Les violences sexuelles sont un sujet qui, automatiquement, peut susciter des discussions, des malaises et des questionnements. Plusieurs idées préconçues en lien avec celles-ci circulent dans notre société. Même si elles peuvent toucher tout le monde, certains groupes sont particulièrement à risque d’en vivre et de rencontrer des embûches lorsqu’ils désirent dénoncer.

Quelques définitions avant de commencer

Tout d’abord, définissons 4 termes qui nous seront utiles dans cette lecture : mythe, préjugé, stéréotype et discrimination.  

Selon le CNRTL, un mythe réfère à toute « représentation traditionnelle, idéalisée et parfois fausse ou exagérée concernant un fait, une personne ou un groupe de personnes. » On peut faire référence à de « fausses croyances ».

Du côté des stéréotypes, Réseau Canopé indique qu’on peut les décrire comme des « boîtes » dans lesquelles on place, volontairement ou non, des individus, selon leurs caractéristiques particulières. On parle donc d’une « image préconçue, d’une représentation simplifiée d’un individu ou d’un groupe humain. Ils reposent sur une croyance partagée relative aux attributs physiques, moraux et/ou comportementaux, censés caractériser ce ou ces individus. »

Concernant le préjugé, toujours selon Réseau Canopé, il s’agit d’une opinion préconçue portant sur un sujet, un individu ou un groupe d’individus. Il est souvent négatif et construit à partir de stéréotypes.

Dans le livre Stéréotypes, préjugés et discrimination de Jean-Baptiste Légal et Sylvain Delouvée, on lit que la discrimination se définit par « un comportement négatif non justifiable produit à l’encontre des membres d’un groupe donné. Le fait de refuser l’entrée dans un club ou un bar à quelqu’un sur la base de son apparence physique, de son sexe ou de la couleur de sa peau est un exemple typique de discrimination. »

Et le lien avec les violences sexuelles ?

Plusieurs mythes, stéréotypes et préjugés en lien avec les violences sexuelles existent (nous en verrons un peu plus tard, mais tu peux aussi prendre connaissance de ceux-ci). Des phrases comme « les agresseur·e·s sexuel·le·s sont des malades mentaux », « c’est une fille facile, elle a couru après » ou encore « un homme a de la difficulté à retenir ses pulsions sexuelles/boys will be boys » (pour excuser une agression) sont créées à partir de ceux-ci. 

Ces types de propos sont encore courants dans la société et contribuent à banaliser les violences sexuelles, tout en mettant certaines personnes dans des moules. Ces moules peuvent avoir un impact sur le fait qu’une personne ne sera pas crue lorsqu’elle confiera son histoire, ou encore qu’une autre sera excusée pour ses gestes violents.

L’impact de l’intersectionnalité

As-tu déjà entendu le mot « intersectionnalité » ?

L’Encyclopédie canadienne indique qu’il s’agit d’une « théorie féministe qui analyse les différentes formes d’oppression et les hiérarchies de pouvoir. » Elle met en lumière les rapports de pouvoir qui existent entre différents groupes (pourquoi certaines personnes sont privilégiées plus que d’autres). Amené par Kimberlé Crenshaw (une féministe, juriste et professeure américaine, spécialisée dans les questions de race, de genre et de droit constitutionnel) en 1989, le concept d’intersectionnalité vise à prendre en considération la cumulation des oppressions dans le parcours de vie d’une personne.

Afin de rendre ça plus clair, prenons l’exemple que Kimberlé Crenshaw elle-même utilise afin de définir l’intersectionnalité, le cas d’Emma, illustré ci-dessous par Chloé Germain-Therrien dans une BD réalisée pour la FAE.

Ce concept démontre qu’il est important de considérer les multiples oppressions que peut vivre une personne et comment les interactions entre ces oppressions peuvent la rendre plus vulnérable qu’une autre.

Le graphique ci-dessous illustre les systèmes d’oppression dans lesquels une personne peut se trouver et faisant en sorte que celle-ci vivra les difficultés différemment qu’une autre. Le graphique a été créé selon la réalité au Canada en 2021. (À noter qu’il omet la grossophobie qui à notre avis, devrait définitivement en faire partie.)

La raison pour laquelle on prend le temps de t’expliquer le concept d’intersectionnalité est la suivante : les personnes marginalisées sont plus à risque de vivre des violences sexuelles et de ne pas être crues lorsque celles-ci confient leur histoire. 

Un peu comme quand Safia Nolin a dénoncé l’agression de Maripier Morin. L’autrice Kharoll-Ann Souffrant aborde d’ailleurs ce sujet dans son livre Le privilège de dénoncer (qu’on te recommande). Elle revient entre autres sur comment l’orientation sexuelle, l’apparence physique et les origines de Safia ont eu un impact sur la manière dont son témoignage a été reçu — très mal.

En effet, les différents systèmes d’oppression créent des barrières à la dénonciation des violences sexuelles et peuvent augmenter la vulnérabilité d’en vivre.

Quelques barrières à la dénonciation

Conditions socioéconomiques  

Le fait de faire partie de la population considérée « pauvre » peut augmenter l’isolement (par exemple : ne pas avoir assez d’argent pour avoir un téléphone cellulaire ou tout autre outil électronique et être coupé·e de la communication extérieure), notamment si une situation de dépendance financière a lieu entre la victime et l’agresseur·e. L’isolement peut favoriser les tentatives de manipulation et de désinformation d’une personne agresseur·e, ce qui peut décourager une personne de dénoncer. 

Le racisme

Au Canada, une méfiance s’est développée entre les personnes provenant de minorités visibles et les corps policiers. À cause de la discrimination systémique des personnes racisées (ex. : surveillance policière accrue de cette population, surreprésentation de celle-ci dans les milieux carcéraux ou présupposition qu’une personne racisée sera dans la catégorie « agresseur·e » et non « victime »), celles-ci peuvent avoir de la difficulté à avoir confiance en toute personne qui occupe un poste représentant une position d’autorité.

L’accessibilité des services d’aide

Pour les personnes qui vivent un handicap quelconque, il peut être plus complexe de trouver des services d’aide accessibles et adaptés à leurs besoins (par exemple : une personne sourde doit trouver un service avec un·e intervenant·e capable de parler le langage des signes). 

De plus, si la personne qui a commis les agressions est un·e donneur·se de soins, il peut être encore plus difficile de dénoncer (car l’autre a besoin de celle-ci pour « fonctionner » au quotidien). Des préjugés capacitistes (par exemple : infantiliser une personne en situation de handicap) peuvent également renforcer la culture du silence chez cette population.

Le colonialisme 

Encore une fois, on retrouve une certaine méfiance envers les autorités policières de la part des populations autochtones, notamment en raison de l’Histoire tragique de la colonisation au Canada qui persiste encore. La barrière de la langue, la tolérance développée quant à la violence ainsi que la proximité entre les membres de la communauté autochtone font partie des obstacles vécus par cette population. 

L’homophobie et la transphobie

Pour la population 2SLGBTQIA+, le seul fait de devoir dévoiler sa propre identité de genre ou son orientation sexuelle peut être un frein à la dénonciation. De plus, selon le rapport « Justice pour les femmes marginalisées victimes de violences sexospécifiques » rédigé par des chercheures de l’UQAM en 2022, « les personnes des minorités sexuelles et de genre qui s’engagent dans des démarches en justice sont confrontées à des acteur·rice·s du système qui partagent [d]es biais hétéronormatifs et hétérosexistes ».

Les mythes, préjugés et la discrimination qui justifie les violences sexuelles perpétrées

Les mythes qui justifient les violences sexuelles vécues par certains groupes de la diversité peuvent également devenir des obstacles de taille quand une personne pense à dénoncer. Voici quelques exemples très concrets de phrases problématiques qu’on peut encore entendre — et profitons-en pour les déconstruire.

« Une personne est devenue homosexuelle après avoir été agressée par une personne de l’autre sexe. »

L’orientation sexuelle, quelle qu’elle soit, est une façon POSITIVE de vivre sa sexualité, et non la CONSÉQUENCE d’un trauma sexuel. C’est le même principe pour une personne qui commet des gestes d’abus : les actions sont commises INDÉPENDAMMENT de l’orientation sexuelle. Quelques statistiques qui proviennent d’une enquête de 2020 :

Les Canadien·ne·s de minorité sexuelle étaient également plus susceptibles que les Canadien·ne·s hétérosexuel·le·s de déclarer avoir été victimes de comportements inappropriés :

  • en public (57 % par rapport à 22 %)
  • en ligne (37 % par rapport à 15 %)
  • au travail (44 % par rapport à 22 %)

« Les personnes de couleur sont vraiment des bêtes au lit. Elles en veulent toujours plus. »

Comme on peut le lire dans cet article de la Gazette des femmes, ces propos sont déshumanisants et laissent sous-entendre que le consentement de ces personnes est acquis, puisqu’elles « en veulent toujours plus ». Ce racisme sexuel peut les mettre plus à risque de vivre des violences sexuelles — on en parle d’ailleurs plus en détail ici.

« T’es noir, tu dois avoir une grosse graine. »

Réduire la valeur d’une personne à la taille de ses organes génitaux est une façon de l’objectifier. Non seulement ça peut affecter la santé mentale (et même sexuelle) des personnes qui reçoivent ce genre de propos, mais, encore une fois, ça les met plus à risque de vivre de la violence sexuelle. 

En effet, réduire une personne à un objet peut faire en sorte qu’on aura moins tendance à lui demander son consentement. Demandes-tu à une chaise sa permission avant de t’asseoir dessus ?

Objectification sexuelle : « Le fait de considérer une personne comme un objet de désir sexuel en la réduisant à son corps ou à son apparence physique. »

— Office québécois de la langue française et Comité de terminologie de Radio-Canada

« Les personnes en situation de handicap n’ont pas de sexualité. »

La tendance à infantiliser les personnes en situation de handicap (notamment en présumant que celles-ci n’ont pas de sexualité) fait partie des attitudes qui peuvent faire obstacle à la recherche d’aide ou à la dénonciation des agressions. 

En effet, croire qu’une personne en situation de handicap « ne peut pas avoir de sexualité » vient invisibiliser le fait que celle-ci puisse être victime de violences sexuelles et empêcher certaines personnes d’être crues lorsqu’elles confient leur histoire.

Pour déconstruire de telles croyances ou simplement t’informer sur la sexualité des personnes en situation de handicap, je t’invite à consulter cet article

« Une personne grosse n’est pas “digne” d’avoir été agressée parce qu’elle n’est pas assez attirante. »

Ce mythe, bourré d’idéalisation des standards de beauté irréalistes, contribue au fait que des personnes qui ont des caractéristiques physiques qui diffèrent de ces standards peuvent avoir de la difficulté à être crues si elles parlent de ce qu’elles ont vécu.

Ça renforce aussi l’idée qu’une personne « trop » attirante qui vit des violences sexuelles est responsable de ce qui lui arrive. Comme si la violence sexuelle était une question d’attirance et non d’abus de pouvoir. Franchement…

Pour en savoir plus, je t’invite à consulter l’article « La grossophobie ordinaire et les violences sexuelles qui en découlent » qu’une de mes collègues a rédigé. C’est franchement un bijou, qui dénonce les violences sexuelles vécues par les personnes grosses, et qui explique pourquoi les croyances grossophobes dans notre société sont graves (sans vouloir sonner trop dramatique).

Pour ouvrir son esprit ☺

Bien sûr, quand on parle de discrimination et de mythes à propos des violences sexuelles, le meilleur scénario envisageable serait que ceux-ci disparaissent du jour au lendemain, en un claquement de doigts. Pouf ! Magie. Fini les problèmes, le victim-blaming et tous les propos problématiques liés aux violences.

Malheureusement, ce n’est pas aussi facile que ça… Par contre, si TOI, tu veux faire une différence, voici quelques pistes pour te guider.

Prends la parole !

Si jamais tu entends des propos qui portent un jugement, qui sont discriminatoires ou qui sont empreints de méchanceté envers les différences et que tu sens que tu as l’énergie pour intervenir, mon conseil est le suivant : go for it. C’est en dénonçant les situations d’injustice perçues qu’on parvient réellement à changer les choses.

Je sais qu’il peut être intimidant de faire ainsi. Pas besoin de faire un speech de 30 minutes. Des courtes phrases du genre : « hey, je trouve que ce que tu dis est dérangeant » ou bien « je ne suis pas à l’aise avec tes propos. Je t’invite à te renseigner sur le sujet » peuvent encourager une personne à tourner sa langue 7 fois avant de parler la prochaine fois, et, qui sait, peut-être à s’instruire aussi.

Reste toi-même 😉

Si tu as une nature plus activiste, on t’encourage à dénoncer haut et fort (avec respect) les éléments qui te dérangent !

Si tu te sens plus passif·ve ou timide, tu n’as pas besoin de participer à des manifestations ou à effectuer des gestes grandioses pour avoir un impact. Il existe d’autres alternatives si tu as envie de mettre ton grain de sel.

Informe-toi !

Eh oui ! Une façon de changer les choses, c’est de t’informer sur le sujet. Ça te permet de mieux cibler des mots, propos, vidéos, films, œuvres, bref, n’importe quoi qui ferait la promotion d’éléments problématiques (et d’en trouver d’autres qui, au contraire, sont super inclusifs !). Ça te donne aussi l’occasion de mieux comprendre la réalité des autres. 

Prêt·e à changer le monde (ou ton monde interne) ? Je t’invite à consulter ces quelques ressources sur les violences sexuelles et l’intersectionnalité.

Bonne exploration !

Balados

Test

  • Test de la roue du pouvoir (test en ligne d’environ 5 minutes). Ce petit quiz te permettra d’évaluer brièvement tes privilèges. Il n’est pas parfait, mais il donne une petite idée visuelle des sphères dans lesquelles tu es plus privilégié·e.

Infographie

Ressources d’aide

Voici quelques ressources d’aide qui pourraient t’être utiles si tu désires t’informer sur le sujet. Si jamais tu ressens le besoin de parler, n’hésite pas à aller chercher de l’aide. Elles sont là pour cela !

  • Info-aide violence sexuelle — Ligne téléphonique pour parler à une intervenante de manière anonyme et confidentielle pour les victimes de violence sexuelle et obtenir des ressources.
  • CALACS — Centre d’aide offrant plusieurs ressources aux femmes survivantes d’agressions sexuelles.
  • Centre Marie-Vincent — Fondation qui soutient les personnes mineures victimes de violence sexuelle.
  • CRIPHASE — Centre d’aide pour les hommes victimes de violence sexuelle dans leur enfance.
  • Juripop — Services juridiques accessibles pour les personnes victimes de violence conjugale et/ou sexuelle.
  • SOS Violence conjugale — Organisme de soutien de personnes victimes de violence conjugale.
  • Ligne téléphonique pour renseigner les personnes victimes de violences sexuelles (DPCP) — Tu pourras poser tes questions sur le processus judiciaire à un·e procureur·e du Directeur des poursuites criminelles et pénales spécialisé·e dans le traitement de dossiers de violences sexuelles.
  • Un toit pour se reconstruireUn toit pour se reconstruire vise à fournir un lieu adapté aux besoins des personnes ayant vécu de la violence sexuelle et à offrir un milieu de vie pour les personnes victimes de violences sexuelles, un milieu de formation pour stagiaires et membres de la communauté, un milieu d’implication pour la communauté et éventuellement un hébergement temporaire d’urgence, de répit et du logement social. 
  • SERVICE-CONSEIL aux centres désignés pour l’intervention médicosociale auprès des victimes d’agression sexuelle – Généralement situés dans les hôpitaux, les CLSC ou les dispensaires, les centres désignés pour l’intervention médicosociale auprès des victimes d’agression sexuelle (centre désigné) offrent différents services d’aide d’urgence médicale et psychosociale aux victimes dont l’agression sexuelle remonte à moins de 6 mois.
Marilou Lampron

About Marilou Lampron

Rédactrice pigiste | Pronoms : elle/la | Amoureuse des chats et des couchers de soleil (j’ai beaucoup trop de photos de cotton candy skies dans mon cell), j’ai fait un certificat en psychoéducation avant de compléter mon baccalauréat en sexologie. Je suis intervenante psychosociale auprès des familles à la Fondation Marie-Vincent, qui partage mon rêve de vivre dans un monde exempt de violence sexuelle. Je cherche à approcher le sujet de la sexualité avec douceur et féminisme, en ayant pour but que chaque personne se sente incluse (et un brin divertie) lors de sa lecture.

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