des fois, ça fait du bien de jouer un rôle secondaire et de prendre ça plus relax ! Il y aura certainement de nouvelles sortes de responsabilités à prendre en compte, mais au moins lea partenaire secondaire ou tertiaire peut être assuré·e qu’iel n’est pas seul·e dans l’équation et que les partenaires existant·e·s prennent déjà soin (on l’espère), l’un·e de l’autre. Aussi, il se peut que tu ailles déjà bien assez d’une ou de plusieurs relations à intensité élevée et que d’en avoir des plus légères, ça te permet de souffler et de te faire gâter !


  1. Pense ici aux activités sportives bien innocentes, tout comme à celles qui le sont moins. Dans ces dernières, n’y a-t-il pas d’autres choses à apprécier que ce que l’on considère populairement être le signe de la victoire (l’orgasme) ? Petit défi : fais une liste de tout ce que tu considères comme un « succès » lors d’une « bonne » baise. Compare-la avec tes ami·e·s et tes amours, histoire de glousser de la variété et des similitudes de tels goûts !
  2. Le droit de véto est un arrangement en polyamour où un·e partenaire réserve le droit de véto, mettons de négation ultime qui « gagne » automatiquement sur les actions ou décisions de san partenaire. Gare au terrain accidenté !
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À propos de Elyx Desloover

Rédacteur·rice pigiste | Pronoms: iel/ellui | Joyeusement gamin·e, j’aime provoquer les gens à jouer. Avec les mots comme les idées, les corps, les identités. Je trouble à dessein les sols sur lesquels on se promène sans y penser. J’interroge et fais réfléchir celleux qui m’entourent pour déconstruire les concepts réducteurs de nos belles et fluides multiplicités. Suite à des études de bac et de cycles supérieurs en philosophie et en littératures, je me consacre à un doctorat en études culturelles axé sur des enjeux trans, féministes et abolitionnistes, la justice transformatrice par le care et les politiques du plaisir. Je vise à soigner ce que je peux grâce aux remèdes naturels, à la cuisine remplie d’amour et de plantes, puis au yoga dont je suis professeureuse. Mon temps libre se trame aussi de rituels intentionnels valorisant la connexion à soi comme à autrui et au monde – communication transparente, tarot, pendule, pleine présence. Que peut-on donc créer ensembles à partir des failles de systèmes morcelés, le poème à la bouche et le sourire dans les yeux?

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